Le célèbre réseau social Instagram permet de partager ses photographies et vidéos avec son réseau d’amis. Quel rapport avec l’Ecole ? A Bonneuil-sur-Marne, en SEGPA, Camille Martin et ses collègues en ont inventé un passionnant usage pédagogique. Sur un compte Instagram, chaque enseignant, en concertation avec la classe, peut poster photo ou vidéo d’une production de cours avec commentaire rédigé par les élèves : schéma, expérience scientifique, création artistique, carte, production langagière …« Que voulons-nous montrer de notre travail ? » est la principale question posée aux élèves : Instagram les amène à transformer l’information en connaissance, les hashtags contribuant même au travail de mémorisation et de catégorisation. Le projet, édifiant, participe d’une éducation positive aux médias sociaux, améliore le climat de classe, favorise l’estime de soi et les échanges entre les disciplines.
Dans quel contexte ce projet original est-il né ?
Ce projet est actuellement mené avec une classe de quatrièmes SEGPA mais a été initié dès le début de l’année scolaire passée auprès de cette même classe, alors en cinquième SEGPA.
En effet, professeure des écoles, je suis, depuis septembre 2014, détachée dans le second degré au sein de l’Etablissement Régional d’Enseignement Adapté (EREA) « Stendhal » de Bonneuil sur Marne (94). Cet établissement se divise en deux entités : un lycée professionnel formant à différents CAP du secteur de l’habitat et de l’horticulture et un collège sur quatre niveaux (sixième à troisième) accueillant uniquement des élèves en SEGPA (section d’enseignement général et professionnel adapté).
Il n’existe qu’une classe de 10 à 15 élèves par niveau ce qui fait de notre collège un établissement avec un petit effectif d’environ 50 élèves. Ces élèves proviennent de l’ensemble de l’Ile-de-France et sont pour une grande part inscrits à l’internat durant la semaine. Hormis l’EPS, les cours sont dispensés par des professeurs des écoles détachés comme moi, en SEGPA, et qui se partagent les disciplines. Les élèves de quatrième et troisième reçoivent également un enseignement professionnel par les enseignants du lycée.
Au-delà de difficultés scolaires pouvant parfois être très importantes, les difficultés de ces élèves sont aussi d’ordre social et une grande hétérogénéité définit la classe dont je suis professeure principale depuis l’année passée. Les notions de vivre ensemble et de réussite de toutes et tous sont au cœur du projet d’établissement et des projets de classe d’autant plus fortement que notre structure, de par l’absence de filière générale, ne peut avoir pour ambition une inclusion des élèves de SEGPA au sein d’un « collège plus inclusif » (comme le mettent de l’avant les textes de référence concernant la SEGPA parus le mois passé).
Ainsi, dès mon arrivée, il m’a semblé d’abord très important de souder les élèves de ma classe autour de projets au sein desquels ils pouvaient tous se retrouver et donner davantage de sens à leurs apprentissages. Il me paraissait également important de prendre en compte les intelligences multiples et de travailler avec l’ensemble de la classe « l’apprendre à apprendre ».
Dans ce contexte, l’intégration des réseaux sociaux et plus largement, du numérique s’est également imposée dans le sens où les élèves en avait déjà une utilisation sur laquelle il me semblait important de prendre appui, tout en les éduquant à de bons usages.
Un compte Instagram privé est utilisé pour ce projet : comment fonctionne-t-il en pratique ?
Ce projet se base effectivement sur un compte Instagram privé, crée avec l’ensemble des élèves en septembre 2014 et dont seuls les enseignants ont le mot de passe de connexion. Le groupe-classe s’y connecte régulièrement avec les différents enseignants en cours, pour poster des photos ou de courtes vidéos, à chaque fois légendées. Ces dernières ne sont ainsi accessibles qu’aux élèves de la classe et aux parents, acceptés en tant qu’abonnés. Chaque élève/parent utilise son propre compte pour « suivre » celui de la classe. De la même manière, les enseignants utilisent leur propre compte pour « aimer » ou « commenter » les photos publiées sur le compte classe. Evidemment, une attention toute particulière est apportée au respect des règles d’orthographe et de syntaxe dans les commentaires publiés. Par la suite, les élèves peuvent commenter et échanger autour de chaque publication avec les enseignants qui suivent le compte de la classe.
