Par Jean-Michel Le Baut
« L’année 2012 est celle où se rappeler combien Jean-Jacques Rousseau est vivant ». Jean-Michel Le Baut nous entraîne à Genève et ailleurs, dans les pas de Jean-Jacques…
« Je suis né à Genève en 1712, d’Isaac Rousseau, citoyen, et Suzanne Bernard, citoyenne. »
L’année 2012 est celle du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau : l’année où mettre ses pas dans ceux du « promeneur solitaire ». Dans la Grand-Rue pavée de la vieille ville de Genève, non loin de l’imposante cathédrale où il fut baptisé, la maison natale du philosophe a été aménagée pour devenir « l’Espace Rousseau », et à terme, de façon plus large, une « Maison de Rousseau et de la littérature ». Les visiteurs y sont conviés à « un parcours audiovisuel qui en une trentaine de minutes dresse un panorama vivant de la vie et de l’œuvre du plus célèbre citoyen genevois. » Equipé d’un audioguide, on déambule de pièce en pièce, de panneaux en vidéos, pour (re)découvrir les temps forts de sa vie (les années de formation, les relations tumultueuses avec le monde littéraire, les voyages et les exils …), pour (re)visiter des thèmes essentiels de son œuvre (la nature, l’éducation, la politique …), pour saisir combien, de Goethe à Breton, par-delà les époques et les civilisations, Rousseau le solitaire est devenu pour beaucoup plus qu’un écrivain : un ami.
L’exposition, dynamique dans sa disposition, synthétique et claire dans son contenu, s’avère particulièrement réussie, susceptible de renforcer ce compagnonnage, d’initier aussi tous ceux qui connaissent peu l’inventeur de l’autobiographie, de familiariser avec bonheur les élèves comme les voyageurs de passage. Dans une pièce adjacente, une série de courts métrages étonnants et stimulants, intitulée « La faute à Rousseau » et initiée par le cinéaste Pierre Maillard, met en récits et en images la pensée du philosophe des Lumières pour en faire percevoir la toujours vive actualité.
La visite est à prolonger par une promenade dans Genève autour des lieux et épisodes d’enfance évoqués dans les « Confessions ». En plein centre ville, entre le Rhône et le lac Léman, le pèlerinage ne peut manquer « l’île Rousseau », rénovée, aménagée, arborisée, où contempler une statue réalisée par Pierre Pradier. Faut-il considérer comme un remords cet hommage de la cité à un écrivain dont elle brûla les livres et qu’elle condamna à l’exil ? Faut-il voir un exercice de contrition, autant que d’admiration, dans cet ouvrage érigé par une ville qui cache son opulence sous les façades austère de ses belles demeures, bien peu conformes aux « cabanes rustiques » qu’habitait plus volontiers l’auteur du « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes » ?…
Le voyage rousseauiste doit se poursuivre : à Genève toujours, où de nombreuses manifestations et expositions sont à venir , par exemple sur les relations conflictuelles entre Rousseau et ses contemporains (« Vivant ou mort, il les inquiètera toujours ») ou sur les réflexions pédagogiques de l’auteur de « L’Emile » et leur portée actuelle (« L’éducation internationale et Jean-Jacques Rousseau ») ; à Neuchâtel, où Rousseau séjourna à plusieurs reprises et où la bibliothèque municipale expose d’émouvants et précieux manuscrits ; à Môtiers, où il trouva un temps refuge avant d’en être chassé à coups de pierres par les habitants qu’avaient fanatisés les sermons du pasteur local et un pamphlet anonyme de Voltaire ; sur l’île Saint-Pierre, où il dut se retirer, où « le bruit des vagues et l’agitation de l’eau fixant (s)es sens et chassant de (s)on âme toute autre agitation la plongeaient dans une rêverie délicieuse » ; à Chambéry, aux Charmettes, où l’on peut ressentir le bonheur de la vie bucolique auprès de Mme de Warens et où une exposition réfléchit précisément ce qu’y viennent chercher lecteurs, touristes et pèlerins, d’hier et d’aujourd’hui ; à Ermenonville, où Rousseau finit son existence, où banquets républicains et visites thématiques sont organisées tout au long de l’année ; à Paris, à l’Assemblée nationale, qui propose jusqu’au 6 avril une exposition sur « Rousseau et la Révolution », ou bien au Panthéon, où les cendres de Rousseau furent transférées en 1794 et qui tout l’été évoquera les rapports entre « Rousseau et les arts » ; sur internet, où par exemple le chanteur Stephan Eicher propose une bande-son originale pour accompagner la promenade à travers des lieux chers à Jean-Jacques ; dans les livres bien entendu, puisque les Editions Classiques Garnier entament cette année la publication, papier et numérique, titanesque et événementielle, d’une intégrale en 24 volumes …
L’année 2012 est celle où se rappeler combien Jean-Jacques Rousseau est vivant. Combien sa philosophie de la liberté peut encore nous guider. Combien peuvent aussi nous animer certains de ses principes éducatifs : la volonté de placer au centre l’enfant plus que le savoir, le souci d’articuler l’apprentissage de l’élève avec une situation qui lui donne sens … Combien enfin la littérature est belle et forte quand elle excède le livre, quand elle échappe aux classifications en « genres » et « mouvements », quand elle sort des sentiers battus de la tradition : marcher sur les pas de Rousseau, c’est bien écouter une voix, unique ; éprouver une écriture, si sensible ; accompagner une pensée, sans cesse en devenir ; entrer en amitié avec un homme qui se confronte à son humanité et éclaire la nôtre. « Mais que chaque lecteur m’imite, qu’il rentre en lui-même comme j’ai fait, et qu’au fond de sa conscience il se dise, s’il l’ose : je suis meilleur que ne fut cet homme-là. »
Jean-Michel Le Baut
L’espace Rousseau à Genève :
http://www.espace-rousseau.ch/default.asp
Le site « 2012 Rousseau pour tous » :
http://www.ville-ge.ch/culture/rousseau/index.html
Rousseau à l’Assemblée nationale :
http://www.assemblee-nationale.fr/13/evenements/rousseau/rous[…]
Rousseau par Stephan Eicher :
http://www.promeneur-solitaire.com/presentation.asp
http://www.ville-ge.ch/culture/rousseau/promeneur_[…]
Courts métrages autour de Rousseau :
http://www.lafautearousseau.com/
Des fiches pédagogiques sur le site commémoratif du département de l’Oise :
http://www.rousseau-2012.fr/le-programme/lagenda-des-manife[…]