Points de vue de spécialistes
Simone Bonnafous : "Croiser les
expériences"
Introduisant les travaux, la présidente de l'université accueillante rappelle la position de la Conférence des Présidents d'Université (CPU), favorable à l’intégration de la formation des enseignants dans l’Université, "au nom des missions traditionnelles du service public de l’Université". Parce que la CPU a anticipé la situation en travaillant sur des maquettes de mastères, Simone Bonnafous insiste sur la collaboration étroite existant entre la conférence des directeurs d’IUFM et la CPU. Les prises de position communes insistent sur la nécessité de conventions précises entre les universités et les IUFM intégrées. Pour elle, "les expériences et les compétences sont à croiser, et les expériences sont déjà riches". Elle prône donc la mise en place de « parcours » diversifiés des étudiants, intégrant les licences pluridisciplinaires à dominantes et des spécialités « enseignement » au sein des mastères disciplinaires, qui leur permettraient de ne pas perdre le bénéfice de la formation en cas d’échec aux concours. Elle insiste aussi sur l’importance de l’alternance, avec des stages dans les établissements scolaires ou sur le terrain, avec des retours exigeants sur la pratique dans les cours.
Philippe Meirieu : "ne pas défendre l'existant sans regarder ses insuffisances"
Pour poser les principes de la formation des enseignants, il faut définir le rôle du professeur. Pour Philippe Meirieu, "les débats entre tenants des savoirs et de la pédagogie ne datent pas d’hier, et nous marquent toujours en France de manière surréaliste" : les intellectuels sont sommés de trancher de manière radicale, sans pouvoir toujours nuancer.
Depuis le ministère de Luc Ferry, la volonté revancharde de rupture avec la loi de 89 a souvent été affichée. "On est frappé de constater l’incompétence, parfois plus que la malveillance, de certains responsables, incapables de se représenter la complexité de la gestion d’une classe ou d’un établissement scolaire". Mais on est aussi dans une démarche idéologique visant à rendre chacun responsable de son propre échec : les victimes n’ont qu’à s’en prendre qu’à eux, et nous avons tout fait pour qu’ils s’en sortent. "Or, si je veux rendre chacun auteur de lui-même, ce n’est pas en exonérant la société de ses responsabilités qu’on va contribuer à ce que chacun puisse prendre sa part" poursuit-il en présentant la journée.
Mais si la situation est si critique, "c’est aussi la conséquence d’un travail insuffisant des mouvements, syndicats, organisations, universitaires… sur ce que peut être une formation professionnelle d’adultes en alternance. Nous manquons de travaux de recherche, de clarté et de force sur cette ambition . Nous manquons d’unité quand chacun cherche à défendre son territoire et déroule malgré lui le tapis rouge à nos adversaires. Je suis de ceux qui pensent qu’on a sous-estimé la place de la pédagogie dans la formation, qu’on a trop marginalisé les acquis de l’éducation populaire à qui on doit tant depuis Jean Zay".
Si la journée a pour ambition de voir comment avancer, à la fois en regardant le paysage et en identifiant les leviers possibles pour le court et le long terme, Ph. Meirieu propose d'entrée plusieurs pistes :
- imaginer des cursus progressifs sur 5 années, de la première année de licence à la seconde année de mastère.
- reconfigurer les mastères "en évitant les politiques de gribouille",
- travailler spécifiquement la place de la seconde année de mastère, entre le concours de janvier et la validation de juin : "que pourrons-nous y faire pour aider les futurs enseignants comme une année un peu forte de formation professionnelle ?"
- Faire que les concours continuent à porter l'ambition de poursuivre la démocratisation de l’Ecole, avec des enseignants capables de s’y engager.
Pour Meirieu, la précipitation du gouvernement est faussement improvisée : s’il y a de l’amateurisme, il y a aussi la volonté de tétaniser le milieu pour l’empêcher de réagir devant l’avalanche des annonces et le brouillage de l’information, dont les effets démobilisent les collègues qui ne savent plus qui a dit quoi. Rappeler où nous en sommes est une manière de lutter contre le brouillage.
"Mais nous devons revendiquer le droit à la critique de notre propre travail, de ne pas défendre l’existant sans regarder ses insuffisances. Faire cela serait nous faire apparaître comme des conservateurs."
Il faut donc construire des alternatives, regarder ce qui se passe dans les académies, mettre en réseau sans réinventer l’eau tiède. "Les élèves et nos parents comptent sur nous, nous devons leur dire que nous avons besoin d’eux, au-delà du métier. La formation des enseignants n’est pas une mécanique savante à régler, c’est un choix de société qui doit mobiliser ceux pour qui nous travaillons. Le métier d’enseignant a besoin de la reconnaissance de la nation, cela passe par un projet politique républicain ambitieux."
