Chassé par la porte du Sénat, l’EPSF revient par la fenêtre de la rue de Grenelle. A quelques mois des municipales, après un renoncement public à cette partie de sa loi suite à la fronde des enseignants et des maires, on pouvait penser que JM Blanquer passerait les établissements publics des savoirs fondamentaux (EPSF) par pertes et profits. Il n’en est rien. Alors que la loi Blanquer est promulguée, le ministère publie cet été deux rapports qui relancent les écoles du socle.
Les EPSF en 2019
Rappelons-nous. Janvier 2019 : les établissements publics des savoirs fondamentaux (EPSF) sont introduits dans la loi Blanquer par un amendement de la majorité appuyé, si ce n’est initié, par le ministre. Le projet de loi prévoit de regrouper les écoles primaires sous l’autorité des principaux de collège ayant également les pouvoirs de directeur d’école. L’amendement est adopté par l’Assemblée nationale en première lecture. Mais il suscite un vaste mouvement de contestation dans le pays. Des directeurs d’école, des enseignants du premier degré mobilisent les parents d’élèves. Alors que les élections municipales s’annoncent comme l’objectif principal de la majorité, la mesure semble mal venue. Finalement le 30 avril, le Café pédagogique annonce en exclusivité que la commission du Sénat supprime l’EPSF, décision confirmée le 17 mai par un vote du Sénat. JM Blanquer cède également et reconnait « qu’on a besoin encore de temps » sur ce sujet. Il ajoute « c’est un sujet des prochains mois pour avoir la plus large concertation ».
La concertation est toujours attendue. Mais le ministère publie cet été deux études qui remettent dans le débat l’école du socle. Le geste est fortement politique au moment où la loi Blanquer est promulguée et entre en application.
Le rapport Burban Schmidt
Le premier texte est le rapport du Groupe d’étude et d’expertise « Ecole du socle », rédigé par les inspecteurs généraux Anne Burban et Hubert Schmidt. Ce texte , prudent, montre que l’école du socle, déjà expérimentée par l’Education nationale, pose beaucoup de problèmes.
» La position des élus est variable, même si la volonté politique de regroupement d’écoles s’est heurtée à une défiance de certains maires envers l’État », explique le rapport. » Les principaux de collège redoutent, dans un premier temps, un alourdissement de leur charge de travail… Les directeurs d’école.. entendent conserver le rôle d’animation et de coordination pédagogique qu’ils exercent actuellement… Les enseignants du second degré.. de manière assez générale… sont réticents à l’idée de devoir intégrer une communauté éducative élargie et à envisager les évolutions de statut dont ils imaginent qu’elles pourraient résulter de la création de l’école du socle (remise en cause de la monovalence des professeurs du second degré, annualisation des services) ». Autrement dit l’école du socle est largement rejetée par les acteurs de l’école. C’est donc en dehors de l’éducation nationale que le rapport va chercher de bons exemples : enseignement catholique, établissements de l’AEFE ou encore systèmes éducatifs étrangers.
La rapport conclut que » le chantier du rapprochement des différentes entités assurant la scolarité obligatoire, qu’il débouche sur des « écoles du socle » ou des « établissements publics locaux des savoirs fondamentaux », constitue un chantier politiquement, juridiquement, administrativement et pédagogiquement lourd ».
Le rapport Schmidt Weltzer
Le second rapport, publié lui aussi en juillet 2019, a été rédigé à nouveau par Hubert Schmidt avec Michèle Weltzer. Ce rapport de l’Inspection sur « la gouvernance académique du premier degré » recommande l’école du socle comme la solution aux difficultés de gouvernance. Il est vrai qu’il a été rédigé en septembre 2018 avant la tempête.
D’emblée, le rapport estime que » les nouvelles organisations académiques et particulièrement les expérimentations d’école du socle chahutent les habitudes professionnelles, relationnelles et administratives. Mais « ces réseaux s’imposent aujourd’hui comme méthode naturelle de travail en commun. Le réseau représente l’intelligence collective en réponse à l’isolement et aux concurrences stériles et nuisibles à l’usager »…La mission propose que l’expression « pilotage de l’école du socle » se substitue progressivement à celles de « pilotage du premier degré » et « pilotage du second degré », qui ne répondent plus complètement aux réalités rencontrées dans les territoires ».
Pour les inspecteurs l’école du socle est l’occasion de créer « un corps unique de professeurs de l’école du socle ». Ils recommandent un copilotage de l’école du socle par le principal du collège assisté d’un directeur du réseau des écoles », solution reprise par l’amendement LREM dans la loi Blanquer. » Il assurerait la répartition des services des professeurs des écoles et une mission de GRH de proximité ». Le rapport préconise aussi un corps unique d’inspecteurs, à l aplace des IEN et IPR. » La nouvelle organisation proposée par la mission permettrait un réel pilotage pédagogique académique ». Le rapport demande aussi une réforme budgétaire, les BOP premier degré et second degré fusionnant dans un BOP enseignement scolaire.
Pourquoi cet acharnement ?
La publication de ces deux rapports, alors que de nombreux rapports ne sont jamais publiés, ne doit rien au hasard. Elle montre la détermination ministérielle à aller jusqu’au bout sur cette question. Au point de le remettre en avant au moment même de la publication de la loi Blanquer.
On peut s’étonner de cette détermination. Notons qu’elle est soutenue par une partie de la technostructure de l’Education nationale qui y voit des avantages : pilotage renforcé et aussi économies de moyens. L’idée d’école du socle bénéficie aussi d’un soutien de courants pédagogiques qui y voient une solution à l’obstacle de la coupure entre école et collège. Un courant syndical y est aussi historiquement favorable (même s’il s’est démarqué des EPSF) parce que l’école du socle porte l’idée d’une extension du primaire sur le collège.
Mais il ne faut pas oublier que « l’école du socle » est apparue dans les circulaires de rentrée 2011 et 2012. En 2011 aussi une proposition de loi visait à créer des « établissements publics du socle commun ». C’est l’époque où JM Blanquer dirige l’enseignement scolaire (Dgesco) au ministère. Le numéro 2 du ministère est devenu numéro 1. Mais il semble avoir du mal à prendre en compte le calendrier politique. Pour la majorité il n’est probablement pas opportun de rouvrir cette question à quelques mois des municipales…
François Jarraud
Les EPSF définitivement écartés ?