Par François Jarraud
Dans le Rhône l’exemple de La Classe
Imaginé en 1998, La Classe, l’ENT du département du Rhône, a réussi à s’implanter dans les collèges. Son directeur, Yves-Armel Martin, nous confie comment cela a été possible.
Quelles sont les activités du Centre Erasme ?
Le Centre est le service du Conseil général du Rhône en charge de l’innovation numérique. Il intervient dans l’éducation avec « La Classe » depuis 1998, mais aussi dans la politique culturelle départementale ou socialement, par exemple au bénéfice des personnes âgées.
Vous présentez La classe comme un « cartable en ligne. C’est-à-dire ?
On préfère parler de « cartable » mais La Classe est un ENT en fait. C’est à dire qu’on y trouve des espaces de stockage pour abriter des documents numériques pour les enseignants et les élèves et les partager par exemple au sein d’une classe ou d’un groupe de travail, des outils de communication (email, chat, forums) par établissement ou centre d’intérêt, des outils de publication (blog de classe ou de groupe), des outils pour accompagner la pédagogie comme le cahier de texte en ligne, des outils de type quizz, un carnet de correspondance à destination des parents et bientôt un logiciel de notes.
Un cartable c’est aussi un objet très personnel. Qu’en est-il de l’appropriation de La Classe ?
En ce moment on a 25 000 utilisateurs actifs, dont 21 000 collégiens et 4 000 enseignants. Un collégien sur quatre dans le département utilise La Classe.
En général les ENT ont du mal à sortir des applications de gestion. Comment expliquez-vous ce fort taux d’utilisation ?
On a pris le temps. On est parti par en bas, en collant aux demandes des chefs d’établissement et des enseignants de terrain. On a misé sur l’utilité en cherchant l’adhésion des enseignants. Notre approche est centrée sur les usages et le développement de la culture numérique chez les enseignants et les collégiens. On accompagne les usages et on les amplifie. Par exemple c’est quand on s’est rendu compte que les élèves hospitalisés finissaient par avoir trois profs de maths (celui du collège, celui de l’hôpital, celui du retour à la maison) qu’on a eu l’idée du cahier de textes électronique. On l’a laissé ouvert aux autres utilisateurs et certains s’en sont emparés. Ca s’est contaminé par en bas.
De votre expérience de cahier de textes électronique quelles leçons peut-on tirer en vue de sa généralisation ?
Actuellement une poignée de collèges ont généralisé le cahier à tous les enseignements. Pour cela le rôle du chef d’établissement est très important. Il faut qu’il s’implique. Mais il faut aussi que les enseignants y voient du bénéfice pour eux-mêmes. Si c’est le cas et s’ils sont confortés par leur chef d’établissement alors le cahier de textes va s’imposer dans l’établissement.
C’est-à-dire que le département met un ordinateur par salle de classe pour que les enseignants l’utilisent ?
Non. On est en train de l’envisager. Mais une façon pour chef d’établissement d’aider c’est par exemple d’imprimer le cahier en cas d’inspection. Du côté des bénéfices pour les enseignants, on fait beaucoup d’efforts pour que l’outil soit le plus simple possible quitte à enlever des fonctionnalités. Il faut qu’il soit aussi rapide à remplir que le cahier papier mais que l’enseignant puisse y joindre, s’il le désire, des documents qui accompagnent la leçon. Quand le cahier est utile les élèves prennent l’habitude de le consulter. On s’en rend compte par exemple quand il y a des erreurs d’énoncé dans les devoirs : on corrige en ligne et on voit les élèves arriver en ayant tenu compte de la correction. Un exemple de gain de productivité du cahier électronique c’est la possibilité de copier-coller son cahier sur plusieurs classes ou d’adapter le cahier à un demi-groupe de langue.
Mais tous les élèves n’ont pas accès à Internet …
Si on tenait compte que de cela on nivellerait par le bas. Actuellement le taux d’équipement des familles avec enfants, même en zone rurale, est de 80 à 90%. Pour les autres on développe des espaces publics numériques, on prête des netbooks.
Le cahier de textes expose aussi la classe aux regards extérieurs ce qui peut aussi poser problème.
Jusqu’en octobre dernier, les parents n’avaient pas accès à La Classe. Maintenant ils peuvent accéder mais ils sont peu nombreux à avoir leur propre compte qui leur donne accès au B2i et au cahier de textes. Des enseignants sont réticents à la mise en ligne des notes car ils estiment que ça bouleverse les rapports entre l’enfant et ses parents. On a respecté cette objection et on s’est peu attaché à la mise en ligne des notes.
Et du coté de l’administration, de l’inspection ?
Le cahier de texte d’une classe est partagé entre les enseignants de la classe. Par exemple chaque professeur peut voir le travail qui est donné par les collègues. C’est un de ses points forts. Le chef d’établissement a aussi accès au cahier. Les inspecteurs n’y ont pas accès sans que les enseignants en soient informés. Il n’y a pas de « big brother » rectoral. Il est fondamental pour nous de travailler en confiance avec les enseignants.
Cela va-t-il changer l’Ecole dans le Rhône ?
