La maîtrise de la langue, tous profs de français ?
Par Laurence Ryf
«Tous les professeurs sont des professeurs de français» disait le texte qui accompagnait la mise en place des IDD dans les collèges. Les uns pensaient y perdre leur spécificité, voire la reconnaissance même de la validité de leur diplôme de professeur de lettres; les autres se sentaient culpabilisés parce que peu compétents à faire «travailler le français dans leur discipline», faute de formation et faute de temps. «Les programmes sont déjà si chargés! …», nous le savons tous.
Merci à Francis Tourigny, Annie Portelette et Karine Risselin du CARMaL - CRDP de Créteil, pour l’entretien qu’ils m’ont accordé en amont de la rédaction de cet article.
Le CARMaL pour se ressourcer
Aujourd’hui définie comme première compétence du socle commun, la maîtrise de la langue est au cœur de tous les débats.
Les premières lignes du texte officiel le disent clairement :
« Savoir lire, écrire et parler le français conditionne l’accès à tous les domaines du savoir et l’acquisition de toutes les compétences. La langue française est l’outil premier de l’égalité des chances, de la liberté du citoyen et de la civilité : elle permet de communiquer à l’oral comme à l’écrit, dans diverses situations ; elle permet de comprendre et d’exprimer ses droits et ses devoirs.
Faire accéder tous les élèves à la maîtrise de la langue française, à une expression précise et claire à l’oral comme à l’écrit, relève de l’enseignement du français mais aussi de toutes les disciplines. Chaque professeur et tous les membres de la communauté éducative sont comptables de cette mission prioritaire de l’institution scolaire. »
Nul n’est donc sans savoir que la maîtrise de la langue est l’affaire de tous et qu’une bonne maîtrise de la langue est une des conditions premières à la réussite scolaire. Cette affirmation est consensuelle tant, depuis plus de 30 ans, chercheurs et pédagogues en ont plusieurs fois et brillamment démontré la validité.
Mais si les objectifs sont ainsi noblement formulés, les moyens proposés pour les atteindre dans les nouveaux programmes du premier degré comme dans ceux (en préparation) du français au collège font table rase de toute la recherche pédagogique, à minima des trente dernières années, aussi les réactions sont-elles vives et nombreuses.
En un mot, le retour fracassant « Des programmes traditionalistes pour le français au collège » soulève bien des inquiétudes tant on en revient au cloisonnement et à l’étude du code pour lui-même, décontextualisé, sans lien avec la situation d’énonciation dans laquelle tout énoncé est produit. Retour des connaissances à ingurgiter en lieu et place de compétences à acquérir, endormissement de l’esprit d’analyse et partant de l’esprit critique. Plus question d’amener l’élève à construire son savoir comme ses savoirs faire, plus trop question non plus de lui permettre de débattre et d’argumenter ni d’apprendre à lire le monde contemporain pour mieux s’y inscrire en tant que citoyen, autrement dit en tant qu’être libre et pensant, maître de ses savoirs comme de ses savoir-faire.
Comment pourront enseigner avec de telles directives tous les professeurs cultivés? Voilà qui fait froid dans le dos. Et à moins d’une lobotomie pratiquée en amont sur l’enseignant lui-même pour lui faire oublier toutes ses convictions pédagogiques acquises pas à pas et au fil de pratiques réfléchies, comme toutes ses connaissances philosophiques, linguistiques et psycholinguistiques, qu’elles soient scolaires, universitaires ou relevant d’une bonne culture générale, comment pourrait-il accepter sans sourciller de brûler tous ses livres, jusqu’à La Critique de la raison pure tant qu’on y est, puisque l’expérience comme fondement de la connaissance est-elle aussi reniée ? Le bon prof d’hier sera-t-il le mauvais de demain ? De quoi devenir fou.
«La question est aujourd’hui celle des modalités de réaction à la Réaction, qui ne sont pas forcément Révolution : puisque consultation il y a (…)» J’entends comme une réponse à mes questions, les propos de Claire Doquet-Lacoste, Maître de Conférences en Sciences du Langage, Université de Bretagne Occidentale – IUFM de Bretagne) dans son excellent article: " Nouveaux Programmes de l’Ecole Primaire : quoi de neuf ?" paru sur le site du Café pédagogique.
