Agnès Van Zanten : De la fabrique de l'orientation au marché de l'éducation
Comment se construisent les inégalités dans l'orientation post bac des lycéens ? Quelle part les lycées y prennent-ils dans la façon dont ils traitent l'orientation de leurs élèves ? Agnès Van Zanten (Liepp Sciences Po) a entrepris d'observer de près les politiques d'établissement. Au delà des énormes différences d'approches, elle montre comment les lycées, et particulièrement les établissements les plus populaires, participent involontairement à une marchandisation accélérée du supérieur qui passe par les salons de l'orientation.
Une recherche portant sur des milliers de lycéens
Les inégalités d'accès au supérieur sont bien connues. Et cette question est souvent abordée sous l'angle de l'origine sociale des élèves ou des mécanismes d'affectation comme Parcoursup. Directrice de recherche CNRS à l'OSC et co-directrice de l'axe Politiques éducatives au LIEPP Sciences Po, Agnès Van Zanten a entrepris d'étudier la construction sous un angle original : celui des pratiques d'établissement. Comment la façon dont l'orientation est abordée dans les lycées influe sur l'accès au supérieur et la construction des inégalités. Une approche qui a l'avantage de pouvoir déboucher sur des préconisations faciles à mettre en place.
Sa recherche, appelée Accesup, est toujours en cours. Mais le 14 juin elle en présentait de premiers éléments à l'occasion du colloque "30 ans de changement social" organisé par l'Observatoire sociologique du changement de Sciences Po.
Pour Accesup l'équipe d'A van Zanten a interrogé 1200 lycéens, 1450 visiteurs de salons de l'orientation dont 450 parents et 350 proviseurs franciliens. Elle a aussi suivi de près 4 lycées franciliens, dont un privé, deux lycées favorisés et deux défavorisés.
Des pratiques d'orientation inégales selon les lycées
La première constatation c'est que les lycées n'ont pas la même pratique de l'orientation. Ainsi dans le lycée A, très favorisé, l'orientation vers le supérieur est abordée dès le jour d'accueil des élèves de 2de. L'orientation va se travailler de la seconde à la terminale, avec de nombreuses réunions et des activités collectives. Tous les enseignants, la direction et même le personnel de surveillance y participent. Le lycée allait jusqu'à mettre en ligne sur son site un guide d'APB permettant aux parents de connaitre toutes les ficelles pour avoir la meilleure stratégie possible ! Dans ce lycée les élèves sont très canalisés vers quelques filières et 85% d'entre eux iront en classe préparatoire.
Dans le lycée D, plus populaire, on ne commence à évoquer l'orientation qu'à partir de l'ouverture d'APB. Les professeurs interviennent peu car ils sont pris par d'autres questions : le décrochage, les difficultés des élèves... Seule sera assurée une formation sur la procédure APB mais uniquement sur la saisi des voeux sans aucune visée stratégique. Le lycée délègue donc largement aux élèves leur orientation.
Quand le lycée A fait une réunion sur APB c'est une explication complète sur la stratégie à utiliser. Dans le lycée D cela reste uniquement procédural.
Le résultat c'est que le lycée D , comme beaucoup de lycées des quartiers populaires, délègue beaucoup aux élèves et finalement ceux ci vont se tourner vers les salons de l'orientation.
Salons de l'orientation et marchandisation
Ils vont d'autant plus le faire que ceux ci se présentent toujours comme une continuité du service public alors qu'ils s'agit bien de salons marchands. Ils sont remplis de stands d'écoles privées, un secteur qui est en pleine expansion. Les conférences proposées sont présentées là aussi comme un service public.
Les discours tenus aux jeunes dans les salons sont à l'opposé de ce que dit le lycée. Au lycée tout semble impossible à ces jeuens des quartiers, explique A van Zanten. Dans les salons tout est possible. L'image qui est renvoyée du supérieur est totalement faussée. Enfin les écoles font largement appel à des "ambassadeurs" jeunes capables de convaincre plus facilement d'autres jeunes.
"Quand ils construisent leur projet, les élèves défavorisés, qui sont peu canalisés, sont victimes de l'envahissement du supérieur par le secteur privé soit parce qu'ils passent par les salons, soit parce qu'ils utilisent Internet", explique A van Zanten. A l'inverse les lycéens privilégiés sont très canalisés par leur établissement.
La conclusion qu'A van Zanten en tire c'est que quand on étudie les inégalités dans l'orientation il ne fat pas s'en tenir à une approche en terme de catégorie sociale , de l'influence de la famille. Il faut aussi s'intéresser aux pratiques des lycées et à la marchandisation du supérieur.
Cette étude devrait faire réfléchir les lycées sur leurs pratiques d'orientation. Elle devrait aussi amener les autorités académiques ou ministérielle à prendre davantage de distance avec les salons de l'orientation.
François Jarraud
Inégalités a l'école et politiques publiques
Par fjarraud , le vendredi 15 juin 2018.