Oriane Petiot : S’engager jusqu’au risque en EPS
L’éducation à la sécurité peut-elle se passer du risque ? Comment favoriser l’engagement des élèves jusqu’au risque tout en assurant leur sécurité ? En EPS, cette notion est omniprésente et représente un véritable enjeu au quotidien. Oriane Petiot, PRAG à l’UFR STAPS de Rennes, a coordonné un ouvrage intitulé « Le risque » aux éditions Revue EPS. Elle répond à nos questions.
Vous avez coordonné un ouvrage sur le risque aux éditions Revue EPS. En quoi cette notion pose la question de l’engagement ?
Cette année, le sujet du CAPEPS invitait les candidats à ce questionnement sur la notion d’engagement durable, qui constitue la fin et le moyen d’un mode de vie actif et solidaire. Force est de constater que la question de l’engagement reste cruciale dans notre discipline.
Dans cet ouvrage, j’ai souhaité spécifier la question de l’engagement aux activités dîtes « à risque ». En EPS, toutes les activités sont potentiellement génératrices de risque. Mais certaines d’entre elles, bien que peu accidentogènes dans les faits – et heureusement car lorsqu’elles le sont, c’est souvent dramatique – sont dans notre imaginaire plus risquées que d’autres. C’est le cas des activités physiques de pleine nature (APPN), qui posent particulièrement de soucis aux candidats au CAPEPS et à l’Agrégation d’EPS. Ils doivent proposer des projets d’intervention dépourvus de risque objectif sans tomber dans une dérive sécuritaire. Ce curseur est aussi difficile à trouver pour nous, enseignants d’EPS, ce qui peut engendrer des garde-fous parfois contradictoires avec une réelle confrontation des élèves à la logique interne de l’activité (la pratique prioritairement collective en course d’orientation en est un exemple). Ces activités occupent donc une place majeure dans l’ouvrage. Quels sont les ressorts d’un tel engagement, et quelles formes pourrait prendre un enseignement qui assumerait de composer avec le risque en EPS ?
En quoi le risque est une notion complexe ?
L’article introductif de l’ouvrage tente de cerner les contours de cette notion très complexe, polysémique, ambivalente, à l’origine encore floue, et aux catégorisations multiples. En particulier, nous y distinguons le risque objectif – qui se veut mesurable scientifiquement, et non soumis à l’interprétation – du risque subjectif, qui concerne davantage l’expérience que chaque individu fait du risque. La question du « risque acceptable », qui a pour l’instant davantage envahi le domaine des assurances que celui des STAPS, est également posée. Il est le fruit d’un calcul mettant en lien la probabilité qu’un accident survienne et la gravité potentiellement générée par sa survenue. La crise du Covid-19 pose fondamentalement la question du risque que la société est prête à accepter ou non. Mais cette frontière est loin d’être évidente à établir. Si pour certains médecins, il aurait fallu reconfiner la France dès janvier – ce qui traduit la perception d’un risque non acceptable – , pour le gouvernement, des décisions fortes pouvaient attendre mars.
Les enseignants agissent en classe selon un processus relativement similaire et tout autant subjectif. En fonction de raisons multiples liées à sa propre histoire, et au contexte d’enseignement, un collègue va accepter d’enseigner l’escalade en tête à ses élèves, quand un autre, pour des raisons qui lui appartiendront, le refusera. Chacun possède sa frontière entre le risque acceptable et celui qui ne l’est plus. L’important étant de respecter la législation en vigueur et surtout, de ne pas confronter les élèves à un risque non maitrisé.
Vous évoquez un dilemme chez les enseignants entre une recherche de sécurité et une certaine culture du risque en EPS ?
Oui, cette question fait partie des nombreux dilemmes inhérents au métier d’enseignant. A l’évidence, il est fondamental que nos élèves ne s’engagent pas dans un risque objectif. Le respect de certaines règles de sécurité est à ce titre un pré-requis essentiel avant toute autre acquisition. En escalade, par exemple, l’automatisation de l’assurage en cinq temps constitue une compétence préalable incontournable, avant même que les élèves ne s’engagent sur le mur. Par la suite, la sécurité reste évidemment un apprentissage permanent, mais ne devraient pas brider l’engagement des élèves dans des situations signifiantes. Le rapport André et Quenet, intitulé « L’exigence de la sécurité dans les activités physiques de pleine nature » (2016), concède lui-même que « ce qu’il faut apprendre à faire, il faut le faire pour apprendre ». Comment penser enseigner à l’élève des habiletés de sécurité qui soient gages d’un engagement autonome, s’il n’est pas a minima et de façon encadrée confronté à une certaine dose de risque ?
