Sylvie Girard-Sisakoun : L'accompagnement personnalisé : Surtout pas des heures de cours !
Un professeur est-il un accompagnateur, un accompagnant … ? Dans son dernier ouvrage Pratiquer l’accompagnement personnalisé Sylvie Girard-Sisakoun, agrégée de grammaire, professeure en lycée et en classes préparatoires, aborde des questions fondamentales sur les enjeux du dispositif et développe des perspectives pratiques, par le biais de fiches détaillées.
Pourriez-vous donner une définition de l'accompagnement personnalisé comme si vous étiez face à une classe d’ados de Seconde ?
Surtout pas des heures de cours ! Ni des temps de récréation ! Mais des heures où vous pouvez être en classe entière, en demi-groupes, parfois en individuel, avec vos camarades de classe ou pas, avec un de vos professeurs ou pas, mais qui ne vous fera pas cours. Vous allez travailler différemment afin de mieux comprendre, de trouver des réponses à vos questions, de mieux vous connaître vous -mêmes. Le professeur vous accompagne : il s’adapte, vous écoute, vous permet d’avancer, chacun à votre rythme.
Selon une publication officielle (1) l’accompagnement vise les lycéens qui rencontrent des difficultés ou ceux à qui l’on veut faire découvrir des métiers. Sert-il à développer la persévérance scolaire des élèves dans voie générale ou bien à organiser la réorientation des plus faibles dans d’autres filières ?
En fait l’AP n’a pour vocation ni de sélectionner les élèves, ni de les trier. Au contraire. Il s’adresse en effet à tous les lycéens, qu’ils rencontrent des difficultés ou pas, qu’ils aient une idée de leur filière ou du domaine professionnel qu’ils aimeraient explorer ou pas. Les quatre composantes de l’AP concernent : la méthodologie, le soutien, l’approfondissement tout particulièrement en classe de 2nde, pour s’adapter aux exigence du lycée et l’orientation, pour permettre de faire un lien avec l’avenir, qu’il s’agisse des filières, des domaines professionnel, des métiers…bref, pour envisager le Supérieur… Chaque lycéen peut donc trouver dans l’AP les stratégies pour avancer dans la voie qu’il a choisie, tout en sachant que ce n’est qu’un outil pour lui permettre d’acquérir et de consolider des compétences, mais aussi discerner ses points forts et ses points faibles.
Comment concevoir une interdisciplinarité qui ne soit pas la simple juxtaposition de deux matières qui s’ignorent, enseignées par de deux enseignants peu coordonnés ?
En fait, l’AP rompt avec une logique disciplinaire : les enseignants travaillent certes ensemble pour concevoir une cohérence pédagogique, mais ne sont plus des enseignants transmetteurs de savoirs. Ainsi, travailler les outils pour apprendre via par exemple les intelligences multiples, la gestion mentale ou toute autre technique cognitive n’est pas réservé à une discipline. L’interdisciplinarité devient alors un prétexte pour travailler une même compétence mais via des supports différents : ainsi, par exemple en est-il d’activités méthodologiques comme la lecture de consignes, la maîtrise de l’expression orale, ou encore l’anticipation d’une évaluation et la recherche de critères d’évaluation.
Mais l’accompagnant doit aussi apprendre à « lâcher prise » et ainsi laisser sa discipline de côté afin de mettre les apprenants au travail : pour anticiper une évaluation, rechercher des critères d’évaluation, faire des fiches de révisions, se renseigner sur des filières et des métiers, travailler en binômes…Il n’a plus à transmettre un savoir mais à accompagner pour faire acquérir des compétences transversales.
L’accompagnement s’appuie-t-il réellement sur une pédagogie innovante ? N’est-il pas souvent la simple réitération de l’enseignement conventionnel qui n’a pas marché pour l’élève ?
L’innovation consiste surtout dans le changement de posture de l’enseignant qui devient accompagnant et qui prend le risque de ne plus être le « passeur de savoirs » mais celui qui favorise une réflexion sur les stratégies mises en œuvre par chacun, les compétences propres à chacun, les failles, et les atouts de chacun. On a souvent tendance à confondre « accompagnement personnalisé » avec « aide individualisée ». Ce dispositif existait au lycée voici quelques années et concernait les mathématiques et le français. Nous étions alors des enseignants en charge des élèves les plus en difficulté pour les amener à refaire des exercices, reprendre des leçons ou revenir sur des évaluations. Parfois nous essayions de mettre en œuvre d’autres pédagogies, en expliquant différemment, en nous appuyant sur les stratégies mises en place par d’autres, mais souvent, nous n’avions d’autres recours que de réexpliquer plus lentement, en étant proche de l’élève, avec d’autres exercices.
