Pour François Bonneau, président de la commission Education de l’Association des régions de France et président de la région Centre, la nouvelle « stratégie numérique » est une nécessité. Il souligne l’importance des délégués académiques qui vont être mis en place. Mais pour François Bonneau la question de la maintenance du matériel n’est toujours pas réglée. Et la transition vers le numérique doit s’accompagner d’une réflexion sur l’avenir des manuels scolaires.
V. Peillon lance le 10 juin une « stratégie pour le numérique ». Cet effort vous semble-t-il nécessaire ?
C’est un effort indispensable. Et c’est un point fort de la loi d’orientation. Le numérique éducatif fait partie des points fondamentaux qui n’ont pas été traités correctement ces 10 dernières années. Durant ces années, les collectivités territoriales ont fait des efforts importants pour doter les établissements de matériel, pour leur maintenance. Et on a aujourd’hui un écart insoutenable entre le niveau d’équipement et les usages. Le numérique est entré dans la vie de tous et particulièrement des jeunes. Il est indispensable dans de nombreux métiers. Il vient nourrir l’information et faciliter la réflexion. Il apporte de nouvelles modalités pour appréhender ce qui est autour de nous. L’enseignement ne peut pas rester en retard. La stratégie de V. Peillon est donc très bienvenue.
Des études récentes (Corrèze, Landes) ont mis en évidence les dysfonctionnements du tandem collectivité territoriale – éducation nationale. Qu’attendez vous du plan ministériel sur ce terrain? Seulement le règlement de la question de la maintenance ?
On aurait réglé la question de la maintenance que l’on serait face au même problème. Il s’agit de pouvoir collaborer entre le rectorat, la collectivité territoriale et l’EPLE (l’établissement NDLR). C’est à ces trois niveaux, et non pas deux, qu’il faut agir ensemble. Il faut envisager tous les éléments de la chaîne, le matériel, mais aussi les suages et la production de ressources numériques. C’est toute cette chaîne qu’il faut structurer. Il faut une gouvernance territoriale dans chaque académie pour une réelle co-construction avec des objectifs clairs, un calendrier et un programme de mise en oeuvre.
Le plan Peillon prévoit la création de Délégués académiques au numérique (DAN). Cela ne suffit pas ?
Le DAN peut être l’interlocuteur ponctuel de la région, celui qui favorise le partenariat. Mais il doit être plus que cela. Il doit aussi être celui qui suite et évalue la formation des enseignants en formation initiale et continue, qui repère les équipes sur le terrain et fasse remonter les question de soutien, qui facilite la mise en place de l’accompagnement. Il faut dans les établissements, sur le terrain, un véritable accompagnement qui soit un filet de sécurité pour les enseignants qui reculent devant l’obstacle. C’est très important. Il faut aussi penser aux familles. Les ENT doivent permettre autre chose que consulter les notes. Ils doivent donner la possibilité de proposer des travaux en ligne qui permettront l’appropriation individuelle des savoirs. Le numérique est maintenant un élément du projet des établissements, il faut, dans le droit fil de la convention tripartite rectorat – région – établissement que le numérique soit soutenu.
Là où le numérique marche c’est là où il fait partie du projet d’établissement et quand on a des équipes formées, accompagnées, ayant une réflexion collective sur la transition du papier vers le numérique, en dialogue avec la collectivité territoriale.
La question de la maintenance est-elle réglée ?
Du point de vue de l’Etat, elle l’est. Mais du point de vue des régions ce n’est pas le cas. Pour le Conseil d’Etat, le matériel acheté par les collectivités territoriales doit être maintenu par elles. Les régions considèrent que les moyens consacrés par l’Etat à la maintenance doivent leur être attribués comme point d’appui de départ. L’Etat refuse cette compensation. Si on veut que toutes les collectivités s’engagent il faut une annonce forte du gouvernement. L’Etat doit assurer aussi un accompagnement pour les usages, pour les sécuriser.
Mais il n’y a quasiment jamais eu d’accompagnement…
Le numérique va installer un rapport nouveau entre les enseignants et les élèves. Il faut que dans leur formation, et avec l’aide de l’inspection, ils y soient préparés. C’est pour cela qu’il faut des tuteurs qui les sécurisent.
Les rapports récents de l’Inspection générale montrent que les inspecteurs sont perçus plutôt comme des freins par les enseignants. Comment changer cela ?
Ou le ministère espère que le numérique entrera par la fenêtre ou il prend les choses en main. C’est ce que V. Peillon fait et c’est une chance pour la France. Le numérique est un atout pour un système éducatif plus performant. Ce n’est plus possible de rester inerte. Le ministère en fait une priorité. Il faut donc que tous les maillons de la chaîne fassent leur part. Il faut introduire le dialogue avec les éditeurs, les personnels, le collectivités locales. C’est d’une mobilisation générale dont nous avons besoin.
Le budget vous semble suffisant ?
Le problème n’est pas là. Dans la situation budgétaire actuelle qui est difficile on voit bien que l’éducation est une priorité. Dès cette année la formation des enseignants est remise en place avec les ESPE. Cela consomme beaucoup de moyens. A ce niveau ce n’est plus qu’une question de contenu de formation. Dans les établissements, le niveau d’équipement est atteint. Il reste le problème de la maintenance à régler. L’essentiel c’est la priorité que l’on donne au numérique et la nouvelle répartition entre le papier et le numérique.
Les régions vont acheter moins de manuels papier ?
Il est évident que nous ne pourrons pas avoir pour le même enseignant le support papier et le numérique. Il faut trouver une nouvelle articulation entre eux. Il y a des disciplines où on s’interroge sur la nécessité d’avoir un manuel par élève alors qu’un jeu de manuels suffirait. On a engagé les ENT. Ils vont favoriser un nouveau mixte pédagogique avec du papier et du numérique. Mais le papier sera dans des volumes différents.
Propos recueillis par François Jarraud
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