Enseignant référent : une interface trop rare...
par Isabelle Lardon
Ce mois-ci, le Café a
rencontré deux enseignants référents. Attention, ne pas confondre avec
d’autres missions homonymes dans l’Education nationale. L'enseignant
référent « gère» un certain nombre de dossiers d'élèves
handicapés (160 en moyenne dans ce département rural) scolarisés en
primaire ou en secondaire. Il coordonne les équipes de suivi de
scolarisation (ESS) et se déplace beaucoup dans les établissements
scolaires en tentant de trouver les espaces-temps pour les réunions (le
midi, en fin de journée…). Il a la grande responsabilité d'être
l'interface entre l'Ecole, la famille, la MDPH et les autres
professionnels qui interviennent auprès de l'enfant, et surtout d'être
le garant d'un travail d'équipe au service d'un projet pour l'enfant.
Jean-Philippe est expérimenté dans la
fonction, Laurent est enseignant référent depuis peu. A leur manière,
chacun y a trouvé une évolution de carrière et des marges de
développement professionnel et personnel.
Chacun avec ses mots, mais tous les
deux avec beaucoup de conviction, ils décrivent leur métier.
Enseignant
référent, un "nouveau métier" ?
Jean-Philippe : La fonction
d’enseignant référent donne à celui qui l’assume un rôle stratégique.
Seul, mais chargé d’animer des équipes, interlocuteur des divers
acteurs qui doivent coopérer et conjuguer leurs points de vue, il
diffuse une nouvelle vision du handicap en milieu scolaire. Il n’a pas
à tenir un positionnement d’enseignant. D’ailleurs l’expression «
enseignant-référent » elle-même est trompeuse, elle signifie uniquement
que cette fonction est assumée par un enseignant…
Il est en effet l’interlocuteur des familles, des collègues, des
professionnels de santé, des libéraux de tous types, des collectivités
territoriales et de la Maison Départementale des Personnes Handicapées.
Personnellement j’essaie de tracer mon chemin, d’être
constamment en équilibre entre l’Education Nationale dont je garde en
moi la «culture», avec toutes ces années passées à être confronté
à la difficulté scolaire en réseau d 'aides, à être mis à mal par
les conditions toujours plus difficiles d’exercice du métier, avec
toute cette empathie accumulée pour mes collègues, et la MDPH pour
laquelle j’agis. J’ai dû trouver de nouveaux repères, de nouveaux
points de référence et encore beaucoup plus qu’au temps où j’étais
maître E, rechercher le groupe là où la loi me rendait solitaire. Car
le risque est grand de se retrouver isolé, seul à devoir programmer,
animer, gérer les Equipes de Suivi de Scolarisation (ESS), faire avec
les plannings de chacun, les contraintes et exigences professionnelles
de tous, être le point d’ancrage du Projet Personnalisé de
Scolarisation (PPS), endosser le rôle d’interlocuteur incontournable
que la famille accorde avec beaucoup d’espoir, mais qu’il faut parfois
savoir imposer à certains, assumer le relais de l’autorité de tutelle
sans avoir de position hiérarchique dans la collaboration avec les
collègues enseignants.
Quelle
est pour toi la tâche prioritaire d'un enseignant référent ?
Laurent : La mission n°1
pour moi, c'est d'aider les familles. Elles ont été sensibilisées par
l'école sur les difficultés de leur enfant, mais quand il s'agit
d'aborder les notions de handicap ou de besoins particuliers, les
enseignants transmettent mes coordonnées. On les rencontre, on leur
apporte des informations, on leur explique, on les rassure, on les aide
à accomplir les démarches auprès de la MDPH. Cela permet d'instaurer
une relation de confiance tout en permettant à chacun de rester dans
son rôle : les enseignants des écoles sont en première ligne avec les
familles, l'enseignant référent, spécialisé et extérieur à
l'école considérée, peut mieux parler du handicap. On n’est pas là pour
apporter des solutions toutes prêtes, mais d’abord pour rappeler aux
parents (avec humilité…) un certain nombre de choses : ce sont eux qui
connaissent le mieux leur enfant, ce sont eux qui ont un projet de vie
pour lui, ce sont eux qui s'en occupent l’essentiel du temps, même s’il
est scolarisé. On ne fait pas à leur place, on ne leur impose aucune
décision mais on construit ensemble un projet.
Cela se passe en général bien parce que les familles sont plutôt
demandeuses d'aide. Parfois, d situations demandent du temps, le
cheminement des parents est plus long. C'est à nous de les accompagner,
de les suivre. Avec des bilans et des avis complémentaires, l'idée
qu'un projet particulier pour leur enfant sera bénéfique, et non
stigmatisant pour lui, avance.