On ne croit pas que la technologie change l’Ecole comme ça, de façon automatique. Elle ne change pas ce qui est fondamental : la relation entre l’enseignant et ses élèves. Le numérique peut offrir des outils qui ne prennent de la valeur que quand ils rencontrent des usages. Il permet d’ouvrir une fenêtre sur le monde quand l’enseignant le veut. Il nous aide à mettre en valeur la politique culturelle du département (musées, résidences d’artistes).
Mais il perturbe quand même la relation par exemple en permettant de joindre à tout moment un prof…
On n’observe pas de déplacement de la frontière éducative traditionnelle. Par exemple on n’a pas de cas de cyberbullying (harcèlement par Internet). Les jeunes ont des usages « tribaux » d’Internet qui sont très éloignés de ceux de l’Ecole.
Le prochain défi ?
Le département rejoint l’expérimentation des manuels numériques. On va voir comment il va interférer avec la classe.
Entretien : François Jarraud
Découvert à Roubaix : le cahier de Gabrielle Philippe
Présenté lors du Forum des enseignants innovants et de l’innovation éducative de Roubaix, le cahier de textes de Gabrielle Philippe est très artisanal. Mais il est déjà dans sa 4ème année d’exercice…
X. Darcos envisage de généraliser le cahier de textes électronique. Vous avez déjà plus de 3 années scolaires d’expérience sur cet outil dans votre collège parisien. A quoi vous sert le cahier ?
Au départ, lorsque j’ai décidé de mettre en ligne mon cahier de textes, c’était principalement dans le but de le rendre accessible de tous, élèves comme parents. J’ai tenu à ce qu’il soit totalement libre d’accès, contrairement au cahier de textes traditionnel qui dort à la vie scolaire, afin que les collègues qui recherchent des idées de programmations annuelles puissent également le consulter.
J’ai commencé par le remplir comme le cahier de textes papier, avec une présentation similaire : dans la colonne de gauche, la description des activités menées en classe, et dans la colonne de droite, les devoirs. J’y ai inséré, spontanément, ou à la demande des élèves, certaines parties de cours, parfois des séquences entières, des leçons à apprendre, afin que tous aient à leur portée tous les outils nécessaires pour progresser.
Et très vite, j’ai enrichi le cahier de textes, avec une iconographie qui mette en valeur ce qui a été étudié en classe, des documents sur les auteurs, sur les œuvres, sur les mouvements littéraires ou artisitiques évoqués, sur les contextes historiques aussi. Et très naturellement, l’idée m’est venue de sélectionner des sites à explorer en classe, en salle informatique, ou chez soi, afin d’utiliser toute la potentialité et toute la richesse d’internet. J’ai créé une page d’accueil propre à chaque classe, sur laquelle j’ai sélectionné des documents utiles aux élèves, des liens vers des sites en rapport avec les projets de classes, mais aussi un certain nombre de sites très utiles d’accès gratuit que je leur recommande d’installer dans leurs favoris, comme Lexilogos (dictionnaire en ligne), Le Conjugueur, et d’autres sites permettant de s’instruire en jouant avec la langue française, comme Orthonet…
Constatant que la tenue du classeur est problématique pour de nombreux élèves, j’ai créé une page « Classeur idéal », où tous les cours et devoirs réalisés sont recensés, dans l’ordre dans lequel ils doivent y figurer, avec une couleur par intercalaire. Enfin, je crée lorsque cela se justifie des pages permettant de présenter les projets de classe ou de valoriser les travaux d’élèves. Je tiens à ce que la structure et la présentation du cahier de textes en ligne soit très souple, et pour cette raison, je l’élabore avec un logiciel très intuitif, qui traduit la mise en page en langage html (Dreamwaver). Un « squelette » imposé ne me conviendrait pas, je pense.
Comment articulez-vous le cahier et le cours ?
Très naturellement : chaque soir, je mets en ligne les nouveautés, et je réponds éventuellement à des questions que les élèves m’adressent par courriel. Depuis un an, je dispense tous mes cours sur TBI (Tableau Blanc Interactif), ou à défaut avec un vidéoprojecteur et une tablette graphique, et je ne me contente plus de remplir le cahier de textes en ligne a posteriori ; j’y prépare les documents qui me serviront en classe, en sélectionnant dans la case du jour tous les documents à utiliser pendant le cours : des textes, des images, des liens vers des sites pertinents, des vidéos… qui seront plus ou moins longuement utilisés en classe, mais que les élèves pourront retrouver à loisir ensuite, chez eux. Le cahier de textes devient donc une passerelle, c’est le point de départ des cours numériques, de plus en plus vivants et de plus en plus riches. C’est un tremplin !
Tous les élèves l’utilisent ?
D’après le petit sondage que je fais en début d’année, dans mon collège de ZEP, environ 65% des familles bénéficient d’une connexion internet. Lorsque ce n’est pas le cas, les élèves y ont accès depuis le CDI, les salles de technologie (les professeurs les autorisent à le consulter lorsque leur travail est terminé), ou dans les bibliothèques municipales. Quoi qu’il en soit, il est beaucoup plus accessible que le cahier de textes papier.