Philippe Perrenoud : "se battre sur l'essentiel".
Si le chercheur suisse précise que les problèmes à affronter ne sont pas limités à la France (il en sait quelque chose avec le brutal retour en arrière que vient de connaître la Suisse…), il précise "que n’est pas parce que nous sommes en danger qu’il faut cesser de penser, rester campés sur le statu-quo".
Pour lui, les représentations sociales sur l’Ecole n’ont pas bougé : on pense toujours que c’est un métier assez simple, pour lequel le bon sens suffit pour enseigner : "C’est ce sur quoi s’appuient les opposants, et le rapport de force dans la société n’est pas favorable : on continue à penser que ce sont nos privilèges qui nous guident".
Ainsi, il ose énoncer devant la salle quelques points qui font grincer. Non, le maintien des IUFM n’est pas une condition : "pas besoin de clôture pour former des enseignants". Non, le développement de la recherche en sciences de d’Education ne lui semble pas le point fort des IUFM. Oui, les savoirs des enseignants viennent aussi de la profession, du métier, même s'ils doivent se nourrir de la recherche. Non, il ne regrettera pas le concours placé en milieu de formation, qu'il juge trop largement disciplinaire. "Ne faut-il pas entendre davantage les enseignants lorsqu’ils revendiquent que les enseignements de l’IUFM se rapprochent des difficultés du métier réel ?".Bref, résume-t-il, faut-il se plaindre que le diplôme d’enseignant devienne un diplôme universitaire ordinaire ?
Donc, sur quoi pense-t-il qu'il faille se battre ? "Sur l’essentiel" :
- Faire des choix qui permettent à l’enseignant de se représenter rapidement les contraintes de son futur métier, notamment par l’alternance, en ouvrant vers l’extérieur
- Articuler la recherche sur les processus d’apprentissages davantage que sur le disciplinaire
- Appuyer l’analyse des situations sur l’analyse du travail réel
- Articuler théorie et pratique ("porte ouverte si difficile à enfoncer")
- Construire un référentiel à l’interne des formations, et demander à chaque unité de formation de justifier ses contenus en tant qu’elle contribue aux objectifs finaux, énoncés en terme de compétences
- Mieux penser le triangle administration/terrain/université : chacun de ses côtés est un élément essentiel du métier d'enseigant, aucun ne doit passer à la trappe.
- Ne rien céder sur l’autonomie des universités, mais tenir compte du fait que la formation des enseignants est éminemment politique, et donc nécessite des régulations, des contrôles du pouvoir politique, y compris en tant qu’employeur… L’autonomie, c’est savoir comment on va faire pour répondre aux ambitions et aux objectifs du contrat.
Bernard Cornu, premier président de la conférence des IUFM : retour sur le passé récent...
A partir des conclusions du rapport Bancel, la création des IUFM s'était appuyée sur la mission des enseignants, telle que définie par la loi de 89, à un moment où on craignait une pénurie d’enseignants : recruter plus, former mieux. "Il fallait contribuer à rendre visible le chemin qui mène au milieu enseignant". Le corps des professeurs des Ecoles a revalorisé les enseignants du premier degré.
"On a demandé aux IUFM d’universitariser et de professionnaliser". Les ambitions étaient nombreuses : créer une culture commune entre premier et second degré, cesser de juxtaposer la formation professionnelle et disciplinaire, la théorie et la pratique, la formation et la recherche, la formation initiale et la formation continue, la liberté pédagogique et intellectuelle des enseignants...
Pour B. Cornu, certes, les objectifs sont loin d’être atteints, mais les IUFM ont contribué à faire connaître et à vivifier la recherche. Mais la « réforme permanente » engagée dans les IUFM n’a pas permis de consolider la professionnalisation.
"Depuis 18 ans, même si les coups ont contribué à affaiblir l’outil, les compétences des enseignants se sont clarifiées" pense-t-il. L’Université a changé son regard sur la formation des enseignants. "Mais l’IUFM n’a sans doute pas réfléchi à la manière de qualifier de nouveaux formateurs, issus du métier". Une autre occasion manquée a été sans doute l’abandon progressif de la formation continue, renforcé par les restrictions successives de moyens par les gouvernements qui se sont succédés.
"Dans les vingt dernières années, nous avons été, parmi les pays d’Europe, ceux qui ont pris le plus de retard : nous en avons parlé, d’autres l’ont fait… Nous manquons cruellement de l’inscription de nos propres travaux et points de vue dans l’espace international."
