Laurent Reynaud : Une classe coopérative au lycée
Laurent Reynaud est professeur des SVT au Lycée Jacques Feyder d'Epinay-sur-Seine (93). En lien étroit avec ses collègues des autres disciplines, il a choisi de développer une pédagogie axée sur la coopération afin de s’appuyer sur les points forts de chaque élève pour développer une progression commune. Il a participé au 10ème Forum des enseignants innovants qui s'est tenu à Paris les 2 et 3 Février.
Qu’est-ce qui vous a poussé à aller vers une pédagogie coopérative ?
J’enseigne depuis quelques années au lycée et j’accompagne en parallèle de jeunes enseignants. Avec les collègues, nous constatons que l’hétérogénéité de niveau des élèves est un problème que nous partageons tous, que l’on soit expérimenté ou débutant. En plus de la prise en compte de cette hétérogénéité, nous devons prendre en compte la diversité des jeunes, proposer des activités et des remédiations spécifiques et mettre en place un accompagnement personnalisé. Or les effectifs des classes et le temps disponible rendent difficile cette prise en compte de manière efficace.
De cette situation découle, selon moi, trois frustrations. Une frustration des élèves en difficulté qui tombent dans l’inaction face au travail, dans la dévalorisation d’eux mêmes et, parfois même, dans le décrochage scolaire. Une frustration des élèves qui avancent plus vite et qui ont l’impression que les activités ne répondent pas à leurs appétences scolaires. Une frustration de l’enseignant qui parvient difficilement à appliquer la personnalisation des apprentissages et à entrainer tout le groupe classe dans une dynamique de travail et de progression.
Dès lors, il parait intéressant d’essayer de changer d’état d’esprit face à ce problème en envisageant cette hétérogénéité, non pas comme un obstacle à franchir, mais comme un outil de travail.
Les collègues de l’équipe pédagogique ont ils adhéré facilement à ces nouvelles modalités d’enseignement ?
Le lycée Jacques Feyder, dans lequel j’enseigne, est caractérisé par un fort taux d’innovation (classes Interdisciplinaires, classe sans notes, classe média, nombreux projets,...). Ce contexte favorise la prise d’initiatives pédagogiques et l’adhésion des collègues du lycée qui ont l’habitude de tester de nouvelles pratiques.
Au départ, nous étions trois collègues à réfléchir à la classe coopérative en amont avec un principe clair : ne pas demander plus d’heures élèves ou de dotation financière qu’une classe de seconde classique afin de rendre possible les éventuelles transpositions.
Par la suite, les collègues qui ont rejoint l’équipe de la classe ont été d’accord pour suivre les modalités. Aujourd’hui, ils sont convaincus de ces pratiques et sont devenus moteurs à part entière.
Après un an de fonctionnement, on observe déjà que des dispositifs infusent à l’échelle du lycée (une seconde classe coopérative a ouverte cette année, des classes adoptent les conseils de classe participatifs, les conseils coop’...).
La classe est organisée en ilots. Quel est l’avantage de cette disposition de la classe ? A-t-elle ses limites ?
L’objectif étant de favoriser les interactions entre élèves, la configuration des tables en îlots s’est très vite imposée. Cette disposition favorise les discussions entre quatre élèves lors des phases d’échanges. Elle permet aussi des travaux en binôme et de mutualiser les productions sur un espace commun. Avec cette configuration, le travail n’est plus focalisé sur l’enseignant et sur le tableau mais sur l’échange entre pairs.
La disposition en îlot pose le problème de la perte de temps liée au déplacement des tables en début et fin d’heure. Pour pallier à cette contrainte, nous avons installé les élèves dans une salle unique où la totalité des cours sont dispensés. Cette configuration a deux effets majeurs : l’appropriation de l’espace par les élèves (affichage de production, outils de travail, …) et la responsabilisation des lieux avec la désignation de groupes responsables (gestion de la propreté, du matériel, …)
Vous avez mis en place des « conseils COOP’ ». De quoi agit-il ?
