Les résultats du sondage : Les enseignants choisissent leur politique éducative
Par François Jarraud
Les enseignants ont des positions nuancées sur les changements à apporter à l'Ecole. C'est le principal enseignement du sondage réalisé par Le Café pédagogique auprès de ses lecteurs. Les 12 et 13 mars, 1050 personnels de l'éducation nationale ont répondu à une quarantaine de questions reprenant les principales propositions des candidats à la présidence de la République. Si les enseignants sont très déterminés sur certains points, ils sont prêts à accepter des évolutions à condition qu'un vrai projet se dessine pour l'Ecole. Cette position tout en nuances donne des possibilités inattendues à une nouvelle équipe, à condition qu'elle ne soit pas sarkozienne...
Quel échantillon ? Nous avions prévu d'arrêter le sondage au premier millier de réponses complètes et validées ce qui a été atteint en moins de 48 heures avec 1050 réponses. N'ont pu se prononcer sur Internet que des lecteurs authentifiés sur le site du Café pédagogique, chacun ne pouvant se prononcer qu'une seule fois. L'échantillon est-il représentatif ? Ces 1050 personnes comprennent 81% d'enseignants, 9% de personnels de direction et 10% de cadres, formateurs etc. 36% enseignent dans le primaire, 29% en collège, 19% en lycée, 6% en L.P. On retrouve dans les réponses un éventail politique assez ouvert et des choix pédagogiques variés (par exemple 15% pour la revalorisation Sarkozy et 23% pour l'orientation précoce ce qui tend à valider la qualité de l'échantillon. Certaines questions, toujours issues des programmes des candidats, ne concernaient que certains niveaux. Enfin des questions ouvertes sur les changements attendus étaient proposées à tous et ensuite par niveau d'enseignement.
L'objectif du sondage était de confronter les enseignants et les cadres du système éducatif aux multiples propositions des candidats à l'élection présidentielle. Les enseignants ont pu faire leur choix. Et leurs réponses sont beaucoup plus nuancées que ce que l'on attendait. Il se dégage 5 grandes caractéristiques.
Un net rejet de la politique éducative de Nicolas Sarkozy
Pratiquement aucune réforme, aucune proposition de Nicolas Sarkozy ne trouve grâce aux yeux des enseignants. Le jugement est beaucoup plus négatif qu'attendu, par exemple sur l'aide personnalisée au primaire ou l'accompagnement personnalisé en lycée.
Les mesures générales comme l'évaluation et le recrutement par le chef d'établissement sont rejetées par près de 8 enseignants sur 10 seulement 14 et 17% les acceptent. 82% sont favorables à un moratoire des suppressions de postes, 85% pour de nouvelles embauches. L'orientation précoce, un des points du programme Sarkozy, qui permettrait d'expulser du collège les enfants difficiles, n'est soutenue que par 23% des enseignants, 70% sont contre. La proposition sarkozienne de revaloriser el salaire en échange de travailler plus n'est acceptée que par 15% des enseignants, 73% sont contre. Le rétablissement de la carte scolaire est demandé par 79% d'entre eux. Le seul trait durable du quinquennat c'est "l'accent doit être mis sur les fondamentaux" : 59% des enseignants sont pour.
A l'école primaire, l'aide personnalisée est nettement rejetée : 89% des enseignants sont contre son maintien en état. 74% demandent la suppression des évaluations nationales chères au coeur du ministre. 94% s'opposent aux suppressions des Rased. Dans les réponses libres, on note de nombreuses demandes d'un retour aux programmes de 2002, ce qui veut dire qu'au bout de 4 ans les programmes de 2008 ne sont toujours pas acceptés. Au collège, le Livret personnel de compétences est rejeté par 51% des enseignants, 40% souhaitent le garder. C'est un enseignement sur lequel on reviendra. Au lycée, le moratoire pour la réforme du lycée technologique est validé par 58% des enseignants seulement 14% sont contre. Seulement un enseignants sur dix est pour le maintien en l'état de l'accompagnement personnalisé, 80% sont contre. En lycée professionnel, la proposition de mettre en alternance la terminale pro ne recueille que 14% d'avis favorables, 86% sont contre.
"Foutez-nous la paix !"
Dans les questions ouvertes, à tous les niveaux, les enseignants manifestent spontanément un véritable ras le bol contre la pression hiérarchique. "Laissez-nous travailler" disent plusieurs profs. " Que cesse le mépris affiché à notre égard par nos gouvernants depuis dix ans" dit un autre. " Le monde enseignant autour de moi ( jeunes et anciens) est fatigué de toutes ces pressions que nous venons de subir ces dernières années et de la politique de dénigrement dont nous sommes la cible ! Qui peut croire que nous ne sommes que des fainéants toujours en vacances, en grève, immobiles !! Jaloux ou pervers... Nos élèves subissent en contre-coup des pressions eux aussi qui sont insupportables à regarder ! Où sont les rêves de mes débuts ?", écrit un autre. Une idée se dégage : les enseignants ont l'impression qu'on les empêche de bien faire leur métier. Le ras le bol est très fort.
