Comment combattre un certain pessimisme des jeunes en prenant en considération leur créativité ? Comment développer cette créativité, leur apprendre à entreprendre, les amener à devenir acteurs de leurs vies ? C’est le beau défi du projet Déclic lancé par Véronique Garczynska, professeure de sciences économiques et sociales. A travers plusieurs étapes de travail (vidéos, rencontres, élaboration de projets), le dispositif, invite les élèves à se confronter à un problème qui les touche pour lui trouver une solution innovante. Par-delà les connaissances (entre autres du monde réel), les capacités (par exemple de travail collaboratif), ce sont bien des attitudes essentielles que Déclic veut favoriser tout en redonnant du sens au travail scolaire. Un dispositif inspirant et transférable, en accompagnement personnalisé, en enseignement pratique interdisciplinaire, en enseignement d’exploration …
Comment ce projet Déclic est-il né ?
Un premier élément déclencheur a été pour moi de découvrir la créativité de mes élèves. Un exemple : lors d’un projet mené par des terminales pour sensibiliser des collégiens aux concepts du développement durable, un groupe d’élèves a inventé un jeu pour retracer le nombre de km parcourus par un tee shirt à travers le monde, du champ de coton à sa « fin de vie ». J’ai compris que cette créativité souvent insoupçonnée ne demandait qu’à être révélée.
Le deuxième moteur a été le pessimisme voire l’angoisse de mes élèves face à une société en crise systémique (financière, sociale, politique, écologique …) que nous étudions en cours de SES. En tant qu’adulte, au côté des jeunes, mon rôle est de leur montrer que ces problèmes peuvent être autant de défis à relever et que leur génération peut être actrice de changement.
La première étape du dispositif consiste en la projection de vidéos aux élèves : pouvez-vous en donner des exemples ? quel usage en faites-vous ?
Je projette une sélection de vidéos d’initiatives qui ont répondu à un problème concret. Par exemple l’invention de « lunettes universelles » qui peuvent répondre à plus de 90% des problèmes de vison des 1 milliard de personnes qui, dans le monde n’ont pas accès aux lunettes, et cela pour 2 à 5 euros. Le développement de spectacles de Clowns sans frontières pour apporter le rire et la vie dans les camps de réfugiés. La colocation entre étudiants et personnes âgées pour créer du lien intergénérationnel et répondre aux problèmes de ressources et de logement. Ces vidéos très courtes (sur les sites de Shamengo ou de Sparknews entre autre) couvrent différentes thématiques : environnement, santé, lien social… Elles vont faire l’objet d’un vote avec des papiers de couleur. Les élèves vont choisir individuellement en fonction de critères prédéterminés leur initiative favorite.
L’objectif est double, il permet de montrer que certains, en France comme à l’autre bout du monde, sans avoir fait de grandes écoles, ont pu donner une réponse innovante à un problème concret qui les touchait. Cela ouvre des horizons aux jeunes. Par ailleurs, le débat après le vote des élèves permet de voir qu’il n’y a pas une bonne réponse, une initiative meilleure qu’une autre. Les échanges sont riches et source d’écoute et de respect du ressenti et de la parole des autres.
La 2ème étape consiste en une rencontre : pouvez-vous donner des exemples de personnes ainsi rencontrées ? dans quels buts ?
Les fondateurs de Babyloan, plateforme de microcrédit solidaire, de ANDES, réseau d’épiceries solidaires, de Kinomé, entreprise sociale qui fait de l’arbre une solution pour le développement, de Un par Un qui retisse du lien social le temps d’un café …. sont venus rencontrer les élèves durant une heure.
Comme les vidéos, ce témoignage d’un homme ou d’une femme qui s’est engagé sous une forme ou une autre pour répondre à une problématique précise et qui a donné du sens à son activité professionnelle est source d’inspiration. Les élèves s’interrogent : « C’est possible, pourquoi pas moi ? ». Le temps de questions-réponses permet de montrer que les difficultés et les erreurs peuvent permettre de progresser. Les élèves voient la valeur de l’effort et de la persévérance. Ces échanges permettent de lever des obstacles, ils sont sources de confiance en l’avenir et ouvrent des perspectives dans leurs parcours d’orientation.
