Coup de coeur : Le héros de David Rubin
Par Robert Delord et Marjorie Lévêque
A priori, le premier tome du comics de David Rubin, "Le héros", publié en français fin octobre chez Rackham, et adaptation d'« El héroé » (2011, Espagne, édition Astiberri), avait de quoi attirer notre attention (il retrace les aventures d’Héraklès), mais aussi de quoi nous irriter (un premier feuilletage laisse apparaître un Héraklès body qui fait de la moto... donnant l'impression d'une énième adaptation farfelue du mythe d'Héraclès)
La concurrence est d'ailleurs rude en cette fin d'année autour du personnage d'Héraclès / Hercule, héros de trois publications inégales :
- Héraklès, de Edouard Cour, paru en juin chez Akileos, sorte de biographie d'un Héraclès violent qui prend peu à peu de l'épaisseur très agréable visuellement mais où on a du mal à rentrer.
- Hercule, Le Sang de Némée, premier tome paru également fin octobre chez Soleil, où l'on découvre un Hércule du futur qui voyage dans l'espace, "Mi-homme, mi-extraterrestre grâce aux greffes cellulaires" (tout est dit !)... vite oubliable...
- et donc "Le héros", de David Rubin, chez Rackham.
La présentation du comics sur le site de l'éditeur est assez juste :
David Rubin aime dessiner et parler de super héros, en particulier ceux de Jack Kirby (un des plus illustres auteurs de Superman). "Jouant avec la symbolique de cet univers, Rubín a déstructuré le super-héros et a sondé sa psychologie, se penchant particulièrement sur ses points faibles, sur cette vulnérabilité qui le rend si « normal », si humain. Le héros est la mise en abîme ultime du super-héros ; le retour aux sources de ce mythe contemporain à travers la relecture de la saga des Douze travaux d’Héraclès. Tout en restant très fidèle au récit mythologique (dans cette première partie de Le héros sont racontées la naissance et la jeunesse d’Héraclès, ainsi que ses premiers exploits : la chasse du lion de Némée et du sanglier d’Érimanthe, le combat contre l’Hydre de Lerne…), Rubín sait s’affranchir des pièges du péplum et développe son histoire dans un univers qui se trouve quelque part entre la Grèce ancienne et un futur résolument technologique.
Le Héraclès de David Rubín se bat contre les oiseaux du lac Stymphale, capture les juments de Diomède mais roule en Harley et écoute David Bowie sur son lecteur mp3. L’Olympe, quant à lui, ressemble plus à un laboratoire high-tech qu’à la demeure céleste des dieux. Dans cet univers intemporel mais solidement ancré au mythe, le héros de Rubín devient ainsi résolument contemporain, mélange de détermination et de doute, de courage et de faiblesse."
La Bande dessinée réussit autant à nous charmer par son graphisme (voir Héraclès grandir et se métamorphoser en homme musclé est un vrai délice), que par la force de sa narration (les douze travaux sont abordés, et à aucun moment on ne s'ennuie tant la construction n'est pas répétitive !) servie par une mise en page et des couleurs inventives, mais là où nous sommes conquis, c'est par le vrai débat sur la condition même du héros qui est d'abord finement amené, puis franchement présent : comment la société perçoit-elle un héros et quelle image il se doit de véhiculer, de quelle liberté jouit-il vraiment (la BD rappelle sans cesse que comme tout héros, Héraclès a une faille, en l'occurence Eurysthée) et jusqu’à quel point doit-il répondre aux attentes de cette société toujours plus demandeuse de sa personne ? Les pages de débat "télévisuel" sur le thème "Héros ou produit ?" entre un philosophe partisan de la glorification dans la société du héros, et Chiron, qui souhaiterait qu'on n'oublie pas qu'un héros n'est pas un produit de consommation, résument à elles seules le débat.
Ainsi, loin de faire fi des auteurs antiques pour créer un Heraclès moderne de pacotille, vague super héros à la moto, David Rubin a su se placer dans la lignée d'augustes prédécesseurs pour nous inviter à continuer leur lecture, en ajoutant une nouvelle peau à un personnage qui est toujours d'actualité et peut nous aider à réfléchir au monde qui nous entoure.
Présentation en français sur le site de l’éditeur Rackham avec de nombreuses pages à feuilleter :
Présentation de l’album (en espagnol) :
Par fsolliec , le samedi 17 novembre 2012.