Le Café pédagogique l’avait annoncé. C’est maintenant officiel. 2016 est l’année record pour le bac avec 78.6% d’une génération détenant ce diplôme. Curieusement, le communiqué ministériel ne souligne pas ce chiffre record. Alors comment expliquer ce record ? Et surtout faut-il , ou non, le fêter ?
2016 année record
Jamais le pays n’a connu autant de bacheliers qu’en 2016. Avec 88.5% d’admis aux différents bacs c’est 632 700 jeunes qui sont bacheliers, soit 78.6% d’une génération et 11 700 bacheliers de plus qu’en 2015. L’objectif des 80% de jeunes « au niveau bac », fixé en 1985, est dépassé car on atteint presque les 80% de bacheliers.
Pour situer ces 78.6% il faut rappeler qu’en 1980 seulement 26% d’une génération avait le bac. Ce taux a doublé dans les années 1990 pour atteindre 63% en 2000. On est passé à 71% en 2011 puis 78.3% en 2012, taux record maintenu en 2014. En 2015, il n’y avait que 77.2% d’une génération à détenir le bac. En 2016 un nouveau petit bond est fait à 78.6%, record absolu de l’histoire des bacs.
Quels bacs ont progressé en 2016 ?
Le taux de réussite au bac général atteint 94.4%, en stabilité avec 2015. On a 92% de reçus en S , 91% en L et ES. Le seul changement important c’est hausse du nombre de candidats en L (+2.2) , une série en déclin continu ces dernières années. Elle est infériuere à celle des élèves de S : +3.9%.
La série technologique continue à se rapprocher de la série générale avec 90.7% de reçus. La série STMG a 89.2% de reçus soit 0.3% de moins qu’en 2015. La série STL perd 1.4% de reçus avec 92.5% d’admis. ST2S a 92% de reçus (+0.6%).
C’est en série professionnelle que le changement est le plus important. Avec 82.2% de reçus, la série progresse de deux points. Avec 1800 candidats de moins on obtient 3100 bacheliers supplémentaires. C’est une progression nette : on comptait 79% de reçus en 2013 et 80% en 2015. En même temps la série professionnelle reste celle où le rattrapage rapporte le moins : 60% d’admis au second groupe contre 72 % en général.
La fausse démocratisation du bac
On retrouve ainsi une constante dans l’évolution du bac depuis le début du siècle. Son ouverture se fait par la voie professionnelle. En 2000, seulement 11% des jeunes devenaient bacheliers professionnels. Aujourd’hui c’est 24% ce qui représente une énorme croissance. Pour autant le taux de réussite à ce bac est resté stable depuis le début du siècle. Il a même régressé fortement après une hausse en 2009. C’est elle qui amène un nouveau public au bac qui peut justifier le mot « démocratisation ».
En même temps, celle-ci est toute relative. On distingue bien deux types de bacs différents. Le bac général et technologique est une formalité remplie par 9 candidats sur 10. Le bac professionnel compte deux fois plus de recalés et reste un obstacle pour un élève de terminale sur cinq. C’est aussi celui où il est le plus difficile de se rattraper alors que le jeu des options, dans le bac général, permet de dépasser les 20/20 de moyenne.
On le sait ce deux types de bacs correspondent à des recrutements sociaux différents et à des débouchés différents. Ainsi, sur les 18 000 enfants de professeurs qui ont été admis au bac en 2013, 15 000 ont eu un bac général. Chez les cadres c’est le cas de 105 000 jeunes sur 135 000 bacheliers. Seulement 35 000 enfants d’ouvriers sur les 98 000 admis au bac ont eu un bac général. C’est le cas de 9 000 enfants d’inactifs sur 60 000.
Les débouchés sont eux aussi différents. Le taux d’échec en université des bacheliers professionnels est énorme. Leur débouché principal est le BTS mais encore faut-il trouver une place. L’augmentation du nombre des bacheliers pro a dépassé de loin celle des places en BTS. Le ministère vient tout juste d’en prendre conscience et promet maintenant des quotas et la création de 10 000 places en 5 ans a partir de la rentrée 2017. Rappelons que cette année il y a plus de 3000 bacheliers professionnels supplémentaires et que leur nombre a presque doublé depuis 2010…
Faut-il fêter ce record ?
Dans le communiqué officiel du ministère, il est frappant de voir que le record n’est pas signalé. La ministre remercie les candidats et les enseignants. Le ministère annonce que le taux de reçus est supérieur à celui de 2015 et c’est tout.