La 3ème étape consiste en « un travail en groupe de recherche de solutions innovantes pour répondre à un problème concret qui concerne les jeunes » : pouvez-vous donner des exemples de « problèmes » ainsi explorés par les élèves ? quels sont modalités et outils de travail utilisés dans ces ateliers pour inventer les « solutions innovantes » ?
Après avoir fait des petits exercices d’échauffement à la créativité, les élèves par groupe de quatre à cinq vont déterminer à l’aide d’un processus par étapes, un problème qui les touche. (si besoin dans une thématique décidée par l’enseignant). Ils vont ensuite chercher une solution innovante pour relever ce défi et préparer une présentation originale de leur solution au reste de la classe.
Par exemple, un groupe d’élèves a cherché à résoudre un problème de déjeuner : la cantine du lycée étant surchargée et relativement chère, les restaurations rapides à l‘extérieur peu équilibrées et aussi coûteuses. Ils ont imaginé rechercher dans le quartier des familles ou personnes isolées qui souhaiteraient partager leur repas occasionnellement ou régulièrement. Ils ont souhaité créer un réseau de partage de repas à proximité du lycée. Le fait que les élèves travaillent sur des questions qui les concernent permet de mobiliser leur motivation et de donner du sens à leur travail.
Avant de chercher une solution innovante, les élèves vont travailler sur la problématique afin de construire une réflexion commune. Ils vont prendre conscience de leurs représentations à l’aide du photo langage et construire ensemble une carte heuristique afin de faire un tour d’horizon de la question posée (par exemple, le lien intergénérationnel).
Pour trouver des solutions innovantes, ils vont utiliser à l’aide de post it un processus rigoureux de créativité passant de la pensée divergente (capacité à trouver de nombreuses réponses à l’aide du design thinking, de la technique de l’inversion…) à la pensée convergente (pour choisir la solution la plus pertinente).
De manière générale, quels vous semblent les profits pour les élèves de ce dispositif Déclic ?
Le Déclic permet de faire travailler les élèves autrement et de révéler chez certains de réelles compétences de créativité. C’est souvent le cas chez des élèves parfois en échec car ayant du mal à rentrer dans le moule de nos exigences académiques. Certains ont beaucoup de fierté à présenter leur idée à l’ensemble de la classe.
Ce programme a pour but d’inspirer les élèves et de leur donner confiance en leur capacité à être acteurs de leur vie. Pour cela, il faut engager les élèves dans des projets, les confronter à des problèmes réels qui suscitent leur intérêt et leur motivation à rechercher des solutions innovantes.
Tous ne vont pas développer leur projet mais cette expérience du Déclic est comme une graine qui ne germera pas tout de suite, ni sur tous les terrains, mais qui pourra être source de prise d’initiatives.
Au delà de cet objectif, le travail mis en œuvre, notamment en classe entière comme en petit groupe, permet de développer des attitudes individuelles et collectives de travail collaboratif, d’autonomie et d’ouverture (à la prise de risque comme à ses émotions). Apprendre à faire confiance, construire sur les idées des autres, découvrir et comparer permet de développer l’esprit critique et d’exercer une intelligence collective.
Comment envisagez-vous les transferts possibles dans d’autres matières ou d’autres niveaux ?
Si les programmes de SES permettent de trouver de nombreuses problématiques concrètes qui interrogent les élèves, les transferts sont possibles dans toutes les matières et le plus intéressant est pour moi de travailler en transdisciplinaire. Les réformes engagées dans l’Education Nationale donnent plus de possibilité qu’auparavant dans les emplois du temps (accompagnement personnalisé, enseignement d’exploration enseignements pratiques interdisciplinaires), l’essentiel est de s’approprier ce programme en fonction de ses élèves et de ses objectifs pédagogiques.
Ce qui est certain, c’est qu’à chaque Déclic, enseignants comme élèves ont pris une grande bouffée d’oxygène. Je souhaite donc qu’un maximum d’enseignants se lancent en utilisant les outils mis à disposition.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut