L’intolérance est dans la vie d’une crise un curseur alarmant. Pas l’intolérance grossière, celle qui s’affiche avec l’aplomb désarmant de ceux qui s’autoproclament porte-paroles d’une supposée majorité silencieuse, non celle qui nous préoccupe c’est l’insidieuse intolérance qui se glisse dans nos pensées, des pantoufles aux pieds et se transforment en évidences partagées.
La fréquentation des réseaux sociaux est à ce sujet instructive. On prend la parole, on échange avec d’autres que l’on ne connait pas, qui ne partagent pas la même opinion, on se conforte dans l’entre-soi, on frotte ses points de vue à l’altérité, et parfois on se laisse griser par la formule frappante qui sera reprise de retweet en retweet, approuvée de like en like. Les enseignants, comme les autres, ont investi les réseaux sociaux à la fois salle des profs virtuelle composée de collègues choisis et supports de pratiques pédagogiques.
La grève des enseignants parisiens a donné au débat permanent du grain à moudre. La presse peu amène a fourni les munitions. La légitimité du mouvement était remise en question et derrière les échanges, la chasse aux privilèges était ouverte. Cette chasse s’est poursuivie avec la publication d’un article de La Tribune comparant les salaires des professeurs des écoles à d’autres catégories de la Fonction Publique. Comparaison n’est pas raison disait-on au XXIe siècle, la comparaison dérive aisément vers une hiérarchisation du mérite des métiers, le salaire apparaissant comme une reconnaissance de sa propre contribution à la vie et à la construction de notre société.
Le risque de ce type de débats, nourris de la représentation construite ou co-construite de son métier et des images reçues en retour, est qu’ils se basent sur des notions et idées abstraites, fabulées, soumises à interprétations. Pour le sujet des rythmes scolaires, « l’intérêt de l’enfant » est convoqué. Il faudrait avant tout penser à l’intérêt de l’enfant. Mais quel est-il et selon quel point de vue ? Existe-t-il des critères pour définir de quoi il se compose ? Un enseignant peut dire si j’ai plaisir à enseigner cela va dans le sens de l’intérêt de l’enfant, un parent peut dire c’est l’intérêt de l’enfant si ses particularités individuelles sont prises en compte, un chronobiologiste peut dire pour l’intérêt de l’enfant, il faut respecter ses rythmes biologiques. Toutes ces interprétations de l’intérêt de l’enfant sont recevables, compatibles et pourtant s’opposent dans les débats.
L’intérêt de l’enfant pourrait s’apparenter à l’intérêt général et y trouver un sens commun. Cela supposerait alors qu’un projet de société soit énoncé et partagé. Hélas, par temps de crise, chacun se recroqueville dans sa vision du monde et les débats demeurent des échanges sans partage. Et c’est là que le danger nous guette, celui du temps des incompréhensions et des intolérances. Nous sommes de plus en plus instruits pourtant nous semblons sourds à l’histoire.
Monique Royer