Jean-Philippe : Savoir gérer
les membres de l’ESS. Le poids et le pouvoir de chacun n’est pas le
même : il est souvent difficile pour un parent, pour un enseignant,
pour un AVS d’oser penser que son point de vue est aussi important que
celui d’un neuro-psychologue par exemple. Favoriser l’expression des
analyses de chacun et trouver la voie d’un consensus nécessite de la
part de l’enseignant référent beaucoup d’écoute, de vigilance, mais
aussi de force de proposition et d’autorité, de rappel à la loi.
Autre challenge : aider à la scolarisation dans le second degré.
L’arrivée d’un nombre important d’élèves handicapés dans le second
degré est un phénomène nouveau. Il est nécessaire d’acquérir un
minimum de connaissance sur le second degré. L’organisation des ESS est
beaucoup plus lourde et délicate, il faut aider à mettre en place une «
culture de la scolarisation des jeunes en situation de handicap ».
Comment concilier les exigences du programme de la classe et
l’adaptation éventuelle de l’enseignement pour l’élève en situation de
handicap ? La partie est gagnée quand l’ESS intègre la notion de
rythme spécifique et de programme adapté. À ce moment-là, la
scolarisation de l’élève est comprise, non pas comme intégration, mais
comme parcours adapté. Quand cette notion de spécificité est comprise,
peut commencer l’élaboration du PPS. « Ce n’est pas parce qu’un élève
présentant des troubles moteurs est accompagné par un Auxiliaire de Vie
Scolaire qu’il pourra courir aussi vite que ces camarades… ».
Mes relations avec les établissements spécialisés ont bien avancé
elles-aussi. Ma présence, l’aide à la réflexion apportée par un « tiers
» rassure certains parents et permet d’instaurer une véritable
collaboration là où existait le risque d’être perçu comme le contrôleur.
Quels
rapports entretiens-tu avec les autres professionnels ?
Laurent : En
équipe de suivi de la scolarisation, c'est l'horizontalité des rapports
qui est primordial. Chacun -enseignants, parents, professionnels-
apporte sa contribution pour faire avancer le projet. Ça ne va pas de
soi : la tendance naturelle est plutôt à travailler chacun dans son
coin et le projet devient une somme d'actions accumulées, sans lien
véritable entre elles. Chaque profession a sa propre logique : le temps
thérapeutique n'est pas le même que le temps de l'école, rythmé de
septembre à juin.
L'enseignant référent doit apporter de la cohérence entre tous les
volets du PPS et faire travailler ensemble des gens qui n'ont pas la
même culture professionnelle n'est pas simple. Il faut bien connaître
le champ professionnel de l'autre, ne pas attendre que l'autre fasse
son travail pour pouvoir commencer le sien. Si on cherche ensemble, on
co-élabore, on co-construit, la réunion d'ESS devient une vraie réunion
de travail, qui permet bilan, réajustment et avancées pas à pas. « On
se dit les choses, on verbalise nos succès ou nos échecs... »
En milieu ordinaire, les
collègues nous appellent avant même de parler aux familles parfois, on
joue le rôle d'un « conseiller technique », en particulier avec les
directeurs d'école, comme aide à la prise de décision. Ils découvrent
une situation de handicap, souvent ils culpabilisent de ne pas savoir
comment faire ou de ne pas pouvoir en faire plus pour cet élève. Alors,
on les aide à bâtir le projet de A à Z, c'est plus gratifiant pour
nous, on a l'impression d'être vraiment utiles aux collègues. Ils sont
très contents de nous voir arriver, prendre le relais, organiser les
choses.
En milieu médico-social, en
CLIS, ULIS, les enseignants, même s'ils ne sont pas tous spécialisés,
sont déjà sensibilisés, ont déjà dans une logique de projet individuel.
L'équipe professionnelle est déjà constituée, l'habitude de travailler
ensemble est instituée, la notion de projet global pour l'enfant aussi.
Mais le rôle de l'enseignant référent est moins bien perçu.
Jean-Philippe : La difficulté
d’exercice du métier est palpable. J’essaie de ne jamais perdre de vue
mes origines professionnelles et ma proximité avec les enseignants, je
la cultive comme si je ressentais là ce besoin d’avoir un « toit
professionnel »… De ce fait, de cette connivence naît une complicité,
un désir de travailler ensemble, dans l’absence de positionnement
hiérarchique mais plutôt dans un rôle de « personne-ressource ». Les
directeurs apprécient particulièrement cette aide. Quant aux
enseignants, une fois les premières interrogations face à ce nouveau
métier réglées et les premières craintes face à un éventuel « jugement
» de leur pratique évanouies, le dialogue s’instaure en toute confiance.