Introduisant les travaux, la présidente de l'université accueillante rappelle la position de la Conférence des Présidents d'Université (CPU), favorable à l’intégration de la formation des enseignants dans l’Université, "au nom des missions traditionnelles du service public de l’Université". Parce que la CPU a anticipé la situation en travaillant sur des maquettes de mastères, Simone Bonnafous insiste sur la collaboration étroite existant entre la conférence des directeurs d’IUFM et la CPU. Les prises de position communes insistent sur la nécessité de conventions précises entre les universités et les IUFM intégrées. Pour elle, "les expériences et les compétences sont à croiser, et les expériences sont déjà riches". Elle prône donc la mise en place de « parcours » diversifiés des étudiants, intégrant les licences pluridisciplinaires à dominantes et des spécialités « enseignement » au sein des mastères disciplinaires, qui leur permettraient de ne pas perdre le bénéfice de la formation en cas d’échec aux concours. Elle insiste aussi sur l’importance de l’alternance, avec des stages dans les établissements scolaires ou sur le terrain, avec des retours exigeants sur la pratique dans les cours.
Philippe Meirieu : "ne pas défendre l'existant sans regarder ses insuffisances"
Pour poser les principes de la formation des enseignants, il faut définir le rôle du professeur. Pour Philippe Meirieu, "les débats entre tenants des savoirs et de la pédagogie ne datent pas d’hier, et nous marquent toujours en France de manière surréaliste" : les intellectuels sont sommés de trancher de manière radicale, sans pouvoir toujours nuancer.
Depuis le ministère de Luc Ferry, la volonté revancharde de rupture avec la loi de 89 a souvent été affichée. "On est frappé de constater l’incompétence, parfois plus que la malveillance, de certains responsables, incapables de se représenter la complexité de la gestion d’une classe ou d’un établissement scolaire". Mais on est aussi dans une démarche idéologique visant à rendre chacun responsable de son propre échec : les victimes n’ont qu’à s’en prendre qu’à eux, et nous avons tout fait pour qu’ils s’en sortent. "Or, si je veux rendre chacun auteur de lui-même, ce n’est pas en exonérant la société de ses responsabilités qu’on va contribuer à ce que chacun puisse prendre sa part" poursuit-il en présentant la journée.
Mais si la situation est si critique, "c’est aussi la conséquence d’un travail insuffisant des mouvements, syndicats, organisations, universitaires… sur ce que peut être une formation professionnelle d’adultes en alternance. Nous manquons de travaux de recherche, de clarté et de force sur cette ambition . Nous manquons d’unité quand chacun cherche à défendre son territoire et déroule malgré lui le tapis rouge à nos adversaires. Je suis de ceux qui pensent qu’on a sous-estimé la place de la pédagogie dans la formation, qu’on a trop marginalisé les acquis de l’éducation populaire à qui on doit tant depuis Jean Zay".
Si la journée a pour ambition de voir comment avancer, à la fois en regardant le paysage et en identifiant les leviers possibles pour le court et le long terme, Ph. Meirieu propose d'entrée plusieurs pistes :
- imaginer des cursus progressifs sur 5 années, de la première année de licence à la seconde année de mastère.
- reconfigurer les mastères "en évitant les politiques de gribouille",
- travailler spécifiquement la place de la seconde année de mastère, entre le concours de janvier et la validation de juin : "que pourrons-nous y faire pour aider les futurs enseignants comme une année un peu forte de formation professionnelle ?"
- Faire que les concours continuent à porter l'ambition de poursuivre la démocratisation de l’Ecole, avec des enseignants capables de s’y engager.
Pour Meirieu, la précipitation du gouvernement est faussement improvisée : s’il y a de l’amateurisme, il y a aussi la volonté de tétaniser le milieu pour l’empêcher de réagir devant l’avalanche des annonces et le brouillage de l’information, dont les effets démobilisent les collègues qui ne savent plus qui a dit quoi. Rappeler où nous en sommes est une manière de lutter contre le brouillage.
"Mais nous devons revendiquer le droit à la critique de notre propre travail, de ne pas défendre l’existant sans regarder ses insuffisances. Faire cela serait nous faire apparaître comme des conservateurs."
Il faut donc construire des alternatives, regarder ce qui se passe dans les académies, mettre en réseau sans réinventer l’eau tiède. "Les élèves et nos parents comptent sur nous, nous devons leur dire que nous avons besoin d’eux, au-delà du métier. La formation des enseignants n’est pas une mécanique savante à régler, c’est un choix de société qui doit mobiliser ceux pour qui nous travaillons. Le métier d’enseignant a besoin de la reconnaissance de la nation, cela passe par un projet politique républicain ambitieux."