Pourquoi cette modestie ministérielle ? Sans doute parce que les détracteurs du bac sont en embuscade , prêts à voir dans ce succès collectif du système éducatif un acte démagogique. Alors i est peut-être nécessaire de rappeler quelques faits.
Au final , un jeune sur cinq n’aura jamais le bac. Pour ce jeune, cette situation est beaucoup plus stigmatisante que dans les générations antérieures.
On a compris que l’on a beaucoup plus de chance d’avoir le bac si l’on vient d’un milieu favorisé que populaire. Ajoutons une autre inégalité statistique. Le bac se féminise. L’écart de réussite entre filles et garçons se creuse. En 2000, 57% des garçons sont devenus bacheliers et 69% des filles. En 2010 l’écart avait été ramené à 10%. En 2014, c’est 85% des filles et 72% des garçons d’une génération qui sont reçus. Il y a 13 points d’écart entre les sexes. Concrètement plus d’un garçon sur quatre n’aura jamais le bac contre une fille sur sept…
Ce que coûte de ne pas avoir le bac
Pour bien mesurer la valeur du bac il faut voir les efforts des élèves du lycée municipal de Paris racontés par sa proviseure, Françoise Noël Jothy (1). Dans ce lycée parisien, des adultes viennent tous les soirs, après une journée de travail, suivre des cours de la seconde à la terminale pour se préparer à passer le bac. Ils vivent cet effort comme une revanche sur la vie. Eux savent que ne pas avoir le bac ferme des portes.
On peut aussi faire un autre calcul plus terre à terre. L’Alliance for Excellent Education (AEE) , une association charitable qui milite pour la scolarisation, a calculé en dollars ce que peut couter le fait de ne pas avoir le bac aux Etats-Unis. Pour elle « tout le monde bénéficie des progrès de qualification ». Elle a pu calculer la différence de salaire entre un bachelier et un non bachelier (26 923 $ contre 17 299$) et partant de là estimer le manque à gagner collectif : si tous les jeunes Américains de 2008 avaient poursuivi leurs études jusqu’au bac, ils auraient apporté 319 milliards de dollars en plus à l’économie américaine durant leur vie. Mais puisque les diplômés vivent plus longtemps, deviennent des citoyens plus posés, L’AEE estime également d’autres retombées : « les économies régionales et locales souffrent plus quand elles ont des populations moins éduquées car il leur est plus difficile d’attirer des investissements. En même temps elles dépensent davantage en dépenses sociales ». L’AEE a pu calculer qu’en poussant tous les Américains jusqu’à la fin des études secondaires, l’Etat économiserait de 8 à 11 milliards chaque année en aide sociale, 17 milliards en aide médicale. Si le taux de sortie sans qualification des garçons baissait de seulement 5% cela représenterait 5 milliards de dépenses policières en moins.
Faut-il réformer le bac ?
C’est vrai, le bac est une machine colossale et couteuse. Or quelques épreuves seulement sont prédictives du résultat pour 90% des candidats. Aussi des voix demandent la simplification du bac. Il y a quelques années le député de droite B Apparu demandait 4 épreuves seulement. Un nombre repris récemment par le think tank Terra Nova, proche du PS. Si elle apparaît logique, la réforme proposée semble surtout susceptible d’abaisser le niveau et d’augmenter l’injustice. En effet on sait, depuis les travaux de D. Oget, que si le bac était passé au contrôle continu les résultats finaux seraient largement différents. Le fait qu’au bac on corrige une copie anonyme augmente les chances de certains candidats : les garçons, les jeunes des milieux populaires.
Mais les travaux du Cnesco sur le bac ont démontré que le fait d’avoir un large ensemble d’épreuves finales augmente le niveau du bac , spécialement dans les établissements populaires. Cela leur fixe un repère externe qui oblige les enseignants à suivre une norme nationale plutôt qu’à adapter vers le bas le niveau de leurs exigences.
Remplacer le bac par un contrôle continu accroitrait l’écart entre les jeunes des milieux populaires et les autres et favoriserait les enfants des milieux populaires. Xeux qui veulent la peau du bac militent pour une société et une école plus injustes.
François Jarraud
(1) Françoise Noël Jothy, Je croyais que l’école ne voulait pas de moi, Librinova, ISBN 979-10-262-0550-0