Un vieux sujet de philo pour le bac : est-il juste ?
Ce ne sera sûrement pas le sujet donné aux candidats qui, ce jeudi 17 juin, affrontent avec la philosophie, la première épreuve du bac. Mais cette année encore la qualité de l'évaluation fait débat. Un débat faussé où pointent les partisans de l'élitisme.
Dans un chat sur le site du Monde, une candidate évoque la justesse de la notation. "Les correcteurs ne sont pas toujours justes dans leurs notations. Soit ils notent trop sévèrement comme en philosophie, soit ils notent avec beaucoup trop de gentillesse", estime une lectrice. Ce à quoi, Jean-Michel Blanquer, directeur de l'enseignement scolaire répond en parlant des garde fou du bac. "Le système prévoit à la fois des commissions d'entente avant les corrections des copies, pour s'entendre sur les critères de correction, et il y a ensuite, après les corrections, des commissions d'harmonisation pour éviter que des candidats soient placés dans une situation injuste s'ils ont eu des correcteurs plus sévères que les autres. Dans ces moments-là, le jury dispose du livret scolaire de l'élève". Mais la question est aussi soulevée par L'Etudiant qui annonce avoir soumis la même copie de philosophie à 10 correcteurs différents. Au moment où parait cet éditorial, le résultat de ces corrections n'est pas connu mais sans aucun doute il montrera des divergences fortes entre les correcteurs.
A vrai dire la question n'est pas nouvelle. En mars 2008, Bruno Suchaut avait involontairement suscité de violentes réactions suite à la publication d'une étude sur la correction de copies de SES. Il montrait que trois copies du bac soumises à une trentaine de correcteurs différents obtiennent des notes très différentes (l'écart peut aller jusqu'à environ 10 points sur 20) d'un correcteur à l'autre. Ce qui l'amènait à souligner le caractère aléatoire du bac. La démonstration des errements des évaluations au bac n'a pas attendue B Suchaut. Elle a déjà été faite par exemple par Pieron, Reuchlin et Bacher qui, en 1962, ont démontré que pour obtenir une note "juste" aux épreuves du bac de mathématiques il faudrait faire la moyenne des notes de 13 correcteurs en maths, 78 en français et pas moins de 127 en philo…
Le bac est-il juste ? Une évaluation humaine peut-elle être juste ? On peut dire que le système ne fournit pas les 127 correcteurs de philo nécessaires pour avoir une note "médiane" (plutôt que juste) et qu'il y a donc une part d'impondérable dans cet examen comme dans les autres. Avec cette particularité que la part du hasard est multipliée entre les nombreuses épreuves et que finalement il n'est pas exclu que cette montage d'actions s'équilibre.
On peut donc se demander à quoi sert de poser cette question dont les réponses sont bien connues ? Au-delà du petit coup médiatique du mini scandale généré par une réponse médiatique simpliste à une question qui est presque philosophique, montrer que le bac n'est pas juste c'est évidemment militer pour un autre type dévaluation.
Et là ça se gâte. Les détracteurs du bac envisagent souvent son remplacement par un examen d'entrée dans le supérieur. C'est ce dont rêvent nombre d'universitaires qui s'affranchiraient ainsi de la douloureuse nécessité de s'adapter au public d'étudiants tout en continuant à vivre de l'argent public. Dans un pays où le nombre de diplômés du supérieur est déjà faible, augmenter les barrages à l'entrée de l'université aurait des effets économiques et sociaux désastreux. D'autres envisagent son remplacement par un contrôle en cours de formation ou la réduction des épreuves. Aller dans ce dernier sens augmenterait la part de hasard dans l'évaluation. Augmenter la part du contrôle en cours de formation (CCF) est une solution tentante car elle permettrait de fortes économies. On sait cependant qu'elle aurait des effets indésirables. L'évaluation non anonyme des élèves est plus sévère pour les garçons que les filles, pour les jeunes défavorisés ou issus de minorités visibles. Tous les stéréotypes influencent alors le correcteur ce qui n'est pas possible avec une copie anonyme.
Si le bac ne peut prétendre, comme toute action humaine, à une absolue justice, ceux qui jettent le discrédit sur lui construisent l'injustice.
Chat du Monde
http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/0[...]
Bruno Suchaut 2008
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2008/0[...]
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Par fjarraud , le samedi 16 avril 2011.