« Les Espe sont des coquilles vides. Malgré les efforts de certains acteurs, les futurs professeurs du premier degré font l’expérience de l’absence d’ambition nationale… Il est temps de construire un «cursus» de formation des enseignants, unifié, aux finalités communes pour tous, aux modalités cohérentes avec l’Ecole que nous voulons ». Dans Libération, Philippe Meirieu, Benoît Falaize, Philippe Joutard et Philippe Berthuit signent une tribune sur la formation des professeurs des écoles. Sont-ils trop alarmistes ?
Pour eux, » la création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (Espe) déçoit tous les acteurs… Nous assistons à une séparation radicale entre, d’une part, les tâches d’enseignement – qui relèvent des universités – et, d’autre part, les tâches de recrutement, de mise en stage, d’évaluation et de gestion des personnels, qui relèvent, elles, des rectorats. » Ils dénoncent une formation éclatée qui perd son sens et éclate en un puzzle « ubuesque ». » Puzzle quand les formateurs, issus des premier et second degrés ou de l’enseignement supérieur, ne travaillent plus ensemble au service des étudiants et des stagiaires. Puzzle quand ils sont coupés des inspecteurs de circonscription et conseillers pédagogiques. Puzzle quand les cours ne sont affectés qu’en fonction des obligations de service des formateurs. Puzzle quand rien ni personne ne peut faire le lien entre les différents moments d’une même formation ». Ils appellent à la définition d’une formation commune à toutes les Espe. » Il est temps de construire un «cursus» de formation des enseignants, unifié, aux finalités communes pour tous, aux modalités cohérentes avec l’Ecole que nous voulons. De définir, au-delà des bidouillages institutionnels, des conflits de territoire et de l’approximation permanente d’une organisation désormais dictée par les tableaux Excel, un projet de formation, avec des chapitres obligés, des exigences précisées, des méthodologies rigoureuses dans des unités à taille humaine ».
De fait, la loi d’orientation a mis en place des écoles qui « fournissent des enseignements disciplinaires et didactiques mais aussi en pédagogie et en sciences de l’éducation », en rupture complète avec les conceptions des gouvernements précédents. Par conséquent ces nouvelles écoles doivent intégrer « des professionnels intervenant dans le milieu scolaire, comprenant notamment des personnels enseignants, d’inspection et de direction en exercice dans les premiers et seconds degrés, ainsi que des acteurs de l’éducation populaire, de l’éducation culturelle et artistique et de l’éducation à la citoyenneté ». Le cursus de formation est lui aussi revu. Il y a une voie de formation avec un fort taux d’alternance : c’est la voie des emplois d’avenir professeurs, qui assument 12 heures d’encadrement des élèves avec une montée progressive en autonomie depuis la L2 jusqu’au M1. La voie normale associe des stages d’observation en M1 et des stages de pratique accompagnée en M2 avec une prise en charge d’élèves à mi-temps.
Le rapport du Sénat sur les Espe, publié en juin dernier, montre que les Espe ont souvent fait les frais du contexte de réforme universitaire et de restriction de moyens. Mais elles souffrent aussi d’un discrédit de départ auprès de nombreux universitaires qui ne voient que les apports disciplinaires. Le rapport souligne « une insuffisante prise en compte du concept de professionnalisation dans les maquettes de formation initiale et continue, avec dans certains cas une participation encore trop limitée des professionnels de terrain dans le cadre des équipes pluri-catégorielles ». Ainsi le tronc commun, censé regrouper les étudiants des 3 filières des Espé (1er degré, 2d degré et personnels d’education) n’existe toujours aps dans un tiers des Espé, selon le rapport. Il représente en moyenne 17% du temps de cours. Son organisation varie beaucoup d ‘une Espé à l’autre. « La place consentie à la diffusion des acquis de la recherche en éducation (au sens large, y compris la didactique des disciplines scolaires) demeure encore très insuffisante », note encore le rapport.
A leur crédit, il faut rappeler que la mise en place des Espe s’est faite en un temps record, la loi d’orientation étant promulguée en juillet 2013 et les écoles devant ouvrir en septembre ! A la rentrée 2013, un tiers des Espe devaient profondément revoir leur copie et seulement un autre tiers avait des projets satisfaisants. Durant l’été 2014, Benoît Hamon a levé toutes les restrictions qui pesaient sur ces Espe et validé les « mauvais élèves » que Vincent Peillon souhaitait voir évoluer. Le rapport sénatoriale juge que l »année 2014-2015 est cruciale » pour l’avenir de Espe. C’est aussi ce que clame cet appel.
François Jarraud
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