En lycée professionnel, travailler ensemble, à quel prix ?
Stéphane est enseignant de lettres-histoire-géo, Claude est professeure-documentaliste. Ensemble, avec des élèves de lcyée professionnels aux parcours scolaires parfois chaotiques, ils mènent un projet ambitieux, autour des contes, de la production d'écrits. Avec l'aide d'un intervenant, ils mettent en scène des représentations pour plusieurs écoles. Et ils en parlent sans cacher les doutes et les difficultés.
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Stéphane Clerc : Je ne sais pas trop quel enseignant je suis. C’est au cours de mon inspection de l’an passé que j’ai appris que j’étais un fervent de la « pédagogie de projet » ! Comme Monsieur Jourdain, j’en faisais sans le savoir. Avant, je n’avais jamais entendu l’expression...
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Ce qui peut être innovant, ce sont les nouveaux moyens techniques dont on dispose : traitement de texte ou de l’image, lecteurs MP3... Mais je ne pense pas que les TICE apportent systématiquement de l’innovation. Ce qui compte, c’est la démarche, le projet, les ambitions. A Rennes, j’ai vu beaucoup de projets qui concernaient des établissements qui avaient plutôt des difficultés, des élèves pas faciles à gérer. L’innovation arrive souvent quand on se dit qu’il n’est pas possible de fonctionner avec les moyens traditionnels…
Etes vous innovateurs ?S. C. : Je trouve le terme un peu pédant. Par contre, je me sens un peu à rebrousse-poil des injonctions ministérielles actuelles…
C.B.-S. : moi, je n'ais pas la sensation d'être "innovante". D'abord, le fait qu’on enseigne avec des projets, c’est considéré par certains comme une belle vitrine, pour l’image du lycée. Mais je ne pense pas qu’ils se préoccupent tellement de ce qui se passe, pédagogiquement, avec les élèves. On pense plus à ce qui se dit du projet dans les média…
Personnellement, quelles compétences professionnelles d’enseignant essayez-vous de développer ?C.B.-S. : pour moi, qui suis professeure-documentaliste, le relationnel est essentiel, aussi bien avec les élèves qu’avec les collègues. L’écoute des autres, l’adéquation entre ce que je dis et ce que je fais, entre ce que j’annonce et ce que j’apporte. Ça demande de la patience, du professionnalisme. Faire la part des choses entre ce qui est personnel et professionnel. Moi qui ai travaillé plusieurs années dans l’industrie, je pense que c’est un problème souvent compliqué à gérer pour les enseignants, parce qu’on est dans le social et pas seulement dans l’économique…
S. C. : D’abord, préparer suffisamment pour avoir défini un cadre précis et strict, savoir où on veut aller, tout en se laissant des marges de manœuvre sur comment y aller… Etre rigoureux, prévoir toutes les éventualités même si on sait qu’on ne va pas toutes les rencontrer… tout en sachant qu’on va sans doute trouver de l’inattendu dans la demande de tel ou tel élève… S’autoriser les souplesses nécessaires, la réactivité…
La seconde chose, c’est de savoir évaluer l’élève. Je sens que les compétences, c’est la bonne piste, le bon levier, mais je ne sais pas encore faire pour la mise en œuvre, leur montrer ce qu’ils savent faire, dépasser la note globale que je donne un peu à l’instinct… je pense qu’il faut mettre le paquet là-dessus…
Est-ce que cela crée des tensions dans l’établissement ?S. C. : Oui ou non… Des petites piques : « tu es bon pour aller faire le prof à l’IUFM ! » alors que je trouve moi-même ce type de discours souvent formatés… Quand je fais passer des infos pédagogiques, mes collègues ne se gênent pas pour me dire que je les fatigue. Ça reste amical, mais on est parfois aussi vécus comme des profs « pas comme les autres »…
Cette année, par exemple, on galère avec les élèves, il y a des tensions dans le projet : nos collègues nous demandent souvent pourquoi on se fatigue autant pour des élèves qui ne « le méritent pas », qui ne « vous en sont pas reconnaissants ». Ils peuvent penser qu’on est un peu démagogiques avec les élèves. Pourtant, je pense que certains élèves ont énormément bougé dans le projet, se sont découverts des pouvoirs qu’ils n’imaginaient pas… Seuls quelques collègues vont venir voir le spectacle qu’ils vont donner aux élèves du primaire. Je pense pourtant qu’ils vont être surpris de ce que les élèves vont faire, eux qui les voient dans un autre contexte…
