La chronique de Véronique Soulé: L'école de la "jungle" de Calais tient bon
L'Ecole laïque du Chemin des Dunes, dont le Café pédagogique avait couvert l'inauguration le 6 février (1), a survécu au démantèlement du camp. Mais elle est aujourd'hui au milieu d'un spectacle de désolation. Et les réfugiés, repoussés plus loin, ont désormais du mal à y accéder. Delphine, une calaisienne, documentaliste en collège, raconte ces journées difficiles. Voici son témoignage:
"On redémarre doucement. Après l'inauguration, on fonctionnait à plein régime. Dans la classe pour adultes où je fais cours le mercredi après-midi, on accueillait bien 40 élèves par jour. En plus, comme on a eu un afflux de bénévoles, on arrivait à travailler en petits groupes. Des séances de deux à trois heures. Et encore à la fin, les réfugiés nous demandaient: "c'est déjà fini ?"
Les deux premiers jours du démantèlement, on ne pouvait plus passer. Les forces de l'ordre ont commencé par le Chemin des Dunes. A côté et en face de l'école, il n'y a plus rien aujourd'hui. Il y avait beaucoup de violences au début et on se retrouvait souvent dans un nuage de gaz lacrymogènes.
Ca passe ou ça ne passe pas
Selon l'arrêté de démantèlement, les lieux de vie et de culture doivent rester en place. Donc l'école. Le problème est l'accès (à cette partie du camp). Parfois les CRS disent que ça passe, d'autres fois que ça ne passe pas.
Solidarité laïque (2) nous a fait des ordres de mission. Et nous présentons une pièce d'identité. Pour nos élèves, c'est plus compliqué. On se demande s'il ne faudrait pas une carte d'étudiant. Zimako (le réfugié nigérian à l'origine de cette école), qui était invité au Salon de l'éducation, aurait obtenu de la ministre que l'accès soit garanti.
Mercredi dernier, on a vu passer une vingtaine d'élèves dans notre salle. On se trouve dans une zone de tensions. Les réfugiés avec des caravanes sont allés dans la zone nord. Beaucoup sont partis mais ne savent pas où aller.
Peu sont allés dans les containers. Ils étaient déjà pleins. Et on y entasse 12 personnes dans 14 mètres carrés. Quand chacun s'assied dans son lit superposé, les genous se touchent. A Grande Synthe (le nouveau camp près de Dunkerque), ce sont des petits chalets pour 4 personnes...
Peur des rafles
Comme c'est loin, les collègues sont allés chercher les enfants dans la zone nord. Les familles ne les donnent plus. Elles ont peur des rafles en route. Les enfants eux-mêmes sont terrorisés quand ils voient des CRS. On s'est posé la question de trouver un minibus pour leur éviter de croiser des policiers.
Comme on a du mal à les amener ici, les collègues prennent des tables et des chaises pliantes et vont dans la zone des caravanes. Maintenant que tout est vide, on peut couper à travers les terrains...
J'ai vu assez peu de mineurs isolés mercredi, plutôt des jeunes autour de la vingtaine. Davantage de demandeurs d'asile qu'avant - des Afghans des Soudanais, des Irakiens, un Tchadien qu'on n'avait jamais vu. Certains ne parlent pas l'anglais. Comme on passe par l'anglais pour enseigner le français, on fait autrement.
Ils sont plus forts que nous
Hier, j'ai amené une collègue enseignante qui n'était jamais venue ici. Elle a décide de revenir, une ou deux fois par semaine.
Non, nous ne sommes pas découragés. Il faut maintenir cette école coûte que coûte. Ils ont besoin de nous. Et nous aussi, on a besoin d'eux Si on n'y va pas, on n'est pas bien, on culpabilise. On lie de belles amitiés. On doit garder le lien avec eux, les assister dans leurs démarches.
Quand j'y suis retournée pour la première fois après le démantèlement, j'avoue que je n'ai pas pu retenir mes larmes. Les réfugiés, eux, arrivent à garder le sourire. Ils nous tapent dans le dos, ils nous disent: "allez, ça va aller..". Ils sont plus forts que nous. Ca donne envie de se battre."
Véronique Soulé
(1) Voir l'article
Par fjarraud , le lundi 14 mars 2016.