Faut-il scolariser les tablettes pour les faire entrer à l’école ?
A en juger par le public très nombreux, la question des tablettes travaille le monde enseignant. Le président de la République lui-même les a mis en avant. Mais la question de leur adaptation à l’univers de l’Ecole reste posée. Organisée par Le Café pédagogique, le 26 novembre, dans le cadre d’Educatice, la table ronde fait appel aux expériences d’enseignants et aux analyses des chercheurs. C’est aussi du contrôle que les enseignants doivent avoir sur leur métier et leur pédagogie dont il va être question au final.
Certains établissements avec les collectivités locales de tutelle, ont choisi de mettre à disposition des élèves une tablette grand public, d'autres ont choisi une tablette scolaire, d'autres enfin de mettre en place un environnement de contrôle des tablettes.
Gaëlle Charcosset, enseignante en collège à Chalon sur Saône, souligne que l’usage des tablettes fait de l’enseignant un pilote pédagogique de la classe car il a la main à distance sur les activités des élèves à l’aide d’un logiciel appelé « manager ». Ainsi il peut préparer son cours, le distribuer aux élèves, les suivre dans leur travail et recevoir leurs travaux. Cette maîtrise n’empêche pas une production par les élèves, notamment dans une dimension coopérative par petits groupes. Les tablettes favorisent la différenciation dans les apprentissages de chaque élève et dans cet ordre d’idée peuvent simplifier la prise en charge des élèves dys qui ont des besoins propres à leurs difficultés spécifiques. Les avantages des tablettes managées par le professeur confèrent un statut éducatif à l’erreur en permettant aux élèves des tâtonnements formatifs permettant in fine une réussite dans les apprentissages. En l’occurrence, la pédagogie à l’aide du numérique permet à l’enseignant de suivre en temps réel ou en différé les essais et les erreurs des élèves notamment pour une évaluation de leurs progrès.
Yves Cohen, ancien directeur d’école, a utilisé de longue date le numérique à l’école primaire et en maternelle à l’aide du tableau interactif, de logiciels qu’il a développés avec des collègues enseignants (reconnus RIP à l’époque). Il constate que l’outil transforme la pédagogie standard. Notamment il insiste sur l’émergence de l’individualisation des apprentissages par une gestion méthodique de l’erreur par les logiciels. Yves Cohen, sans dénier à l’industrie numérique une aptitude à mettre sur le marché des produits didactiques est néanmoins à l’initiative d’une production d’outils conçus par des enseignants pour leurs pairs. Ces produits développent une vigilance spécifique aux besoins des écoles notamment d’un point de vue pragmatique pour la maniabilité et l’opérationnalité des produits mis à disposition.
Pour Pierric Bergeron enseignant documentaliste au lycée expérimental de Poitiers, le projet d’établissement prévoit que les adolescents jouissent d’une autonomie effective. Dans ce contexte leur tablette individuelle est subdivisée en deux part égales 50% pour un usage privatif (musique, messagerie) ; 50% pour les activités scolaires. Le contrat ne pose en général pas de problème dans son application. Néanmoins, les lycéens ont tendance à avoir une utilisation peu dynamique de la partie scolaire de leur tablette qu’ils consultent surtout comme manuel scolaire ou fond documentaire traditionnel.
François Villemonteix, maitre de conférences, dans le cadre de ses recherches à l’université de Cergy à étudié l’utilisation des tablettes dans un panel d’écoles. Il s’agit d’un processus varié fortement dépendant d’un contexte local. Néanmoins, globalement, les enseignants ont à s’adapter à une technologie complexe (le numérique) dans un monde complexe (l’école). En ce qui concerne les contenus, le modèle industriel développé par les entreprises de production n’est pas celui de l’école. Toutefois une forme de modus vivendi semble se mettre en place de manière très factuelle au fur et à mesure de l’extension du numérique didactique et pédagogique. Si la question des contenu ne semble pas faire obstacle il n’en est pas toujours de même pour les pratiques pédagogiques. L’individualisation qu’implique l’usage des tablettes n’est pas courante dans la culture scolaire. Les enseignants inventent tous les jours l’utilisation collective d’un outil prévu pour un usage individuel voire solitaire. Dans cet ordre d’idée, il est à noter que l’effort d’ajustement des enseignants est polymorphe puisque parallèlement ils doivent initier les élèves au maniement du numérique tout en avançant dans les apprentissages prévus au programme.
Piloté par Bruno Devauchelle, rédacteur au Café pédagogique et professeur associé à l'université de Poitiers, le débat initié par le Café laisse apparaître que les enseignants sont les principaux prescripteurs d’achat des applications qui sont accessibles sur les tablettes numériques utilisées en classe. Les contenus didactiques disponibles sur le marché sont pour la plupart du temps les résultats de concertations entre les industries du numérique et des groupes d’experts cooptés parmi les enseignants qui, dans une sorte de dialectique avec les entreprises production, constituent un accord temporaire. Par ailleurs des groupes d’enseignants conçoivent eux même sous des labels indépendants des applications offrant toute garantie didactique et pédagogique. Dans cet ordre d’idée, des équipes de professeur constituent des mooc en mode collaboratifs où les ressources didactiques et pédagogiques sont partagées en laissant s’exprimer la créativité collective.
Ce qui prédomine c’est la liberté des enseignants par rapport aux produits du marché et leur discernement pour les utiliser à bon escient en conservant leur autonomie et leur esprit critique. Néanmoins dans certains cas on observe une utilisation atone de la tablette comme simple substitut des manuels papiers et des polycops d’antan sans aucun souci d’innovation pédagogique à la clé. En l’occurrence, le numérique se superpose à une pédagogie standard sans réellement l’amender.
Quant à la question de la scolarisation des tablettes, à l’origine de la table ronde, il apparaît que si elle est inévitable, elle prend des formes multiples. Chacun des témoignages apportés permet de comprendre qu’il y a une contextualisation des modes de scolarisation des tablettes. Ce processus dépend d’une part des produits mis à disposition et d’autre part des logiciels de « pilotage » des tablettes mis à leur disposition. La liberté ou non d’aller sur Internet, d’installer des applications, d’utiliser toutes les applications est un choix qui doit relever des équipes pédagogiques et non des seuls concepteurs des produits. Cette adaptation aux équipes enseignantes reste encore difficile aussi bien de la part des constructeurs que des financeurs/prescripteurs des équipements qui ont du mal à comprendre cette question de « pilotage » par l’enseignant plus que de « contrôle ».
Gilbert Longhi
Par fjarraud , le vendredi 28 novembre 2014.