Un
boulot de dossiers, ou un boulot de contacts ?
Laurent :
C'est avant tout un travail de communiquant avant d'être un travail
administratif, même si les tâches administratives sont importantes.
C'est l'enseignant référent qui organise les réunions, rédige les
comptes-rendus, gère les commandes de matériel spécifique, les
transports, si besoin est, et qui fait des liens entre les services.
On est attendu sur nos capacités de communication, c'est à dire des
capacités à nous adapter à toutes sortes de situations, dans toutes les
structures possibles (de la maternelle au lycée, lycée professionnel,
CFA, lycée agricole, sections post-bac... où on a à faire avec des
étudiants...), dans tous les types de handicaps, avec tous les types de
professionnels.
Jean-Philippe : Les deux
aspects sont importants : si le travail administratif n’est pas bien
assuré, la crédibilité sur le terrain s’en trouvera affectée. La parole
de l’ER n’aura plus le même poids. Les partenaires doivent savoir que
les délais de réponse seront tenus, tout comme les engagements pris. Et
puis il est bon après plusieurs jours de déplacements et de réunions
sur le terrain, de passer un peu de temps en sédentaire dans son
bureau… Le travail post ou pré ESS est donc capital lui aussi. Il est
le garant de l’accueil qui sera fait à l'enseignant référent en ESS…
Des
prescriptions... des frustrations ?
Laurent : On n'est pas une
simple « chambre d'enregistrement » ! C'est un travail très
enrichissant, moi j'y ai trouvé vraiment un développement
professionnel. On a une certaine latitude pour faire bouger les choses,
on se doit de faire aboutir un projet surtout quand les situations sont
compliquées, que l'orientation prononcée n'est pas possible par manque
de place par exemple...
La faiblesse du poste, c'est que parfois on se sent seul au
quotidien... Heureusement, on a une bonne écoute de l'équipe ASH et de
la MDPH. Pour être enseignant référent, il faut une bonne dose de
solidité nerveuse, de distance affective (pour ne pas tomber dans la
compassion) et de plasticité relationnelle (pour accorder le même
crédit à un EVS qu'à un proviseur par exemple...).
Jean-Philippe : Une frustration de
re-médiation ! Dans le premier degré je ne rencontre presque jamais les
enfants, je suis le seul des membres de l’ESS dans ce cas ! J’aimerais
avoir le temps de travailler un peu avec eux ou simplement d’être à
leur contact, d’échanger.
Mais la plus grande frustration vient du fait que la mise en œuvre des
PPS devient dans le monde réel une gageure de plus en plus grande. Les
prescriptions de la MDPH en terme d’accompagnement de type AVS par
exemple ne sont pas toujours respectées, loin de là, du fait des moyens
insuffisants ! Alors on partage le temps d’accompagnement d’une EVS
entre plusieurs enfants, on fait du bricolage, comme toujours… Et puis
on « remercie » l’EVS quand elle a fini son contrat et commence juste à
acquérir un précieux savoir-faire… Et la personne qui la remplace va
devoir à son tour accomplir le chemin, en comptant beaucoup plus sur
elle-même que sur les appuis qu’elle trouvera dans l’institution… Quel
mépris pour les enfants handicapés eux-mêmes que de leur accorder pour
leur venir en aide des personnes que l’on fait vivre sciemment dans une
telle précarité !
D’autre part comment inclure les enfants des CLIS/ULIS et autres CLE de
manière satisfaisante dans des classes où les effectifs sont déjà
surchargés ?
Comment espérer avancer scolairement quand les transports des élèves
handicapés sont aussi problématiques dans un département rural comme le
nôtre ? Et puis à quand les voitures de fonction ou des kilomètres
réellement défrayés pour les enseignants référents ?...
Pour
aller plus loin
- Cette profession a été instaurée par la loi de 2005 sur le handicap
et ses décrets d'application. Si vous voulez approfondir la question,
vous pouvez vous reporter aux textes officiels :
DÉCRET
N°2005-1752 DU 30-12-2005
- Une fiche
de poste montre quelles sont toutes les missions de l'enseignant
référent.
-
une autre fiche
de synthèse sur l'excellent site de l'IA 84
Un ouvrage,
enfin, a été publié dans le réseau Sceren (collection "Au Quotidien",
Dijon)
SCOLARISATION
DES ÉLÈVES HANDICAPÉS
Parcours de formation des élèves présentant un handicap, BO n°10 du 9
mars 2006
CIRCULAIRE
N°2006-126 DU 17-8-2006
Mise en œuvre et suivi du projet personnalisé de scolarisation BO n°32
du 7 septembre 2006
|
Par MBrun , le mardi 22 novembre 2011.