INRP : Les opportunités de l'IFE
Par Eric Sanchez
"Le rapport préparé par Y. Winkin vient d'abord réaffirmer la nécessité de stopper le processus de dégradation de la recherche dans le domaine éducatif en France.. Il esquisse les grandes lignes d'une politique scientifique pour l'IFE". Pour Eric Sanchez, le rapport Winkin ouvre des opportunités d'avenir pour l'ex-INRP.
"Rendre tout son éclat à la recherche française en éducation" telle est l'ambition affichée par Yves Winkin dans le rapport sur l'avenir de l'Institut National de Recherche Pédagogique (INRP) [1] qui a été remis le 15 novembre à Luc Chatel et Valérie Pécresse. Ce rapport propose un scénario qui décrit l'intégration de l'INRP dans l'ENS de Lyon (ENSL) et sa refondation sous la forme d'un "institut majeur en France pour intervenir dans les multiples débats sociétaux sur l’éducation". L'Institut Français de l'Éducation (IFE), c'est la nouvelle dénomination retenue, aura alors pour mission de développer "une conception pragmatique de la recherche éducative, appuyée sur l’expérience et pensant d’emblée les implications pratiques des concepts qu’elle développe"`.
L'avenir de l'INRP semble donc se sceller à un rythme soutenu. C'est lors du conseil d'administration du 17 juillet dernier que B. Bigot, Président des conseils de l'INRP, présentait la décision des ministres. Le 3 septembre, J. Samarut, Président de l'ENSL, missionnait Y. Winkin pour la conduite du projet d'intégration. Depuis, des voix se sont élevées soit pour exprimer leur inquiétude de voir un mauvais coup porté à la recherche en éducation [2] soit pour dire leur opposition à ce projet d'intégration [3]. Ce refus a été réaffirmé lors de la conférence de presse qui, le 5 novembre, a conduit à la diffusion d'un communiqué signé par de nombreuses associations de chercheurs et d'enseignants [4]. Le jour de la remise du rapport aux ministres, les membres élus du conseil scientifique refusaient de siéger à un conseil où l'avenir de l'Institut n'était pas à l'ordre du jour. Ce refus faisait suite à la démission de dix des douze conseillers extérieurs. L'intersyndicale a depuis exprimé ses réserves sur le budget qui sera prochainement soumis au vote.
Dans ce contexte, le rapport préparé par Y. Winkin vient d'abord réaffirmer la nécessité de stopper le processus de dégradation de la recherche dans le domaine éducatif en France. Il vient également souligner le rôle de premier plan que l'INRP doit jouer pour "éclairer les politiques publiques d'éducation". Il s'agit alors de développer le potentiel de l'INRP pour fonder L'Institut Français de l'Éducation qui, en synergie avec l'ENSL, "a pour objectif de construire à Lyon une plateforme nationale et internationale de recherche en éducation". Ce projet repose sur trois principes stratégiques qui font appel à l'ouverture ("cultiver l'extraversion"), l'expertise ("devenir incontournable pour les partenaires") et la gouvernance ("développer une culture du projet et de l'anticipation"). On aimerait voir ajouter à ces trois principes stratégiques un quatrième qui serait la mobilisation des personnels pour s'assurer de l'acceptabilité et de la réussite de la refondation. Par ailleurs, d'un point de vue plus général, on pourrait ajouter que l'avenir de la recherche en éducation en France dépend de ce que nos politiques voudront bien en faire. Nos décideurs trouvent naturel de solliciter l'expertise de chercheurs pour prendre des décisions dans les domaines de la santé, du développement des infrastructures ou de l'économie mais, en matière d'éducation, c'est souvent le sens commun qui prévaut et la Cour des Comptes faisait récemment le constat accablant de l'incapacité du ministère à évaluer les politiques qu'il met en œuvre [5].
Le rapport esquisse également les grandes lignes d'une politique scientifique pour l'IFE. Cette politique réaffirme la nécessité d'un ancrage sur le terrain et donc le maintien du détachement d'enseignants du secondaire avec l'élargissement de cette possibilité aux professeurs des écoles. Elle reprend certaines des thématiques déjà portées par l'Institut et propose de les fédérer sous la forme de "programmes transversaux, sur des questions innovantes". Elle propose également l'ouverture de nouveaux chantiers comme celui de la pédagogie de l'enseignement supérieur. Le R d'INRP a disparu dans le nouvel acronyme mais, à la lecture du rapport, c'est bien l'affirmation d'une ambition renouvelée pour la recherche qui est affichée.
D'un point de vue organisationnel le rapport prévoit que l'absorption de l'INRP s'accompagne d'une réorganisation en "pôles", "recherche et formation" , "patrimoine scientifique" , "diffusion des savoirs", "agence de valorisation", et un pôle "fonctions supports" qui, "croisé avec les services administratifs de l'ENSL", signe la perte d'autonomie de l'Institut. Le rapport prévoit également de ne conserver que trois implantations sur les six actuelles. Le sort du Musée National de l'Éducation de Rouen est suspendu aux résultats d'un rapport de l’IGAENR et de l’IGAC. Plusieurs scénarios sont envisagés pour le Service d'Histoire de l'Éducation et c'est la disparition du site de Marseille qui est programmée. Enfin, du point de vue de la gouvernance, un nouvel organigramme devrait se mettre en place autour d'un directeur entouré d'un conseil de direction.
La réussite d'un tel projet dépendra de la motivation des différents acteurs et en particulier des personnels concernés. Quels sont les leviers sur lesquels agir pour renforcer cette motivation? C'est d'abord la question de l'autonomie, le sentiment à développer chez les personnels qu'ils ont la possibilité de peser sur les décisions qui seront prises et d'être responsables de leur avenir. C'est aussi l'importance de renforcer une culture d'établissement et le sentiment d'appartenance à une communauté qui œuvre dans la même direction. "L’INRP était un rassemblement d’intelligences individuelles ; l’IFE sera une intelligence collective au service de tous" écrit Y. Winkin. C'est enfin cultiver l'idée que le projet est réalisable et porteur d'avenir, pour l'institution comme pour les individus, et que les tutelles s'engagent fermement sur ce processus de refondation.
E. Sanchez
Université de Sherbrooke, QC
Sur le Café :
L'analyse du Café
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/11/2[...]
Le rapport
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoi[...]
Noces ENS / INRP la mariée n'est pas d'accord
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/10/[...]
Notes :
[1] De l'INRP à l'Institut Français de l'Éducation, au sein de l'ENSL une identité retrouvée, une ambition renouvelée, rapport présenté à Luc Chatel, Ministre de l’Éducation Nationale et à Valérie Pécresse, Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche par Jacques Samarut, Président de l’ENSL, préparé par Yves Winkin, Professeur à l’ENSL.
[2] Communiqué de l'AECSE du 15 novembre 2010
http://sauvonslinrp.blogspot.com/2010/11/communique-aecs[...]
[3] Communiqué Europe Écologie Rhône-Alpes des 21 et 22 octobre 2010
http://sauvonslinrp.blogspot.com/search/label/Communiq[...]
[4] Communiqué intersyndical du 5 novembre 2010
http://sauvonslinrp.blogspot.com/search/label/communiqu[...]
[5] Rapport de la cour des Comptes : l’Éducation Nationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves (mai 2010)
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/104000222/
Par fjarraud , le dimanche 21 novembre 2010.