Apprentissage des langues et nouvelles technologies
Réunir enseignants et chercheurs de haut niveau pour parler de l'enseignement des langues, voilà un projet bien ambitieux. C'est ce que proposait, le 21 mai, à l'E.N.S., le groupe Compas, une association qui réunit des chercheurs passionnés de nouvelles technologies et informés des résultats de la recherche en sciences cognitives, et Projetice, une association d'enseignants utilisateurs des tice. Au menu des questions qui intéressent l'Ecole : pourquoi est-ce si difficile d'apprendre une deuxième langue quand on est moins jeune ? Comment le cerveau apprend-il une langue ? Pourquoi garde-t-on un accent quand on apprend une seconde langue ?
"L'investissement dans un apprentissage très précoce des langues est rentable" affirme Anne Christophe, CNRS. Son raisonnement s'appuie sur une série d'études qui montrent que plus on apprend jeune une deuxième langue, meilleur sera le niveau atteint. C'est particulièrement vrai pour les bébés bilingues qui, très tôt sont capables d'apprendre deux langues. Le cerveau humain est apte à s'habituer et traiter plusieurs langues dans ses premières années. Plus tard, selon Anne Christophe, il y a un âge critique à partir duquel l'apprentissage est plus difficile. Il se situe peut-être après 6 ans. Après la puberté, il est certain que les mécanismes cérébraux qui n'ont pas été sollicités ne peuvent probablement plus être éveillés et l'efficacité des apprentissages diminue fortement. Pour la première langue il faut que la sollicitation arrive avant 3 ans.
Cela veut-il dire qu'il faille introduire 2 ou 3 heures de seconde langue dès la maternelle ? Les études effectuées portent sur des enfants en immersion familiale dans un nouveau pays et donc soumis en permanence aux deux langues jusqu'à au moins la puberté. L'efficacité de quelques heures par semaine de deuxième langue, comme c'est le cas dans le système scolaire, n'a pas été étudiée et les cognitivistes n'ont pas de réponse à cette question.
Pourquoi, même quand on parle très bien, garde-t-on un accent dans sa seconde langue ? Pour Emmanuel Dupoux, Ehess, plus qu'une question de prononciation, c'est une affaire d'écoute. Dans la première année de la vie, le bébé apprend à traiter le signal sonore et à identifier des phonèmes. Ce décodage phonétique est appris avant 12 mois et il induit des modes de traitement du signal sonore par le cerveau. Plus tard il n'arrivera plus, comme le montrent des études comparatives menées avec des locuteurs de différents pays, à décoder le signal sans que la langue première n'intervienne. On aura ainsi beaucoup de mal à "entendre" (c'est-à-dire acquérir) tel type de consonne ou de voyelle,ou tel accent tonal, si ceux-ci sont absents de la langue première.
Peut-on oublier une langue apprise, se demande Christophe Pallier, Inserm, et peut-on détecter des différences cérébrales entre les personnes dans le traitement du langage ? Les progrès réalisés en imagerie cérébrale permettent maintenant de voir comment le cerveau "fabrique" le langage, comment il s'active pour sélectionner des mots et une syntaxe.
Ainsi, certaines zones du cerveau sont activées par des phrases en français et pas en langue étrangère. Un bilingue va utiliser les mêmes aires pour traiter des tâches similaires dans deux langues, par exemple nommer une image, répéter des mots etc. Mieux le cerveau change en fonction des exercices linguistiques. On a pu montrer que l'apprentissage des langues varie selon la taille du cortex auditif (par exemple dans l'apprentissage de l'hindi), ou encore l'existence d'un rapport entre la densité de matière blanche dans l’insula (région réservée à l'articulation des mots) et la qualité de la pratique d'une langue.
Peut-on oublier une langue ou celle-ci reste-elle gravée à jamais dans le cerveau ? La recherche montre que des orphelins transplantés dans un autre pays avant la puberté peuvent totalement oublier leur langue première. Passée la puberté par contre, le cerveau garde des traces actives de celle-ci. Toute cela montre une étonnante plasticité du cerveau et amène à poser bien des questions. Le cerveau reste un continent encore à explorer.
Les interventions des enseignants amenaient les chercheurs à confronter leurs réflexions à des apprentissages au quotidien. Robert Tuffigo a montré comment utiliser des documents authentiques en classe avec Internet. Stéphane Busuttil a convaincu l'assistance avec sa technique d'utilisation de films sous-titrés en cours d'anglais.
Son intervention rejoignait une question des scientifiques : quels mots sont mieux reconnus à l'intérieur d'une langue ? Sont-ils davantage utilisés ? Les sous-titrages permettent justement ce travail statistique facilement sur le langage oral. Voilà une méthode adoptée par les chercheurs…
Par fjarraud , le mercredi 21 mai 2008.