Plus que jamais, en effet, il convient de diffuser et de mutualiser le plus largement possible toutes les études comme toutes les expériences qui prouvent qu’apprendre à maîtriser la langue ce n’est pas seulement apprendre à maîtriser le code mais bien plutôt les usages qu’on en fait dans les différentes disciplines, pour ce qui est du contexte scolaire, et dans les différentes situations d’énonciation, à l’oral comme à l’écrit, pourrait-on dire plus largement.
Un site de référence essentiel me semble être à cet égard le Centre Académique de Ressources sur la Maîtrise des Langages (CARMaL) de l’Académie de Créteil. Il s’adresse aux enseignants du premier et du second degré de toutes les disciplines, et pas aux seuls professeurs de français, en les invitant à mettre en partage leurs séquences d’enseignement tout en leur proposant une sélection de ressources didactiques pour éclairer les pratiques ;
Des articles les plus récents aux ouvrages qui les ont précédés, tous les chercheurs démontrent qu’apprendre ce n’est pas restituer des connaissances accumulées sans hiérarchie ni justification de leur nécessité dans les pratiques quotidiennes de chacun. Il s’agit bien plutôt d’utiliser les interactions verbales pour construire du savoir,et chercher à «élaborer avec les autres de nouvelles significations.»
Dans Le dossier « Débattre et argumenter pour apprendre » vous trouverez toutes les références bibliographiques nécessaires si vous souhaitez approfondir cette réflexion, ainsi que des articles passionnants comme « Devenir l’auteur de sa parole », de Dominique Bucheton ou « Autour du concept et de la pratique de l’oral », d’Annie Portelette pour comprendre que « c’est en entendant un autre point de vue, un autre argument que le questionnement surgit, que les premières représentations sont mises en doutes, que l’expérience de chacun est mise à distance ».
Vous y trouverez aussi, vous y trouverez surtout, des exemples de pratiques de classe, du cycle deux à la seconde, qui sont autant de ressources pour les enseignants de toutes les disciplines qui se désespèrent de voir des élèves en échec dès la lecture de la consigne de l’exercice qu’ils proposent. Combien déplorent que leurs élèves ne sachent pas lire, analyser un document, rédiger leurs réponses. Tous constatent que l’élève en difficulté dans toutes les disciplines est avant tout un élève en difficulté avec la langue, qu’il n’y a pas de constructions de savoirs possibles sans compétences langagières. Mais nombreux sont ceux qui se sentent démunis pour y remédier et ne savent que faire de ce constat.
Pourtant il est des pratiques efficaces et qui gagnent donc à être connues. A titre d’exemple, citons « Aider les élèves à entrer dans la discipline SVT à l’entrée au collège », une séquence mise en place par Marie-Françoise Garreau au collège Romain Rolland de Clichy-sous-Bois (93) pour clarifier avec ses élèves les attendus de la discipline et lever les implicites. L’objectif est d’apprendre aux élèves de 6ème à écrire un texte scientifique. La démarche consiste à partir de leurs écrits spontanés lors d’une observation sur le terrain de l’environnement immédiat du collège. Prises de notes initiales, puis de retour en classe, «activités de classement, de recherches de relations entre les différents éléments observés », rédaction de comptes-rendus, élaboration à mesure d’une fiche méthodologique de l’écrit en sciences à partir de « la liste des critères du genre retenus au fil des réécritures. » : (« Il ne faut pas parler de traditions »- « Il faut écrire que des choses qui se rapportent aux Sciences »…)
«Utilisée comme aide, cette liste va faciliter une réécriture des premiers jets » Et le professeur d’en conclure : « Les réécritures montrent la disparition des contenus ne se référant pas au champ des Sciences. Les comptes-rendus, par cette prise de distance, s’améliorent aussi au niveau de la syntaxe, de la graphie et de l’orthographe. »
De tous les comptes-rendus d’expériences proposés sur le site du Carmal il ressort qu’apprendre à comprendre est un objet d’apprentissage à part entière et que les compétences en lecture s’enseignent aussi bien dans le cours de mathématiques, que dans celui de SVT ou d’histoire-géo!
