Bruxelles : Faire face à la journée d'après
Bruxelles démarre avec courage la journée d'après les attentats, celle où les élèves expriment leur peur et demandent "pourquoi". Retour sur la journée du 22 mars que le Café pédagogique a vécu avec une enseignante bruxelloise, Françoise Gruloos. Maintenant comment aider les enseignants à faire face à leur classe ? Agnès Florin et Serge Tisseron partagent leur conseils.
"On rassure les élèves" nous dit une professeure bruxelloise
"Elèves et professeurs sont très tristes, stupéfaits , dégoûtés". Professeure au Collège Roi Beaudoin, un établissement primaire et secondaire, général et professionnel, de Schaerbeek situé à quelques centaines de mètres d'un lieu d'attentat, Françoise Gruloos a partagé avec le Café pédagogique ces heures particulières. L'établissement compte de nombreux élèves issus de l'immigration.
"Malgré l'interdiction de sortir son téléphone portable en classe, les élèves ont tous été très vite au courant ... Il faut dire que les sirènes des ambulances et autres ont alerté tout le monde", nous dit F Gruloos. "On a autorisé les élèves à utiliser leur portable pour rassurer leurs parents". Pas de panique chez les jeunes, explique-t-elle mais une gestion plus difficile des parents. " On rassure les élèves en leur disant que dans l'école ils sont en sécurité".
Vers 11h du matin, le gouvernement de Wallonie Bruxelles a enjoint aux écoles de ne pas laisser les élèves sortir à midi sauf si leur parent vient les chercher. Un peu plus tard, une nouvelle circulaire, beaucoup plus longue, donnait une série de consignes de sécurité très détaillées sur le filtrage des entrées et le comportement à avoir en cas d'intrusion. Enfin à 15h20, un troisième texte . annonce l'ouverture de toutes les écoles le 23 mars.
"Interdiction de sortir avant 15h . Des sandwiches ont été commandés", nous dit alors F Gruloos. "Les professeurs restent pour aider les éducateurs à encadrer les élèves". Toute cette journée, les cours sont maintenus "dans la mesure où on peut penser à autre chose", dit-elle. "Certains professeurs n'ont pu descendre de leur train ce matin ... On parle beaucoup avec les jeunes... On en a tous besoin. Le covoiturage s'organise entre professeurs pour ceux qui habitent en dehors de Bruxelles".
Que dire aux élèves ?
"L'école en soi soigne", nous avait dit Agnès Florin, après les attentats de novembre à Paris. Professeure de psychologie, spécialiste de l'école maternelle, Agnès Florin invite à laisser s'exprimer les enfants et à donner toute sa place au sens du collectif. "Beaucoup d'enfants ont entendu parler des attentats. Ils ont vu à la télévision des scènes difficiles. Ils ont perçu l'inquiétude de leurs parents. D'autres ont été plus directement concernés par leurs proches. Certains se sont même retrouvés en situation de témoins. Pour les enfants sans lien particulier avec les événements, il est important de leur donner la possibilité d'exprimer ce qu'ils appris ou vu à la télévision. Attention : il ne s'agit pas de les forcer à s'exprimer mais de leur donner la possibilité de le faire s'ils en ressentent le besoin."
"Il faut donc parler des événements avec les élèves", nous avait dit aussi Serge Tisseron. Psychologue, psychanalyste et psychiatre de métier, Serge Tisseron présentait les points sur lesquels les enseignants doivent mettre l'accent dans le secondaire. "D'abord leur demander comment ils ont compris ce qui s'est passé. Il ne s'agit pas pour l'enseignant de prendre parti mais de laisser les jeunes dire ce qu'ils ont ressenti et compris. Dans beaucoup de familles on n'échange pas avec les enfants ou on ne donne qu'un seul point de vue. Il est très important que les jeunes soient confrontés à la diversité des points de vue. A partir de 9 à 12 ans, les enfants ont la capacité de se mettre émotionnellement à la place des autres. Ils sont capables d'écouter vraiment les autres. Ils peuvent développer de l'empathie pour les autres. Là où l'enseignant peut intervenir c'est pour mettre l'accent sur la solidarité. Il peut parler des secours, de l'entraide, de la mobilisation de tout le monde."
Reste la part des enseignants. Comment ne pas manifester son émotion ? Difficile de ne pas pleurer tous ces crimes. Impossible de faire face aux élèves sans révéler notre humanité. Ce mardi, les enseignants vont porter leur vrai manteau. Celui du transmetteur de connaissances qui éclaire, aide à comprendre ce qui se passe. Et celui de l'adulte qui rassure, qui ouvre des horizons de solidarité, d'espoir, de vie.
François Jarraud
Les consignes gouvernementales
Primaire : Les conseils d'Agnès Florin
Secondaire : les conseils de Serge Tisseron
Par fjarraud , le mercredi 23 mars 2016.