C.B.-S. : Je pense que certains collègues pensent peut-être que si cette classe est difficile, c’est à cause de notre projet, du fait qu’on les déstabilise en leur faisant vivre des démarches différentes. Du coup, on nous considère sans doute parfois comme « trop dans notre truc », moins disponibles pour les autres enseignants… Dans un Lycée Professionnel comme le nôtre, avec des contraintes horaires fortes, les exigences de l’atelier, je trouve que c’est difficile de monter des projets innovants. Et je ne sais pas toujours ce qu’il faut faire en priorité…
Justement, pouvez-vous mesurer l’impact positifs des projets que vous mettez en œuvre sur les connaissances et les compétences des élèves ?S.C. : J’ai des exemples précis, même si je ne sais pas l’évaluer. J’ai vu des élèves pour qui c’est vital, des élèves tellement en échec à l’écrit qu’ils se considéraient comme des moins que rien. Non seulement ils sont arrivés à écrire leurs textes, mais ils ont pris au vol l’ambition qu’on affichait pour eux, et mettent beaucoup de cœur à nous montrer ce dont ils sont capables lorsqu’ils jouent leur texte. Même un élève très timide qui voulait se retirer du projet nous a dit la semaine dernière qu’il ne se pensait pas capable de ça. J’ai même vu des élèves se battre pour qu’on joue leur texte, d’autres venir leur donner un coup de main pour le mettre en forme à l’oral…
C.B.-S. : J’en ai eu un mardi, lorsque la classe de CIPPA présentait un morceau de leur texte, et où j’ai vu les yeux de certains briller, d’être des acteurs en herbe… Ca m’a fait vraiment plaisir.
Et les difficultés ?C.B.-S. : le désengagement de certains élèves, encore et toujours… On n’arrive pas à emmener tout le monde. Le projet reste imposé, certains ont pu faire des efforts pour écrire, mais ne vont pas au-delà. Ils ont très peur, et on n’a que peu de temps. L’esprit d’équipe en pâtit. Peut-être qu’on les déstabilise trop : en entrant dans la classe de « structures métalliques » du lycée professionnel, c’est sûr qu’ils ne s’attendaient pas à faire du théâtre… Peut-être qu’on a mis trop d’ambition pour faire tout ça en un an, sans leur donner d’étapes intermédiaires tangibles qui valorisent une première étape… C’est une frustration pour moi. Mais en même temps, ce n’est pas mon implication qui compte : en tant que prof, je n’attends pas d’être payée en retour… Même avec les collègues, il faut arriver à désaffectiver.
S. C. : En lycée professionnel, le paradoxe est que nombre d’élèves sont très conformistes, réclament des notes, des « juste » ou « faux »… J’ai du mal à répondre à ça, toujours parce que je n’ai pas de système d’évaluation qui leur permette d’avoir des repères.
Pourtant, je pense qu’on arrive à être efficaces et rôdés sur la partie « production d’écrit ». Ca fait plusieurs fois qu’on mène ce genre de projet. Même si on peut encore progresser, on arrive à rentabiliser le temps.
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Et le discours sur le « retour aux fondamentaux » ?S.C. : Ca n’agite pas les salles des profs. Ca concerne le premier degré, et ça n’amène que peu de discussion de fond, sinon de ramener l’idée qu’il serait bien qu’ils maîtrisent les compétences de base en arrivant en CAP ou en BEP. Ceci dit, les collègues ne critiquent que très rarement les niveaux d’enseignement précédents…
C.B.-S. : la maternelle, il faut la préserver, mais à l’école primaire, je trouve parfois qu’il y a trop de choses, les fondamentaux sont travaillés mais je ne sais pas à quel point. Je n’ai que le témoignage des classes de mes propres enfants, mais j’ai parfois eu l’impression qu’on en faisait trop, trop vite, avec trop de pression, avec un programme trop chargé, qui amène trop de stress, au dépens des situations de communication ou d’échange. Il faudrait mieux revenir à du travail de base, pas forcément uniquement avec des exercices, mais prendre le temps de plus de dire, de lire, d’écrire…
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Par ppicard3 , le dimanche 04 mai 2008.