En EPS, il est impensable de ne pas assurer scrupuleusement la sécurité des élèves. Mais il l’est aussi de les priver des enjeux majeurs qu’une confrontation au risque subjectif suppose. Plutôt que contradictoires, sécurité et risque gagneraient à être entendus de manière plus complémentaire : au-delà des compétences préalables incontournables, les habiletés de sécurité comme la capacité à maitriser ses émotions, se construisent et prennent du sens dans un engagement ambitieux de l’élève. C’est ce qui fait dire à D. Delignières qu’enseigner l’escalade de bloc en EPS reviendrait à proposer de la natation dans le petit bain. Convaincue des apports potentiels du bloc, je ne serais pas aussi tranchée. Mais je comprends son pont de vue et le partage en grande partie.
Vous invitez dans l’ouvrage à jouer avec le risque en Escalade ?
Dans le cadre de mes travaux de recherche, je m’intéresse aux modalités d’intervention des enseignants susceptibles de favoriser les émotions positives et l’engagement des élèves en EPS. Dans ce cadre, la question du jeu se pose de façon presque naturelle. De tous temps, le jeu a animé les hommes, ce qui explique pourquoi tant de chercheurs se sont saisis de cet objet d’étude, quelle que soit leur perspective d’analyse (anthropologique, psychologique, psychanalytique, etc.). Ce qui ressort de façon relativement unanime, c’est que le jeu transporte l’individu dans un autre monde. S. Freud reliait d’ailleurs le jeu au domaine du rêve : celui qui s’y adonne peut laisser libre cours à son plaisir, et scénariser sa réalité. « Jouer avec le risque » peut apparaitre paradoxal à première vue. Mais le jeu, souvent associé à la légèreté et à l’insouciance, s’oppose-t-il vraiment à la question du risque ? Le parti-pris est de dire que le jeu peut constituer un trait d’union entre l’élève et le risque, à travers deux processus majeurs. Premièrement, il peut donner du sens à certaines compétences incontournables en escalade, qui apparaissent parfois contradictoires avec l’engagement moteur effectif (règles de sécurité ou réflexivité au sol, notamment). Deuxièmement, le jeu peut contribuer à masquer le risque subjectif, favorisant ainsi un engagement de l’élève au-delà de ce qu’il aurait sans doute produit sans forme jouée, comme si les frontières du risque acceptable étaient reculées. Pour certains élèves, qui présentent une appréhension particulièrement élevée en escalade au début de cycle, ce levier est loin d’être négligeable.
Le métier de professeur d’EPS serait-il un métier à risque ?
Dans une période où la réalité du quotidien des soignants nous saute aux yeux, s’ajoutant à celle des pompiers, des militaires, ou de tout autre profession plus traditionnellement associée au risque, il parait presque indécent de se questionner sur la part de risque inhérent au métier d’enseignant d’EPS. Et pourtant, comme de très nombreuses professions, l’enseignement de l’EPS expose les individus à un certain nombre de risques.
Ces risques peuvent notamment être corporels, psychologiques, et affectifs. Premièrement, les risques corporels concernent les problèmes récurrents de blessures, et plus généralement d’usure physique, qui ressortent de certains rapports comme celui de la DEPP intitulé « Etre professeur d’éducation physique et sportive en 2009 » (2010). Deuxièmement, les risques psychologiques font référence aux problématiques de souffrance au travail, de burn out et de stress, liés notamment à la transformation des contextes d’enseignement auxquels sont confrontés les collègues. Enfin, les risques affectifs, intimement liés aux précédents, renvoient aux dimensions émotionnelles du métier. La confrontation au regard d’une classe, le surplus de responsabilités liées à la préservation de l’intégrité physique des élèves, le nécessité de ne pas « perdre la face », sont autant d’exigences qui peuvent fragiliser la santé des collègues.
Pour autant, si C. Blanchard-Laville disait déjà en 2001 que les enseignants évoluent « entre plaisir et souffrance », c’est aussi parce que ces risques possèdent une forte ambivalence. S’ils peuvent générer des désagréments, ils sont aussi susceptibles d’apporter des bénéfices qui définissent encore aujourd’hui la beauté du métier.
Propos recueillis par Antoine Maurice
Oriane Petiot, Le risque, Edition Revue EPS, ISBN 9782867135774
La page concernant l’ouvrage sur le site de l’auteur
Par fjarraud , le vendredi 21 mai 2021.