Si le travail par thème peut être fédérateur pour une classe et son équipe d’enseignants, il ne doit pas faire oublier d’apprendre à penser le rapport au savoir ni de mettre en perspective les types d’écrits attendus en productions et proposés en lecture dans les disciplines. On ne parle pas de la forêt avec les mêmes intentions dans un conte que dans un documentaire. Les modalités sont différentes ; la visée du discours n’est pas la même, le lecteur n’est pas placé dans la même posture et c’est ce qu’il convient d’expliciter. L’élève doit apprendre à choisir l’outil linguistique approprié à la visée de son discours. Dans les approches pluridisciplinaires, une réflexion préalable sur les postures de lecture propre à chaque matière et sur les compétences langagières requises dans chaque situation permet la co-construction réfléchie des savoirs, l’élève étant alors à même de penser son propre rapport au savoir, d’expliciter ses démarches comme ses cheminements, de soutenir ses choix en les argumentant. Ainsi on analyse les productions, on construit à partir de l’erreur (voir aussi le zoom sur la dictée proposé par Virginie Mège ce mois-ci.) L’élève est partie prenante, actif, conscient non seulement des compétences qu’il acquièrt à mesure mais surtout conscient des usages appropriés qu’il aura toute sa vie à en faire.
En rendant ainsi compte de leurs pratiques professionnelles, un certain nombre d’enseignants mettent à disposition de tous des outils que l’on devrait diffuser plus largement dès les formations initiales. Il s’agit pour les professeurs de chaque discipline d’apprendre à lire les écrits des élèves, à utiliser de manière positive les erreurs et les interactions verbales pour construire du savoir. Il s’agit de mettre en cohérence nos enseignements en bousculant certaines habitudes, certains réflexes identitaires disciplinaires et tous les cloisonnements sclérosants qu’ils induisent.
Il revient sans doute à chaque professeur de Lettres de faire connaître à ses collègues des autres disciplines les ressources proposées par le CARMaL et de se placer en relais de l’information / formation puisqu’il est dans son devoir de faire acquérir aux élèves des compétences en matière d’identification, de lecture et d’écriture de tous types de textes ou de tous types de documents iconographiques.
Ce n’est qu’en investissant collectivement les espaces d’échange entre enseignants tels que ceux proposés par le Carmal que nous parviendrons non seulement à faire progresser nos élèves parce que nous en ressortirons enrichis et mieux formés mais aussi à défendre intelligemment nos démarches pédagogiques pour l’heure mises en péril.
Pour finir, et en avant-première, l’annonce du dossier qui paraîtra en mai sur le site du CARMaL et donc l’annonce du prochain rendez-vous : Lexiques, vocabulaires, apprentissages. Une réflexion sur l’enseignement du vocabulaire qui montrera les limites de « la leçon de mots » qui fait son grand retour à l’école primaire.
Le mois de mai sera aussi celui de l’habillage de printemps, pour toujours plus de facilité et d’efficacité dans la navigation. Une plateforme à inscrire sans tarder dans vos favoris !
Les réflexions sur le contexte
l’Expresso du 10 avril : Collège : Les projets de programme de français
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2008/04/10042008Accueil.aspx
l’Expresso du 9 avril : Des programmes traditionalistes pour le français au collège
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2008/04/09042008Accueil.aspx
L’AFL : La mode rétro
http://www.afef.org/blog/index.php?2008/04/08/269-la-mode-retro
Sur le site du Café : Nouveaux Programmes de l’Ecole Primaire : quoi de neuf ?
http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/ProgrammePrimaireDoquetLacoste.aspx
Le Centre Académique de Ressources sur la Maîtrise des Langages (CARMaL) de l’Académie de Créteil
http://www.ac-creteil.fr/langages/scripts/welcome.php
Pour éclairer les pratiques :
http://www.ac-creteil.fr/langages/scripts/parutions/select_parution_premier_plan.php
Réflexions didactiques
http://www.ac-creteil.fr/langages/contenu/prat_peda/prat_peda.htm
Le dossier Débattre et argumenter pour apprendre
http://www.ac-creteil.fr/langages/contenu/prat_peda/dossiers/deb_arg_app.htm
Devenir l’auteur de sa parole, de Dominique Bucheton
Autour du concept et de la pratique de l’oral, d’Annie Portelette
http://www.ac-creteil.fr/langages/contenu/prat_peda/dossiers/deb_arg_app.htm#ep1
Exemples de pratiques de classe
http://www.ac-creteil.fr/langages/contenu/cont_reflexion/contr_reflexions.htm
Aider les élèves à entrer dans la discipline SVT, à l’entrée au collège
http://www.ac-creteil.fr/langages/contenu/prat_peda/dossiers/ecrire_penser_svt_phys_chim.htm#col1
|
Par fsolliec , le mardi 15 avril 2008.