L’été invite au voyage : la littérature, la géographie et le web aussi. Voici, à titre d’exemples, quelques explorations d’espaces pour franchir bien des frontières : entre les régions et les pays, entre les matières scolaires ou les disciplines artistiques, entre l’écrit et l’image, entre le rêve et la réalité … De quoi apprendre assurément, par-delà la « littérature » et la « géographie », par des gestes de lecture, d’écriture et/ou de cartographie, à mieux habiter le monde, en le représentant et le réinventant.
Les « oloé », mot créé par Anne Savelli, « ce seraient ces endroits où lire où écrire (le second o pouvant se comprendre également, c’est au choix, comme un où sans accent), de ville, de mer, de campagne qui font une brèche, nous y accueillent. L’idée (…) n’est pas de fuir mais plutôt de creuser. (…) Des lieux où s’attacher, se concentrer, se laisser distraire ; s’alléger, se lester, jouer des dimensions. (…) le poste d’observation c’est l’urgence. » On peut se procurer en ligne l’ouvrage d’Anne Savelli publié aux éditions « D-fiction ». On peut aussi voyager à travers le site, collectif, réalisé par Joachim Séné : « Oloé du monde entier ». Chacun peut y contribuer en adressant ses propres créations : « Écrivez à oloe @ relire.net pour mettre la carte du monde à jour, avec votre texte, un titre, des coordonnées latitude/longitude et éventuellement une adresse, même approximative, qui le situe. Il sera édité et mis en ligne… »
S’approprier le monde par les mots et par les cartes : c’est le beau défi de cartographie littéraire qui anime certains projets pédagogiques. A Brest, les premières L du projet i-voix ont mené diverses expériences de géolittératie pour représenter un espace tout à la fois réel et imaginaire, pour mieux habiter les œuvres ou pour réenchanter la vie : cartographie théâtrale (photographies de Florence « prises par » des personnages de la pièce Lorenzaccio et « miroirs » de leur âme), artistique (tirades géolocalisées de Lorenzo sur le point de décapiter des statues de la Renaissance), poétiques (kaléidoscope verlainien de souvenirs rêvés d’un voyage en Italie). A Chambéry et à Londres, à la manière des poètes du XIXème et en particulier de Baudelaire, les secondes de Caroline Duret ont mené des ateliers de poésie urbaine et déambulatoire : ces « peintres de la vie moderne 2.0 » s’emparent de la ville sous le signe d’une modernité poétique propre au 21ème siècle, donc à travers une culture numérique qui propose de nouveaux moyens de construction du texte (réalité augmentée, liens hypertextuels, vidéo-poèmes…). A Paris, Pierre Ménard a animé une série de douze ateliers d’écriture auprès d’étudiants de 1ère année de Sciences-Po : il s’agissait de réaliser collectivement une pièce sonore sous la forme d’un récit urbain, « entre audio guide, audio livre et dérive urbaine situationniste ». Au programme : écriture de textes inspirés d’œuvres de Georges Perec, Virginie Gautier, Guillaume Fayard, échantillonnage musical et cut-up poétique, prise de sons urbains, photographies et capture d’images des différents parcours (avec Google Street View)…
Découvrir des sites littéraires, visiter des maisons d’écrivains : il y a toujours quelque chose de troublant et d’émouvant à parcourir un espace où un auteur a construit son œuvre et qui a structuré l’imaginaire du lecteur. L’expérience n’est pas qu’un exercice d’admiration : elle fait du livre comme un meublé dont nous serions le locataire. Le site « littérature-lieux.com » fédère ainsi « des actions visant à assurer l’existence, la préservation et le rayonnement culturel de maisons d’écrivain, de lieux ou collections, publics ou privés, liés à des écrivains et à l’œuvre écrite d’hommes célèbres de toutes cultures. » Du nord au sud (du Musée Marguerite Yourcenar à la maison René Char), d’est en ouest (des Charmettes de Jean-Jacques Rousseau à la maison Louis Guilloux), une carte interactive permet de découvrir dans chaque région les lieux à visiter. On trouvera aussi sur le site des fiches pour préparer la visite, des événements d’actualité, des activités pédagogiques, des jeux littéraires … Par exemple, un atelier organisé dans la maison Jacques Prévert dans la Manche : « à la manière de Jacques Prévert, venez participer à cet atelier pour coller des images et des mots. S’inspirant des collages de Jacques Prévert présentés dans l’exposition temporaire « Images découpées, images détournées… les collages de Jacques Prévert », les enfants sont invités à composer une œuvre originale. Un moment consacré à l’imagination, où le jeu de mot et la créativité prennent toute leur place ! »