En procédant de cette façon, les contraintes liées au droit à l’image sont respectées et aucun contenu n’est public.
Qu’est-ce qui est publié sur ce compte ? En quoi cela est-il susceptible de favoriser les apprentissages scolaires ?
En fonction des activités proposées en classe, chaque enseignant, en concertation avec les élèves, peut poster une photo ou une vidéo avec un commentaire rédigé par les élèves et accompagné de mots-clés (« hashtags »). En plus de l’éducation à l’utilisation d’Instagram et des réseaux sociaux en général, l’objectif premier était de créer un espace collectif facile d’accès pour garder en mémoire les travaux des élèves et pouvoir les consulter à tout moment. Evidemment, toutes les activités ne sont pas présentes en photo ou en vidéo sur le compte. Les publications sont sélectionnées en concertation avec les élèves et décidées par les enseignants en fonction de leur intérêt pédagogique. Depuis l’ouverture du compte il y a plus d’un an, nous retrouvons des illustrations de contenus pédagogiques sous forme de schémas, de comptes rendus oraux d’expérience ou de modélisation filmée en SVT, de vidéos de leurs créations en arts plastiques ou en éducation musicale par exemple. Les élèves ont également accès à des photos ou vidéos de leurs lexiques en langue vivante étrangère, de leurs traces GPS de course en EPS, à des cartes-bilans en géographie où à des extraits de leurs exposés en Histoire ou en étude de la langue sur une notion précise.
Dans une moindre mesure, les moments de convivialité (sorties scolaire, sorties UNSS, activités à l’internat) sont également illustrés.
Au-delà de l’intérêt pédagogique de l’illustration comme trace des apprentissages, l’intérêt est à voir dans les commentaires placés sous chaque illustration. En effet, chaque publication donne lieu à un ajout de mots-clés destinés à contextualiser l’activité pédagogique liée à la photo ou à la vidéo. Les mots-clés (ou « hashtags ») sont fréquemment utilisés sur les réseaux sociaux et sont supposés permettre de retrouver toutes les publications liées à un même mot-clé.
Dans notre cas, il s’agit de la discipline concernée et des notions principales de la leçon liée à l’activité. Cette utilisation doit se comprendre à travers la volonté des enseignants de travailler ensemble autour des concepts de mémorisation et de catégorisation. Ainsi, les élèves choisissent eux-mêmes quels concepts placer en mots-clés.
En conséquence, ils font inconsciemment un travail de catégorisation lorsque par exemple, afin de légender une photographie de faux-fossiles en plâtre réalisés en classe, ils choisissent de placer les termes « sciences », « géologie », « expérience » « sédimentation » « fossilisation » « fossiles » « traces » en mots-clés et dans cet ordre. Lorsqu’ils auront à resituer la création de ces « fossiles » dans leurs apprentissages, ces derniers s’en trouveront ainsi facilités de par une mémorisation plus aisée, liée à un cheminement inductif plus accessible.
En quoi le projet participe-t-il selon vous d’une nécessaire éducation aux bons usages des réseaux sociaux ?
L’apparition de Facebook en 2007 a entraîné la création de nombreux autres réseaux sociaux que mes élèves utilisent naturellement. Leurs pratiques de ces plateformes échappent souvent aux parents, à l’école et aux adultes en général. Il est pour moi dommage de ne pas investir ces espaces en dépassant la nécessaire prévention vis-à-vis des comportements à risque liés au droit à l’image (qu’ai-je le droit de publier ? qui peut voir ce que je publie ? comment protéger mes données ? qu’est-ce que le droit à l’image ? qu’est-ce que le droit à l’oubli ?).
De mon point de vue, l’utilisation de ces réseaux s’apprend et doit intégrer les pratiques pédagogiques enseignantes. En effet, c’est en accompagnant les élèves sur ces réseaux que nous sommes, adultes, le plus à même d’en réguler les usages.
C’est ainsi l’un des objectifs de ce projet : s’approprier un espace que les élèves pensent connaître pour leur apprendre à s’en servir consciemment et de façon responsable. Notre première préoccupation fut celle de la gestion de la confidentialité du compte. Faire naître une interrogation sur la nécessité de protéger son compte, en ne le réservant qu’à ses amis et en maîtrisant les paramètres de confidentialité ont été les premiers contenus d’enseignement proposés aux élèves. Ainsi, créer le compte de l’élève avec lui, en lui montrant les différents types de compte (public ou privé) et en le sensibilisant à la nécessité de ne pas accepter comme « amies » les personnes que l’on ne connaît pas, s’est imposé comme la première étape du projet.
