Défendre et transformer les IUFM
Dans une tribune publiée par Le Monde le 22 février, Gérard Sensevy, professeur à l’IUFM de Bretagne, Yves Chevallard, professeur à celui d’Aix et Loïs Lefeuvre, directeur de l’IUFM de Bretagne, plaident pour une transformation des IUFM. Ils s’en expliquent.
Vous publiez une importante tribune dans le Monde, dans laquelle vous appelez à refonder les relations entre les IUFM et le terrain. Cela signifie-t-il pour vous que des "savoirs de métier" ne seraient pas assez pris en compte par les IUFM, même au moment où ils avaient plus de temps pour former les enseignants ?
Notre conception des savoirs, telle qu’elle est alimentée par nos recherches et les autres en ce domaine, nous amène à penser que dans un enseignement digne de ce nom les manières d’enseigner, les gestes d’enseignement sont entrelacés aux contenus proprement dits de manière indissociable.
Nous aurions donc tendance à considérer que les « savoirs de métier », pour un professeur, consistent précisément dans la capacité à lier savoirs et action, à faire en sorte que les savoirs donnent forme à l’activité, et que l’activité donne forme aux savoirs. Dans une telle perspective, la formation à ces « savoirs de métiers », qui lient inextricablement action et savoir, ne peut se satisfaire du dualisme si commun aujourd’hui entre « gestes professionnels » émancipés des contenus, et « savoirs » étudiés seulement pour eux-mêmes. Ce qui guette un professeur, c’est enseigner sans (vraiment) savoir ou savoir sans (vraiment) enseigner. Ce qui est le plus difficile dans le métier de professeur, c’est de faire vivre dans l’action didactique des savoirs auxquels on a établi un rapport profond, pour que les élèves puissent construire eux-mêmes ce type de rapport. C’est ce que les IUFM ont commencé d’initier, et c’est selon nous dans cette direction qu’ils doivent se développer. Pour le dire autrement, en formation universitaire des professeurs (master), dans les IUFM transformés que nous appelons de nos vœux, il n’y aurait pas d’abord le temps du disciplinaire, puis ensuite le temps du didactique, et enfin le temps professionnel de la mise en œuvre, mais un entrelacement intégré de ces trois dimensions de la formation.
Si les IUFM et les établissements sont deux acteurs essentiels de l'Education, vous ne parlez pas des formateurs qui assurent l'essentiel de la formation des débutants et des enseignants (ou ce qu'il en reste) : les conseillers pédagogiques et les formateurs du premier et second degré. Quelle place spécifique doivent-ils occuper, et de quoi ont-ils besoin pour être plus efficaces ?
La « nouvelle alliance » entre professeurs et chercheurs que nous appelons de nos vœux est en fait une nouvelle alliance entre tous ceux dont la responsabilité consiste à un moment ou à un autre à former les professeurs, et donc à (re)définir, pratiquement et théoriquement, la profession. Parmi eux figurent en particulier les corps d’encadrement de l’Éducation nationale.
Dans cette perspective, pour le premier degré, en renforçant les liens entre formateurs en IUFM, chercheurs et maîtres formateurs, et en ouvrant davantage ces collaborations aux conseillers pédagogiques du premier degré, il sera possible de concrétiser cette « alliance » sous la forme d’équipes de recherche et de formation. Ainsi, les conseillers pédagogiques qui connaissent le terrain de façon spécifique, qui travaillent avec les inspecteurs, et qui pour certains d’entre eux fréquentent la recherche, devraient jouer un rôle éminent dans la redéfinition de la profession de professeur. Ils nous semblent particulièrement bien placés pour faire vivre des relations fructueuses entre professeurs, IUFM, équipes de recherche, et encadrement. Leur meilleure efficacité nous semble dépendre à la fois de la reconnaissance de cette fonction d’interface par l’institution dont ils dépendent, et du développement d’une recherche spécifique à cette fonction d’interface, recherche dont ils devraient constituer, individuellement mais aussi collectivement, un élément moteur.
Pour le second degré, il n’existe pas vraiment de corps constitué de conseillers pédagogiques. Mais le principe défini pour le premier degré s’applique à partir du moment où l’on stabilise progressivement un réseau de formateurs du second degré à service partagé, ou de conseillers accueillant étudiants et stagiaires dans leurs établissements. Cela supposera une décision politique du ministère de l’Éducation nationale pour créer un cadre de collaboration renouvelé avec les IUFM, intégrant la reconnaissance des formateurs issus du second degré. Le rôle des autorités académiques et du corps d’encadrement des personnels sera là encore déterminant pour concrétiser l’existence d’un tel réseau.
Vous estimez que l'IFÉ devrait avoir un rôle important dans le chantier. Quels sont pour vous ses atouts, ses spécificités et ses faiblesses, qu'un nouveau projet national pour l'Education pourrait contribuer à réduire ?
L’IFÉ, au sein de l’ENS Lyon, pourrait contribuer à animer un programme national de recherche en éducation, en lien étroit avec les IUFM au sein des universités. L’INRP souffrait de son statut d’établissement public à caractère administratif. Placé au sein d’une grande école, l’IFÉ pourrait devenir, mutatis mutandis, une sorte d’INSERM pour la recherche en éducation. L’une des grandes spécificités de son rôle, sur laquelle nous voulons insister, tient selon nous à l’institution d’écoles, de collèges, de lycée, qui puissent constituer des lieux où la recherche sur la profession et l’exercice de la profession se fertilisent mutuellement. La clinique de l’éducation que nous appelons de nos vœux, c’est au sein d’écoles, de collèges, de lycées qu’elle trouvera son expression privilégiée. C’est dans cette direction, nous semble-t-il, que s’engage l’IFÉ, avec la création des LÉA (Lieux d’Éducation Associés à l’IFÉ), dont l’entreprise nous semble d’importance, et pourrait se révéler décisive.
Gérard Sensevy, Yves Chevallard, Loïs Lefeuvre
Propos recueillis par Marcel Brun
La tribune du Monde
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/0[...]
Par MBrun , le mercredi 29 février 2012.