- Un rapport à lire attentivement
Le rapport que l'inspection générale vient de consacrer aux TIC dans le système scolaire demande de chacun de nous une lecture attentive. Au delà d'un thème autour des réseaux numériques, il s'agit bien là d'un vrai travail d'inventaire, d'analyse, de propositions et de prospective. A.M. Bardy et J.M. Bérard, tous deux rapporteurs du groupe de travail de l'IGEN. Ce rapport est accompagné d'annexes qui seront, espérons le disponibles elles aussi en ligne, comme cela semble devoir être le cas.
La richesse du travail mené tient en particulier à la méthodologie employée et aussi au regard sans complaisance porté sur la question. Sans se prononcer, et cela est normal, sur la question de fond du bien fondé des TIC à l'école, le rapport propose des outils pour comprendre cette question en resituant dès le début la véritable problématique sous-jacente : qu'on le veuille ou non, les TIC sont là ! Qu'on le veuille ou non tous les états ont engagé des démarches autour de leur système éducatif ! Qu'on le veuille ou non des pratiques sont largement engagées ! Il est vrai que le gouvernement et les politiques (quelle que soit leur appartenance politique) ont fortement incité les acteurs de l'éducation en particulier depuis 1997 (mais cela était aussi perceptible dans les propositions de 1994) à engager des actions basées sur des équipements, de la formation et des incitations pédagogiques et didactiques.
L'objet de cet étude se présente ainsi :
"Cette étude s'appuie sur une analyse de la situation actuelle pour indiquer les conditions d'une généralisation rapide conforme aux objectifs d'éducation et de formation assignés à l'École par la société. Adoptant ensuite un point de vue prospectif elle considère les problèmes d'avenir induits par la mise en place des réseaux et des technologies nouvelles, problèmes liés aux évolutions possibles du rôle et des fonctions des enseignants comme aux places respectives du monde marchand et de l'offre publique d'éducation dans le paysage éducatif des prochaines années, en fait aux missions et à l'organisation de l'École."(p.4)
La première partie du rapport est consacrée à l'analyse des pratiques observées, détaillant dans et aux frontières de l'école ce qui se passe réellement. Au delà des pratiques, la question posée est celle des apprentissages : leurs contenus et leurs processus. La deuxième partie du rapport évoque la question de la généralisation. (Rappelons que Bernard Dimet auteur d'un article sur l'histoire des TIC dans la revue éducation technologique avait en partie cette question comme objet de sa thèse) Dans cette deuxième partie, il est aussi question d'évaluer la conduite du changement. Dans la troisième partie, plus prospective, un certains nombre de questions sont mises en évidence, en particulier sur la place que l'école peut tenir à l'avenir dans une société largement envahie par des technologies d'information et de communication.
La première partie intéressera tous ceux (dont l'actuel ministre) qui se demandent ce que l'on peut bien faire avec des TIC dans la classe. De nombreux exemples sont présentés, et les analyses qui sont proposées mettent en évidence qu'un des éléments freins est l'absence de visibilité de ces pratiques. Attention visibilité ne veut pas dire ici médiatisation, non cela veut dire mise en forme des pratiques pour en permettre une véritable diffusion parmi les pairs. Trop de médias se sont emparés d'exemples, certes remarquables, pour en faire des modèles, mais peu se sont soucié de ce que devenaient réellement les pratiques dans le temps aussi bien en terme de durée que d'efficacité pédagogique. Ce manque est cruellement ressenti car il a isolé nombre de ceux qui ont entamé ces démarches d'expérimentation (même si parfois ils se sont isolé d'eux même). D'où un certain nombre de recommandation que fait ce rapport dont quelques éléments sont illustratifs
- "Déterminer et dire clairement les apports spécifiques"
- "Approfondir la réflexion pédagogique sur quelques sujets fondamentaux : technologies de l'information et de la communication et différenciation pédagogique ; technologies de l'information et de la communication et lecture ; technologies de l'information et de la communication et écriture"
- "Mieux valoriser les acquis des recherches existantes et en conduire d'autres"
- "Faire évoluer la forme des évaluations, surtout terminales"
- "..."
La deuxième partie envisage les conditions du dépassement du stade de l'innovation. Cette partie inventorie essentiellement les moyens nécessaires. On sera peut-être surpris de l'insistance sur les question matérielles, logicielles et de formation, tant ces sujets sont anciens. Leur actualité met bien en évidence l'absence de lecture des leçons du passé (cf le plan IPT). Au niveau du pilotage il y a un thème récurrent qui semble être un élément clé du pilotage, c'est celui de la "liberté pédagogique". Ce terme semble signifier un aveu d'impuissance des politiques menées, ou tout au moins une frontière difficilement franchissable. Le rapport mise beaucoup sur les politique des réseaux. Isomorphisme entre la forme (les réseaux informatique) et le fond (les réseaux d'êtres humains), il semble que les réseaux (pourvu qu'ils fonctionnent bien) semblent être au coeur des stratégies de banalisation.D'ailleur la liste des recommandations qui suit cette deuxième partie est particulièrement explicite. On peut y lire ces lignes volontairement extraites de leur contexte :
- "Obtenir des environnements de travail adaptés à l'enseignement"
- "Réorganiser les réseaux institutionnels de ressources pédagogiques numériques ou, du moins, mieux les coordonner"
- "Construire les outils d'un dialogue efficace"
Pour faire face aux problèmes nouveaux, le rapport propose d'abord de les identifier. Questions juridiques en premier, puis question de marché éducatif et paraéducatif, question d'évolution des contenus disciplinaires, l'ensemble étant sympbolisé par trois schémas qui montrent la "porosité" du système éducatif et des questions qui en découlent. Là encore quelques recommandations vont dans le sens d'un renforcement des initiatives que l'institution centrale peut prendre de façon à ne pas être "surprise" par ces évolutions.
Car il semble bien à la lecture de ce rapport que la question centrale soit la redéfinition du pilotage national à partir de la prise en compte de l'évolution de la place des TIC dans la société. Cette évolution étant symbolisé par cette "porosité" de plus en plus forte de l'école. Et c'est finalement là le questionnement essentiel : dans une société qui était traditionnellement considérée comme cloisonnée, émergent des échanges nombreux, incontrôlés et souvent inattendus, bref incertains. Le pilotage d'un système éducatif ne peut s'en tenir à des équipements sporadiquement installés dans les établissements, pas plus qu'elle ne peut s'en tenir à des formations ou des incitations à la production. Ce rapport suggèrerait donc en filigranne l'émergence d'une nouvelle école dont les contours se dessinnent progressivement et dont les TIC sont le révélateur à défaut d'en être le cataliseur.
Bruno Devauchelle
Cepec
Rapport de l'IGEN sur le développement des réseaux dans l'enseignement. http://www.education.gouv.fr/syst/igen/rapport.htm