La volonté première était de focaliser notre travail sur le développement de compétences psycho-sociales utiles et nécessaires au « vivre ensemble » comme l’écoute des points de vue, la critique constructive, la force de proposition, la prise de responsabilités, la vision lucide sur soi et les autres. Difficile de le faire de manière transmissive ou à l’aide de quelques débats annuels ponctuels. Nous avons choisi de faire vivre ces compétences lors de tenues régulières où les jeunes sont amenés à s’écouter, à proposer, à convaincre et à prendre des responsabilités sur des problématiques liées à la vie collective de la classe : gestion de conflits, mise au travail, les élèves peuvent exposer leurs difficultés et cherchent ensemble des propositions pour les résoudre, projets de classe …
Le premier conseil coop’ de l’année est mené et cadré par deux enseignants qui distribuent les responsabilités du conseil coop’ (un président de séance chargé de rappeler les règles, de rythmer les échanges et de gérer le timing, deux secrétaires de séance, deux distributeurs de parole, un protecteur de parole,) et veillent aux respects des règles. Au fil des conseils coop’, le fonctionnement est délégué aux jeunes et devient progressivement autogéré, la parole se libère et ils s’en saisissent pleinement jusqu’à devenir source de propositions concrètes, voire parfois inattendues.
Vous avez mis en place une coopération intergénérationnelle avec la classe. De quoi s’agit-il ?
Nous avions à cœur de placer les élèves dans des situations d’apprentissage favorisant le développement de leur empathie naturelle. Nous avons alors mis en place des travaux d’EMC et d’Histoire en partenariat avec une maison de retraite et, plus récemment, avec le club senior d’Epinay sur Seine.
A travers ce dispositif, les élèves sont amenés à rencontrer régulièrement les seniors pour échanger à propos de diverses thématiques (évolution de la condition féminine, de l’immigration, du travail, …). Les fruits de ces échanges sont ensuite analysés par les élèves pour enrichir leurs enseignement d’Histoire et d’EMC. Cette coopération intergénérationnelle modifie non seulement la vision que chacun peut avoir sur l’autre mais amène les jeunes à adopter des postures d’attention et d’explication assez surprenantes.
Par ailleurs, cette coopération participe à renforcer le tissu social local car, lors des conseils coop’ suivant ces rencontres, on note une volonté unanime des jeunes d’intégrer les seniors dans leurs projets (invitation aux sorties, invitation sur le potager de la classe, …)
Quel bilan tirez-vous de ce nouveau mode de fonctionnement au sein de la classe ?
Après un an et demi d’expérience, le bilan de la classe coopérative repose sur de nombreux observables qualitatifs, par exemple les jeunes ont une meilleure confiance en eux par rapport au début d’année. Ceci se mesure par leur volonté de prendre la parole devant une assemblée, de défendre leur point de vue. Ils savent s’écouter, argumenter, travailler au sein d’une équipe en chuchotant. Nous observons aussi une autonomie d’organisation sur l’entraide dans le travail disciplinaire et sur les projets menés.
Les jeunes les plus rapides sont très frustrés par ce fonctionnement en début d’année. Ils ont l’impression de perdre du temps à aider leurs camarades et de ne pas progresser. A la fin du premier trimestre, on observe un changement dans leurs postures, ils s’investissent beaucoup dans les responsabilités de la classe et sont toujours volontaires.
Concernant l’évaluation quantitative du projet, nous manquons d’indicateurs et de données mais les absences diminuent très concrètement entre le début et la fin d’année, aucun jeune décrocheur n’est pour l’instant détecté.
Sur le plan scolaire, la classe coopérative ne fait pas de miracle. Il n’y a pas de progression significativement différente par rapport à une classe de 2nde classique.. Nous travaillons actuellement à la mesure quantitative de ce projet avec l’aide d’un chercheur qui accompagne les deux classes coopératives cette année.
Propos recueillis par Aurélie Badard
Par fjarraud , le mardi 06 février 2018.