Au-delà de la gestion de la confidentialité du compte, le premier vecteur d’apprentissage se trouve dans la sélection des contenus publiés. Il n’est pas rare de voir des comptes Instagram adolescents surchargés de « selfies » exposant ces derniers à une gestion compliquée de leur image. Il nous semblait important de dépasser cet effet de mode pour montrer que l’image que l’on donne de soi n’est pas quelque chose d’anodin. Aussi, lors de certaines activités pédagogiques comme la cueillette de végétaux pour fabriquer de faux fossiles en classe, si le choix a été fait de publier une photo, on a pris soin de ne sélectionner qu’une seule image illustrant au mieux le travail réalisé. « Que voulons-nous montrer de notre travail ? » est la principale question posée aux élèves.
L’utilisation responsable d’un réseau social, dans un cadre scolaire apparaît ainsi comme un moyen de développer chez les élèves de bonnes pratiques, qui peuvent être réinvesties dans leur utilisation personnelle d’Instagram mais également d’autres réseaux sociaux.
En quoi un tel usage d’un réseau social en milieu scolaire vous semble-t-il aider à développer des compétences sociales et contribuer à améliorer le climat de travail ?
Ce projet contribue, via Instagram, au développement d’un bon climat de classe au sein duquel les élèves voient leurs échanges augmentés et leur travail valorisé.
En effet, des échanges sont nécessaires pour ne pas voir se multiplier les publications ou les choix inappropriés. En classe, les photos prises sont visionnées à l’aide du TNI et les élèves choisissent ensemble celle qui sera publiée. De la même manière, le commentaire de la photo est rédigé en classe entière ou en petit groupe puis validé par l’enseignant. Le questionnement est le même : « que devons-nous retenir de notre travail ? ».
D’autres activités impliquent la réalisation par chaque élève d’une production identique. C’est le cas lorsqu’un schéma doit être réalisé. Il n’est bien sûr pas pertinent de publier les schémas de tous les élèves. Une nécessaire sélection conduit les élèves à apprécier la qualité de leur production ou celle de leur condisciple. Cette étape n’est pas simple et peut provoquer des débats qui deviennent autant de moyens de travailler en profondeur sur les attitudes par rapport aux camarades, à l’image de ce qu’ils font en orthographe lors de « disputes élaboratrices » (dans le cadre de la twictée notamment).
Ce type d’échanges favorise le développement d’un climat de classe positif dans la mesure où chaque enseignant est intégré à une démarche collective que les élèves perçoivent au travers des échanges relatifs à leur travail. Les débats entre les élèves, permettant de décider quelle photo sera publiée et quels mots-clés seront ajoutés, vont également en ce sens.
De plus, si ce n’est pas toujours, à proprement parler, un moyen de réviser ou de revoir scolairement ce qui a été vu en classe, c’est un formidable outil de promotion de leur travail. Avoir son schéma sur le compte de la classe est pour beaucoup un signe de valorisation. Charge ensuite à l’enseignant d’équilibrer la présence de chaque élève dans les publications afin que le compte reflète le travail de la classe et non celui de quelques élèves.
Au-delà des élèves, je tiens à souligner que le climat de travail de ces derniers n’est pas le seul à être amélioré. En effet, je crois que le travail de l’équipe enseignante est également impacté par l’utilisation d’Instagram. La mutualisation au sein d’un même espace des traces d’activités pédagogiques diverses favorise les échanges entre les disciplines. Il est plus facile pour chaque membre de l’équipe de suivre au quotidien ce qui est proposé par les collègues, et cela suscite des échanges, un questionnement collectif et souvent un partage de bonnes pratiques. S’il semble pour le moment ambitieux de parler de pluridisciplinarité, il est indéniable que la participation à ce projet a engagé les collègues dans une dynamique collective.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Camille Martin
Twitter : @ellimac_9
Mail : Camille.Martin@live.ca / Camille.Martin1@ac-creteil.fr