Des bureaux en bois, des tableaux blancs, une salle d’ordinateurs, une bibliothèque, une cour de récré avec une marelle… Une soixantaine d’enfants fréquentent l’école du Centre d’hébergement d’urgence pour migrants d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Les cours se poursuivent y compris durant les vacances car le turn-over est permanent. Reportage dans cette école particulière.
Il est 13 heures 20. Plusieurs enfants piétinent déjà devant l’entrée de l’école, leurs sacs à dos vert pomme sur le dos. Somaya Zaied, l’enseignante de la classe des 8-12 ans, passe devant eux pour entrer et leur dit doucement : » Vous avez encore dix minutes à attendre… » Les élèves lui sourient. Manifestement, certains ont compris. D’autres ont l’air interrogatif.
Une soixantaine d’enfants de 6 à 17 ans fréquentent l’école du Centre d’hébergement d’urgence (CHU) d’Ivry-sur-Seine. Créé à l’initiative de la Ville de Paris face à l’afflux de réfugiés dans la capitale, c’est un centre d’accueil provisoire où les migrants restent entre quelques jours et quelques semaines, avant d’être orientés sur d’autres structures plus pérennes.
Pilotis
Inauguré le 16 janvier 2017, le CHU d’Ivry accueille des familles migrantes avec enfants ainsi que 50 habitants d’Ivry, des Roms. Les hommes seuls, de loin les plus nombreux, sont hébergés dans le centre de la porte de la Chapelle à Paris, en permanence saturé.
Le centre d’Ivry abrite quelque 420 personnes arrivées en famille, essentiellement des Afghans, des Erythréens et des Soudanais, ainsi que de multiples nationalités. Tout en bois, avec quatre yourtes blanches au milieu qui font fonction de salles communes et de cantines, il est entièrement bâti sur pilotis, sur le site de l’ancienne usine des Eaux de Paris.
Le 21 février 2017, l’école a démarré modestement. Emmaüs Solidarité, qui gère le centre, fournit alors trois salles : l’une, assez grande, correspondant à un studio pour une famille nombreuse, les deux autres plus petites. Les professeurs, mis à disposition par le CASNAV (le centre académique pour la scolarisation des élèves allophones, le nom entier et interminable est en note), doivent s’adapter.
Vert pomme
Le 5 juillet 2017, les locaux actuels sont inaugurés. Un bâtiment blanc en Algeco avec quatre salles de classe, une salle des profs, des bureaux, une bibliothèque… La Ville de Paris et Emmaüs ont participé . Des dons sont venus compléter l’équipement – sacs à dos vert pomme des élèves, livres, ordinateurs…
L’Education nationale a aussi répondu présent : elle prend en charge les quatre postes à plein temps assurés par cinq enseignants du CASNAV – deux se partagent un plein temps, de 18 heures d’enseignement par semaine. S’ajoutent trois professeurs de la Ville de Paris – de musique, d’arts plastiques et d’EPS (éducation physique et sportive). Deux jeunes en service civique viennent d’arriver pour seconder les profs et assumer des tâches administratives. Enfin, Stéphane Paroux, coordinateur CASNAV de Paris, assume la direction de l’école.
Turn-over
Ce matin-là, la récréation de 10 heures vient de se terminer, les cours reprennent. Mélanie Esnée, l’enseignante de la classe des 6-7 ans, appelle ses troupes – elle a 9 élèves aujourd’hui. » J’ai de la chance : depuis 15 jours j’ai le même groupe, explique-t-elle, parfois les enfants partent au bout de quelques jours et d’autres arrivent. Ce turn-over est l’une des difficultés. Il faut une grande adaptabilité. »
Plusieurs enfants manquent à l’appel. Ils ont fait un petit détour dans la classe voisine, celle de Pavel Garcia qui prend en charge les enfants non scolarisés antèrieurement (dits « NSA »). Il fait écouter, sur ordinateur, des musiques des pays dont les enfants sont originaires. Les petits de la classe de Mélanie sont restés écouter.
La classe est maintenant au complet. Mélanie commence par des chansons, avec des gestes et des mots simples – » Mains en l’air, sur la tête, aux épaules et en avant, bras croisés, sur les côtés, moulinets et on se tait « … Puis elle enchaîne avec de la pâte à modeler. Les élèves, qui adorent triturer, vont devoir faire des boules, des cercles qui représentent des zéros, des traits de plus en plus longs…
Traumatismes
L’école a plusieurs spécificités, souligne Stéphane Paroux, le directeur. » Habituellement, les élèves allophones vont dans des écoles ordinaires, dans les classes appelées UP2A (unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants), rappelle-t-il. Ici, le choix a été fait d’avoir l’école dans le centre même. Alors que les UP2A accueillent un public mixte – enfants dont les parents sont venus travailler, fils d’artistes par exemple, d’autre fuyant des crises… -, ici tous sont des migrants, partageant les mêmes traumatismes. Chez les plus petits, on sent particulièrement les difficultés de la migration. »
Il y aussi la question des jeunes filles voilées, poursuit Stéphane Paroux. » Nous observons les lois de la République mais nous en faisons une application souple. L’école est dans le centre où vivent les migrants. Nous devons bien expliquer « . Tous les mardis à 11 heures, il y a réunion avec les parents qui viennent d’arriver : » Nous leur expliquons alors la loi de 2004 (interdisant les signes religieux ostentatoires) et la laïcité. Et dans 100% des cas, les parents comprennent. »
Le projet pédagogique est simple : travailler les apprentissages de base, notamment en français s’agissant d’enfants non francophones, mais aussi leur apprendre à être des élèves pour être plus tard des citoyens dans un pays où ils vivront peut-être, leurs parents faisant des demandes d’asile.
Rassurer
» On ne sait pas où ils vont aller après le centre, explique Somaya, la professeure de la classe des 8-12 ans, alors j’essaie de leur présenter ce qu’est une classe en France, par exemple je leur explique ce qu’est un délégué de classe. J’essaie aussi de leur apprendre un peu d’autonomie : on décide qui doit écrire la date au tableau, qui doit ranger le matériel, qui est responsable des prêts de livres. J’envoie parfois les plus grands faire du tutorat chez les petits de Mélanie. »
Somaya avoue avoir été un peu surprise au début. Elle pensait qu’enseignant dans une école à l’extérieur d’un établissement, elle pourrait développer une pédagogie différente. Or elle a dû vite revenir à la rangée deux par deux : » les règles de gestion de classe, de groupe, les rassurent beaucoup. «
Sourire
Face aux situations souvent dramatiques vécues par les élèves, il est difficile de rester insensible. Des émotions que les enseignants du centre doivent gérer et mettre à distance. » Quand ils arrivent, ils sont parfois très mal, souligne Anastasia Guillon, l’enseignante de la classe des 12-17 ans, puis vient un sourire et ils commencent à s’ouvrir « .
A côté des apprentissages scolaires – » décrypter, savoir lire et si possible écrire, savoir compter, se repérer dans le temps et dans l’espace » -, Anastasia souligne le bien-être que peut apporter l’école à ces enfants mis à si rude épreuve : » ils sont très demandeurs et friands d’apprendre. Parfois ils s’ennuient dans le centre. L’école ritualise et donne le ton de la journée. Ils retrouvent aussi un groupe et tous ensemble, on passe un bon moment. » Pour les enseignants, ajoute-telle, » cela demande beaucoup de patience, de persévérance et d’amour. »
Véronique Soulé
(1) le CASNAV est : le Centre Académique pour la Scolarisation des élèves allophones Nouvellement Arrivés et des élèves issus de familles itinérantes et de Voyageurs.