Des exigences très fortes
La revalorisation salariale n'est pas que créditée par les réponses aux questions : 91% des personnels la demande alors que la revalorisation Sarkozy est rejetée par 73% des professeurs. Cette demande revient dans toutes les questions ouvertes spontanément avec force.
Une autre attente forte est la diminution du nombre d'élèves par classe. Elle est présente de la maternelle au lycée. C'est un point de vue classique chez les enseignants. Mais elle s'exprime avec beaucoup plus de force que d'ordinaire et particulièrement en maternelle et en école élémentaire. Elle fait sans doute écho au "bourrage de classe" qui résulte des suppressions de postes. On voit des enseignants du primaire dire que 2 niveaux, 3 niveaux ca va encore mais 4 ou 5... La demande de plus d'enseignants que de classe revient régulièrement. Cette revendication renvoie au sentiment de dégradation du métier. Avoir moins d'élèves c'est pouvoir travailler en petits groupes ou à deux enseignants, autrement...
Au delà des tensions des avis nuancés et des capacités d'évolution
Si l'on sent une nette tension contre la hiérarchie et un ras le bol, pour autant de vraies marges d'évolution du système existe. L'idée que les professeurs ne veulent rien changer est fausse. Il y a là des autoroutes pour la nouvelle équipe.
La demande de formation initiale (98%) et continue (93%) est absolument massive. Cela veut dire que les enseignants ressentent le besoin de faire évoluer leurs pratiques pédagogiques et d'acquérir de nouvelles compétences. Cela alors que la moitié de l'échantillon a plus de 45 ans. La demande de matériel numérique est validée par 84% des sondés.
"Il est urgent de revoir le statut des enseignants, mais pas comme M. Sarkozy l'envisage", nous dit un enseignant. La nécessité de faire évoluer le métier avec la prise en charge de nouvelles fonctions est plébiscitée par 71% des enseignants contre 16%. Le statut de 1950 n'est pas sacralisé : 31% des enseignants refusent d'y toucher mais 52% acceptent sa remise en cause. La révision des rythmes scolaires au primaire est une demande forte avec 67% d'avis favorable au rétablissement de la semaine de 4,5 jours. Même les vacances d'été sont sujets à discussion : la diminution des vacances d'été est acceptée par 43% des enseignants contre 42%. Le projet d'école fondamentale regroupant école et collège n'est pas rejetée d'emblée : 29% sont favorables, 37% contre et 34% ne savent pas.
Ces capacités d'évolution sont la grande surprise du sondage. Les enseignants sont ulcérés et en révolte contre la hiérarchie. Mais au fond d'eux ils sont prêts à évoluer.
Une attente politique
"Avant toute réforme, il est nécessaire que la nation dise ce qu'elle attend et veut pour sa jeunesse. Un débat sur le modèle de celui-de 2003/2004 serait utile". ""Les valeurs de notre système sont-elles les bonnes ? ". "Nous nous devons de mettre tout en oeuvre pour leur apporter ce à quoi chacun a droit dans l'Ecole de la République". "Je voudrais une vraie réflexion sur l'école avec tous les partenaires mais surtout les personnels de terrain (et non toutes ces études des inspecteurs qui n'ont souvent jamais enseigné dans le primaire) et des rectorats qui n'ont aucune idée de ce qui se passe dans les classes). Ceci afin d'aboutir à une loi cadre, quitte à changer bien des choses mais de façon concertée, qui apporte une solution aussi bien aux élèves, aux enseignants, et aux autres acteurs". " Le candidat qui pourra proposer ni plus ni moins de moyens mais qui insufflera une réflexion globale sur le fonctionnement de l'institution (gestion des flux, formation, rôle de l'école, examens et concours, ...) afin d'en améliorer le fonctionnement à coût constant pourrait bien remporter mon suffrage".
Arrêtons là les citations. Spontanément les enseignants demandent le retour du politique. Ils veulent un vrai débat sur l'Ecole. Pas pour savoir s'il faut des notes éliminatoires au bac, si la viande de la cantine est hallal ou s'il faut punir les familles d'élèves absentéistes. Ils veulent pas des mots suivis d'aucun moyen et de l'injonction de se débrouiller. Ils veulent un débat sur les valeurs que l'Ecole doit transmettre et mettre en oeuvre. Ils ont compris que le quinquennat de Nicolas Sarkozy a attaqué celles du système éducatif. Ils attendent quelqu'un capable de réunir la nation sur des objectifs éducatifs clairs. Ils veulent un cap, des perspectives, les moyens de les atteindre. Ils sont prêts à toutes les évolutions pour que l'Ecole redevienne un objet de fierté. L'heure du politique est venue.
François Jarraud
Par fjarraud , le vendredi 16 mars 2012.