En AP, c’est différent … ?
On peut parfaitement utiliser justement le groupe, à condition de ne pas dépasser la quinzaine de lycéens, pour mutualiser les compétences et les stratégies de chacun, pour faire pratiquer aussi l’autoévaluation, et expérimenter la semi-autonomie qui consiste à proposer aux élèves plus à l’aise de réfléchir, en petits groupes, à des concepts, à des évaluations à anticiper, et qui seront chargés, lors des séances suivantes, d’exposer devant la classe le fruit de leur recherche, forme modeste de classe inversée. Idem avec le monitorat : faire travailler un lycéen ayant des compétences en mathématiques par exemple avec un autre plus en difficulté ne consiste pas à se décharger et à mettre en place une relation à sens unique. Il est nécessaire de suivre ces binômes, de savoir où ils en sont, ce qu’ils font, ce qui achoppe, ce qui pourrait changer…bref, de les accompagner. S’appuyer aussi sur la gestion mentale et les intelligences multiples est un atout que l’on peut parfaitement convoquer, comme le montrent certains exercices. L’AP est un lieu idéal pour innover.
Comment un établissement doit-il choisir les élèves qui seront accompagnés ? L’accompagnement est-il efficient s’il est obligatoire (forcé) ?
C’est toute la question de la liberté d’être accompagné. Dans l’essence de l’accompagnement, il doit y avoir cette part de liberté inhérente à toute motivation. Or, le dispositif de l’AP, tel qu’il est conçu depuis 2010, est obligatoire pour tout lycéen, de la 2nde à la Terminale. Ce qui pose souvent problème, c’est autant la motivation des enseignants, souvent démunis devant un dispositif qui, s’il se veut efficace, doit permettre à chaque lycéen d’y trouver une motivation, mais qui demande, du coup, aux enseignants un changement de posture, une autre façon de faire, qui n’est pas innée et qui n’est pas au cœur des formations initiales des enseignants. L’enseignant ne sait souvent que faire durant ces heures, et se retrouve confronté à deux attitudes : soit il préfère faire cours, et donc passer à côté des enjeux de l’AP, soit il improvise, ce qui ne saurait se concevoir. On ne peut s’improviser accompagnant et les séances ne sauraient être soumises à l’aléatoire : certaines périodes peuvent être programmées, nécessitant que les lycéens aient des activités autour de la méthodologie ou de l’orientation, d’autres dépendront des évaluations diagnostiques, des conseils de classe, de l’avis de l’équipe pédagogique permettant de cibler les besoins. Pour rendre le dispositif efficace, il faut donc d’une part que l’équipe pédagogique s’accorde sur la progression des séances d’AP, le contenu, les possibles, les évaluations diagnostiques pour cibler les besoins, et d’autre part que l’établissement permette aux enseignants motivés de se former à ce changement de posture pour ensuite mutualiser ces compétences acquises.
Comment sait-on que l’accompagnement fait progresser un élève ?
L’AP s’inscrit depuis 2010 dans le planning d’un élève. Il doit maintenant s’inscrire dans le conseil de classe, ce qui est rarement le cas. Un suivi des élèves en AP, par le biais d’un cahier de suivi personnalisé, tenu par les lycéens sur leur trois années passées au lycée, mais aussi grâce à un port-folio, par exemple, qui rende compte non seulement du contenu des séances, du nombre de séances consacrées à telle activité, et de la progression annuelle, mais aussi de l’analyse faite par les accompagnants, au même titre qu’un bilan fait par l’enseignant dans sa discipline, permettrait d’envisager enfin l’AP comme un indicateur mais aussi comme un outil pour progresser. Cette lisibilité permettrait de faire le lien entre les attentes des enseignants, le niveau d’acquisition des compétences de l’élève, via leurs évaluations, et les activités mises en place en AP pour permettre d’améliorer ses résultats. La place de l’accompagnant dans un conseil de classe est par ailleurs indispensable, mais actuellement insuffisamment prise en compte : bien souvent, les enseignants d’une classe ignorent ce qui se fait en AP, tout comme l’accompagnant ne connaît ni les besoins des élèves, ni les attentes de ses collègues, sauf peut-être quand il est le professeur principal de la classe.
Propos recueillis par Gilbert Longhi
Sylvie Girard-Sisakoun, Pratiquer l'accompagnement personnalisé, Chronique sociale ed.
Note
1- Sur Eduscol
Par fjarraud , le mercredi 02 novembre 2016.