Bien-être : Isabelle Grossetête et Juliette François : Prendre en compte les émotions pour mieux vivre l’école
L’Ecole peut-elle être un lieu du plaisir d’apprendre, un lieu de coopération et de sociabilité plutôt qu’un lieu de compétition, d’ennui ou d’épreuves . Des professeures tentent le pari. Isabelle Grossetête et Juliette François sont professeures des écoles à Massy (91), engagées dans le dispositif des Cogniclasses. Elles poursuivent en parallèle un Master REDEF à l’université Paris VII pour pouvoir conduire et développer des axes de recherche sur le terrain.
Quels sont les dispositifs que vous avez conçus et mis en oeuvre pour développer un système de coopération dans vos classes?
Depuis plusieurs années, nous cherchons à développer un système de coopération dans nos classes en cohérence avec les compétences du XXIe siècle définies par l'OCCE. Il s'agit de proposer aux élèves des situations riches, motivantes, qui demandent un travail coopératif ; la résolution de tâches complexes qu'on ne peut réussir qu'à plusieurs. Apprendre à coopérer est un apprentissage qui nécessite l'instauration d'un climat de confiance et de respect entre les élèves, par le biais de différents dispositifs de communication. Nous nous sommes particulièrement appuyées sur les techniques de gestion des conflits et de la vie de la classe proposées par Danielle Jasmin.
Nous développons d’abord avec les élèves des stratégies pour traiter un conflit sans recours à l’adulte. Lors d'une situation conflictuelle, les élèves concernés prennent un temps d’échange, à la manière d’un jeu de rôle qui permet de partager ses sentiments et d’accepter une autre manière de voir, c’est le message clair. Il permet d'échanger des informations sans agressivité, de partager ses sentiments et d'accepter un autre point de vue que le sien.
En parallèle, nous menons un travail de fond autour des étapes et des solutions pour résoudre les conflits. Chaque semaine des élèves deviennent médiateurs et interviennent pour aider les enfants en conflit qui ne trouvent pas de solutions. Ce mode de fonctionnement pratiqué dans notre école depuis plusieurs années apaise considérablement la cours de récréation.
D'autre part, pour impliquer pleinement les élèves, nous avons mis en place le conseil de coopération, une réunion de la classe pour la classe : chacun s’y exprime, en félicitant, en critiquant en faisant des propositions, en votant comme tout citoyen que nos élèves seront demain. Le conseil de coopération va poursuivre le travail initié avec le message clair. En effet, si certains conflits n'ont pas été résolus, ni par les messages clairs, ni par les médiateurs, les élèves peuvent les évoquer lors du conseil et tous cherchent une solution ensemble. Le conseil de coopération suppose donc un temps de réflexion en amont : les élèves ont la possibilité de rédiger des messages lus lors du conseil et qui en constitueront la trame.
Nous avons également mis en place un système de tutorat dans nos classes. Chaque élève qui le souhaite peut s'inscrire, en concertation avec l'enseignante pour devenir « petit professeur » sur une notion précise et sur un temps précis.
Ces différents dispositifs, qui s'imbriquent les uns dans les autres, sont fondamentaux pour développer la coopération entre élèves. Ces activités ne peuvent exister qu’à partir du moment où je fais confiance à mes camarades, où j’ai un espace de parole cadré et reconnu pour exprimer mon désaccord, où je peux me tromper, demander de l’aide, aider, réfléchir à plusieurs… Ce mode de fonctionnement oblige chacun à un temps de réflexion, qui suppose aussi de bien se connaître.
Comment et pourquoi mettez-vous en place un travail en classe sur la connaissance de soi axé sur la gestion des émotions ?
Le message clair, par exemple, suppose, en effet, un travail préalable autour des émotions. En cas d’agression verbale ou physique, il est important de mettre des mots sur l’émotion qui a poussé à commettre le geste ou sur l’émotion ressentie à la suite de ce geste, c’est la base du message clair : « quand tu t’es moqué de moi, cela m’a blessé, j’ai ressenti de la tristesse, de la colère, de la peur… ».
Pour définir l’émotion précisément, il est nécessaire de les recenser toutes ; puis de mettre des mots, ensemble, sur les différentes émotions qui cohabitent en chacun de nous. La première période de l’année dans une classe est riche en activités diverses, mais s'il en est une, incontournable, c’est bien celle-ci car comment gérer ses émotions si on ne les (re)connaît pas ?
Des romans, des jeux de rôle vont servir de support à la verbalisation des émotions. Les uns les autres peuvent s’apporter mutuellement par des débats. Ce sont les premiers pas vers le débat philo. Généralement à partir de la deuxième période quand le mode de fonctionnement de la classe est bien intégré, il est intéressant de prolonger le travail d’introspection par des débats philo rituels: les thèmes qui demandent une réflexion approfondie et une écoute mutuelle amènent chacun à se (re)positionner, et donc à poursuivre son propre cheminement sur la connaissance de soi.
En quoi la mise en espace de la classe participe-t-elle selon vous du bien -être et comment la pensez -vous ?
Il nous semble essentiel de (re)penser l'espace de la classe en lien avec un climat de confiance et de sérénité qui participe au bien-être de chacun. L'agencement de la classe doit, en parallèle, répondre aux principes de coopération. Les tables sont disposées en îlots pour favoriser le travail en coopération . Nous avons réduit au maximum le mobilier de stockage pour augmenter l'espace de circulation dans la classe . Nous avons réfléchi dans la limites de nos moyens matériels actuels à des espaces s'adaptant à différentes situations (recherche en groupe, travail individuel, activité en binôme, temps de mémorisation, de relaxation). Chacun peut travailler à une table mais aussi assis sur un tapis, sur un ballon, sur un tabouret ou bien debout. Les élèves ont la possibilité de tester différentes postures à différents moment de la journée, de réfléchir à une position adaptée correspondant à un type d’apprentissage, à leurs besoins, à leur bien-être.
Béatrice Mabilon-Bonfils
Directrice du laboratoire BONHEURS
(Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs). Université de Cergy-Pontoise
Par fjarraud , le jeudi 18 avril 2019.