Certains élèves le consultent quotidiennement, d’autres moins. Certains s’y mettent lorsqu’une urgence se présente : un document à récupérer, une leçon égarée, le classeur à remettre en ordre. Pour les élèves malades, hospitalisés, ou pour ceux qui arrivent en cours d’année, le cahier de textes en ligne est particulièrement précieux.
Quels avantages par rapport au cahier traditionnel?
La liste des avantages que présente le cahier de textes en ligne est très longue : bien plus qu’un simple cahier de textes, le cahier de textes en ligne permet de:
-établir un lien permanent entre la classe et la maison (en temps normal, pendant les vacances et en cas de maladie, à l’hôpital même): il est consultable de partout et un courriel lui est associé. Il est utilisé par les élèves, par leurs parents, mais aussi par des collègues.
-enrichir le cours grâce à une sélection de médias (images, vidéos, sons, texte…) de sites et de documents mis en ligne par le professeur. Il sert de point de départ aux cours de français dispensés sur TNI ou TBI (tableau blanc interactif) et de prolongement multimédia du cours.
-mettre tous les documents et outils indispensables à la portée de tous: cours, leçons à apprendre, poèmes à mémoriser, texte intégral des œuvres classiques étudiées … référencement de sites ponctuels, ou sites de référence comme Lexilogos, Le conjugueur et Google.
-mettre de l’ordre dans son classeur et le tenir à jour.
-valoriser les projets de classes et les travaux d’élèves.
-respecter l’environnement grâce aux supports numériques (diminution considérable des photocopies). Ce dernier point n’est pas négligeable.
Quelles réactions des parents ?
Les parents sont tous très enthousiastes. Qui n’a pas rêvé de pouvoir suivre depuis la maison ce qui est étudié en classe ? Beaucoup le consultent par curiosité, ou pour s’assurer que leur enfant a bien noté le travail à faire. Les plus attentifs savent y trouver et utiliser les outils sélectionnés pour leur enfant. En début d’année scolaire, j’annonce à tous les parents, dans le carnet de liaison, l’existence du cahier de textes en ligne et de l’adresse mail qui lui est reliée, les invitant à les utiliser à volonté. J’ai reçu beaucoup de témoignages très encourageants. Mais je pense que pour certains d’entre eux, le cahier de textes reste une idée abstraite, ou vague. Il serait sans doute bon, en début d’année, de leur présenter, en le commentant, le diaporama que j’ai réalisé pour présenter toutes les potentialités du cahier de textes en ligne pour le Forum de Roubaix.
Qui d’autre l’utilise dans votre collège ? Pourquoi ?
Un professeur de SVT a créé son propre cahier de textes, sur lequel elle présente des animations en Flash ainsi que des documents qu’elle utilise sur le TBI ou en salle informatique. Tous les professeurs de technologie s’y sont également mis, cette année. Mais ces démarches restent marginales.
Je pense que beaucoup d’enseignants n’y songent pas pour trois raisons. Tout d’abord, ils pensent sans doute que la création d’un site web implique de grandes connaissances en informatique. Mais c’est en fait très simple, dès l’instant où l’on sait ce que l’on veut y faire figurer, et pour peu qu’on maîtrise des notions de mise en page et de retouches d’images. Cela nécessite aussi un bon sens de l’organisation et du classement. Une formation de trois jours, dans le cadre de la formation continue, pourrait suffire à les rassurer.
Ensuite, certains enseignants sont réticents à l’idée d’exposer en ligne leur travail, ce qui est très compréhensible, car comment maîtriser l’utilisation et l’interprétation qui pourraient en être faites ? Enfin, ils redoutent certainement le temps à consacrer à la saisie des informations et à leur mise en ligne.
Justement c’est beaucoup de temps et d’organisation. Pensez vous que ce soit généralisable ?
La création et la mise en route d’un cahier de textes en ligne peut ne prendre que deux jours. Après, tout dépend de ce que l’on veut en faire, et de l’aspect qu’on veut lui donner. Quotidiennement, la mise à jour du cahier de textes en ligne, pour 4 classes, prend en moyenne une demi-heure. (En cas de nombreuses classes, on peut toujours avoir recours au copier-coller !) Ce n’est pas insurmontable, et cela devient une habitude, un réflexe… et très vite, une nécessité.
Les effets sur les élèves sont formidables. Ce qu’on y prépare pour eux crée une complicité et une dynamique de classe. Et enfin, la satisfaction que cela apporte, également en termes d’organisation personnelle, n’a pas de prix. Très vite, on se laisse porter par l’envie de l’enrichir… et là, le temps qu’on y consacre n’est plus évaluable. Mais raisonnablement, si la tenue généralisée d’un cahier de textes en ligne nous dispense de la tenue de son ancêtre en papier, je pense que nous avons tout à y gagner. Internet est un outil formidable dont nous nous devons d’utiliser toutes les potentialités au service des élèves.
Entretien François Jarraud
Liens :
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Entretien avec G Philippe : dans ce numéro en rubrique Français.
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