Philippe Perrenoud : "se battre sur l'essentiel".
Si le chercheur suisse précise que les problèmes à affronter ne sont pas limités à la France (il en sait quelque chose avec le brutal retour en arrière que vient de connaître la Suisse…), il précise "que n’est pas parce que nous sommes en danger qu’il faut cesser de penser, rester campés sur le statu-quo".
Pour lui, les représentations sociales sur l’Ecole n’ont pas bougé : on pense toujours que c’est un métier assez simple, pour lequel le bon sens suffit pour enseigner : "C’est ce sur quoi s’appuient les opposants, et le rapport de force dans la société n’est pas favorable : on continue à penser que ce sont nos privilèges qui nous guident".
Ainsi, il ose énoncer devant la salle quelques points qui font grincer. Non, le maintien des IUFM n’est pas une condition : "pas besoin de clôture pour former des enseignants". Non, le développement de la recherche en sciences de d’Education ne lui semble pas le point fort des IUFM. Oui, les savoirs des enseignants viennent aussi de la profession, du métier, même s'ils doivent se nourrir de la recherche. Non, il ne regrettera pas le concours placé en milieu de formation, qu'il juge trop largement disciplinaire. "Ne faut-il pas entendre davantage les enseignants lorsqu’ils revendiquent que les enseignements de l’IUFM se rapprochent des difficultés du métier réel ?".Bref, résume-t-il, faut-il se plaindre que le diplôme d’enseignant devienne un diplôme universitaire ordinaire ?
Donc, sur quoi pense-t-il qu'il faille se battre ? "Sur l’essentiel" :
- Faire des choix qui permettent à l’enseignant de se représenter rapidement les contraintes de son futur métier, notamment par l’alternance, en ouvrant vers l’extérieur
- Articuler la recherche sur les processus d’apprentissages davantage que sur le disciplinaire
- Appuyer l’analyse des situations sur l’analyse du travail réel
- Articuler théorie et pratique ("porte ouverte si difficile à enfoncer")
- Construire un référentiel à l’interne des formations, et demander à chaque unité de formation de justifier ses contenus en tant qu’elle contribue aux objectifs finaux, énoncés en terme de compétences
- Mieux penser le triangle administration/terrain/université : chacun de ses côtés est un élément essentiel du métier d'enseigant, aucun ne doit passer à la trappe.
- Ne rien céder sur l’autonomie des universités, mais tenir compte du fait que la formation des enseignants est éminemment politique, et donc nécessite des régulations, des contrôles du pouvoir politique, y compris en tant qu’employeur… L’autonomie, c’est savoir comment on va faire pour répondre aux ambitions et aux objectifs du contrat.
Bernard Cornu, premier président de la conférence des IUFM : retour sur le passé récent...
A partir des conclusions du rapport Bancel, la création des IUFM s'était appuyée sur la mission des enseignants, telle que définie par la loi de 89, à un moment où on craignait une pénurie d’enseignants : recruter plus, former mieux. "Il fallait contribuer à rendre visible le chemin qui mène au milieu enseignant". Le corps des professeurs des Ecoles a revalorisé les enseignants du premier degré.
"On a demandé aux IUFM d’universitariser et de professionnaliser". Les ambitions étaient nombreuses : créer une culture commune entre premier et second degré, cesser de juxtaposer la formation professionnelle et disciplinaire, la théorie et la pratique, la formation et la recherche, la formation initiale et la formation continue, la liberté pédagogique et intellectuelle des enseignants...
Pour B. Cornu, certes, les objectifs sont loin d’être atteints, mais les IUFM ont contribué à faire connaître et à vivifier la recherche. Mais la « réforme permanente » engagée dans les IUFM n’a pas permis de consolider la professionnalisation.
"Depuis 18 ans, même si les coups ont contribué à affaiblir l’outil, les compétences des enseignants se sont clarifiées" pense-t-il. L’Université a changé son regard sur la formation des enseignants. "Mais l’IUFM n’a sans doute pas réfléchi à la manière de qualifier de nouveaux formateurs, issus du métier". Une autre occasion manquée a été sans doute l’abandon progressif de la formation continue, renforcé par les restrictions successives de moyens par les gouvernements qui se sont succédés.
"Dans les vingt dernières années, nous avons été, parmi les pays d’Europe, ceux qui ont pris le plus de retard : nous en avons parlé, d’autres l’ont fait… Nous manquons cruellement de l’inscription de nos propres travaux et points de vue dans l’espace international."
|
Par ppicard3 , le samedi 04 octobre 2008.