Le site « la France des Ecrivains » cherche quant à lui à créer une « cartographie littéraire » permettant de parcourir l’hexagone vu par les écrivains. L’interface de Google Maps permet de se balader, région par région, ville par ville, rue par rue, à travers la France et plusieurs centaines de textes. Quelques exemples : René-Guy Cadou nous sert de guide pour (re)découvrir Rochefort, Huysmans présente la cathédrale d’Amiens, Zola nous fait visiter Guérande …
Baudelaire, Zola, Poe, Balzac, Eugène Sue, ou Stendhal : tous ont écrit sur Paris. C’est ce « Paris des écrivains » qu’invite à redécouvrir le site de la ville de Paris. Son arme : une carte interactive qui permet de visualiser les endroits de la capitale mis en scène par de grands auteurs : « nous sommes heureux, en partenariat avec Feedbooks, de vous proposer cette carte de classiques dont l’action se déroule à Paris ». Cartographie et bibiographie se mêlent pour proposer des « titres géolocalisés avec des extraits de circonstances et des liens qui pointent vers les notices des livres à télécharger gratuitement. »
Le site « rousseauonline.ch » forme à nouveau « une entreprise qui n’eut jamais d’exemple ». Après avoir mis en ligne les œuvres complètes de l’inventeur de l’autobiographie et favorisé ainsi la diffusion gratuite des « Lumières » d’un philosophe singulier, il invite désormais à une nouvelle façon de voyager à travers l’œuvre de Rousseau et même de voyager avec Jean-Jacques. Une carte interactive permet ainsi d’explorer différents lieux d’Europe parcourus par ce marcheur infatigable et intranquille, amoureux des voyages et condamné aux exils, de lire et goûter de nombreuses lettres qu’il y a écrites, de suivre ainsi le cheminement de l’écrivain et de l’homme : « L’utilisateur peut suivre les pérégrinations de Rousseau entre la France, la Suisse et l’Angleterre, sur une période de plus de 40 ans, à travers des centaines de lettres écrites entre 1732 et 1776. Quelques 400 lettres de Rousseau écrites entre 1732 et 1776 et publiées dans la Collection complète sont visibles via cette interface cartographique. Chaque lettre est représentée par un point de couleur, et placée sur une carte à l’endroit correspondant au lieu de sa rédaction. En zoomant sur la carte, la répartition géographique s’affine. Lorsque cela a été possible, les lettres sont placées à l’adresse exacte où a séjourné Rousseau. Les lettres sont également situées sur une échelle chronologique, qui apparaît en bas de l’écran. » Une belle initiation, dynamique et émouvante, à l’œuvre de celui qui est né il y a 300 ans et que le numérique ainsi ressuscite.
Le site Internet « Le Lys dans la vallée » propose une édition numérique enrichie et collaborative du roman d’Honoré de Balzac, produite par le Conseil général de l’Indre-et-Loire. On peut consulter différents états du texte au fil des ajouts et corrections de l’auteur, accéder à des ressources documentaires et pédagogiques (par exemple des fiches sur les personnages ou des extraits d’adaptations), explorer des cartes interactives pour se promener dans l’espace du roman ou dans la Touraine de Balzac… Des activités pédagogiques au musée Balzac de Saché sont proposées : visites guidées, jeu de pistes, lecture de paysages, atelier d’imprimerie ou d’écriture. Les internautes, enseignants, élèves peuvent se créer un espace personnel sur le site et contribuer à l’enrichir en proposant leurs travaux.
Avec les Surgissantes, l’invitation au voyage est plus radicale encore puisqu’on s’y promène dans la galaxie web, à travers des constellations de liens autour d’un thème central. Par exemple récemment : Picasso, Apollinaire, Chaplin, Marilyne, la chevalerie … Au gré des évidences et des surprises, l’internaute s’y abandonne au bonheur des correspondances, de l’intertextualité et de la sérendipité.
Jean-Michel Le Baut