Françoise Lantheaume : Entre prolifération et "débrouillez-vous", des conflits de normes à débattre d'urgence en collectif.
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La notion de "difficulté" est donc intégrée dans l'ordinaire du travail. Elle est "normale", au sens de Durkheim, parce que le travail ne se résume pas à l'application de consignes, mais à l'invention quotidienne pour répondre à l'inattendu. Malgré tout, on bascule parfois dans la "souffrance". Quelles sont les preuves ? Cette relation est difficile à objectiver, à mesurer. Il faut donc trouver des indicateurs, qui sont d'autant plus difficiles à identifier que la souffrance des enseignants peut être erçue comme illégitime, puisque les personnels enseignants sont vécus par l'opinion comme étant en situation d'avoir le confort nécessaire pour pouvoir faire leur travail. Les enseignants incorporent cette dimension, lorsqu'ils entrent dans le déni de leurs difficultés : l'institution ne retient souvent que la partie visible de l'iceberg. Dans les rectorat, lorsqu'on parle de "enseignants en difficulté", on agglomère souvent des situations sans relation. Le "malaise enseignant" renvoie souvent à une définition plus que floues. Enfin, les "risques psychosociaux" ont comme point commun de rapporter les difficultés à la personne, et non au travail. Ce sont les personnes qui sont en cause, les "fragiles" ou les "psychorigides". On oublie que souvent, les difficultés du travail sont importées à la maison, et non l'inverse.
L'usage de ces catégorisations n'est pas neutre : si on est dans une solution de type médicale, il suffit de sélectionner à l'entrée pour évter les "psychorigides" ! "C'est à cet effet que je préfère parler de "souffrance ordinaire", pour bien indiquer qu'on ne parle ni de problèmes personnels, ni de problèmes marginaux". Le sentiment d'inutilité, voir d'impuissance, se nourrit du décalage entre l'engagement nécessaire et les résultats du travail. "Intéresser les élèves à la chose scolaire est beaucoup plus lourd qu'auparavant, du fait des évolutions sociales. "On ne sait jamais comment ça va tourner, tout est toujours à reconstruire".
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Le doute s'installe donc sur ce qu'est "faire du bon travail", source de trouble profond devant la diversification des tâches et des missions exigées des enseignants. L'intensification du travail rend la vie professionnelle et la vie personnelle plus poreuse. L'engagement de soi ne s'arrête pas à la sortie de l'école. L'emprise psychique renforce l'usure, la plainte, la fatigue. Il faut être hyper-vigilant sur soi, sur les élèves, sur la famille... Le contour du métier devient flou. Dans ce contexte, le sentiment d'abandon se renforce, lorsqu'on se sent abandonné par sa hiérarchie. L'institution se trouve au bas de l'échelle de l'aide. Signaler sa difficulté, c'est risquer d'être étiqueté. D'ailleurs, les cadres pensent souvent que les enseignants sont "résistants au changement", "défaillants dans leur compétences".
Les parents eux-mêmes, de plus en plus capables de pensées critiques, s'adressent à ceux qui travaillents dans les institutions, enseignants compris. Ils accroissent la pression, entre ceux qui demandent de dégager l'élite et ceux qui aspirent au bien-être de leur enfant, quand les enseignants les rêvent en auxiliaire pédagogique idéal. Ces attentes contradictoires obligent les enseignants à justifier leur action dans des logiques différentes : les devoirs, le respect du programme, le développement psychologique ou la place de la musique... Ce travail de jsutification est pénible et compliqué. Les enseignants se retrouvent sous pression de demandes sociales opposées.
Dans ce contexte, lorsque les collectifs de travail sont précaires, la reconnaisance du travail par le groupe devient difficile. le jugement des élèves devient central, mais pas forcément légitime : comment les rendre juge du pourquoi des progressions ou des contraintes scolaires. Il ne rste que l'idéal du métier. Or, l'idéal est par définition inatteignable, et on se juge toujours "pas à la hauteur". La souffrance semble ne pas avoir de fin.
Comment expliquer le fait que le métier soit à ce point bousculé ?
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Le projet de la "réussite de tous" bascule : il faut articuler la réussite des élites et la prise en charge des plus faibles, "à besoins particuliers". Cette injonction n'est pas que technocratique : elle répond aussi à une certaine demande sociale.
La sur-prescription engendre donc un surtravail : chaque niveau doit traduire et retraudire l'injonction générale et produit sa propre prescription, jusqu'à l'auto-prescription par l'enseignant, sommés d'inventer les modalités de l'aide, jusqu'à la fatigue. Entre prolifération et débrouillez-vous, des conflits de normes à débattre pour éviter les conflits internes à la personne.
S'imposer dans le débat sur la qualité de leur travail, c'est montrer qu'ils peuvent entre en débat de manière dynamique avec la société, c'est le seule moyen pour se faire imposer le débat de l'extérieur. Cela n'a rie nà voir avec les "bonnes pratiques", parce que ce qui se fait ici ne peut pas s'exporter ailleurs. Cela n'a rien à voir avec les séances d'écoute du "coussin compassionnel". C'est affirmer la place du collectif dans le travail, passer des placticités individuelles au métier comme ressource pour se sentir moins seul.
Les syndicats ont leur place à y jouer.
Par MBrun , le samedi 23 octobre 2010.