Insensibles au nouveau ton patelin de leur ministre, des enseignants et des personnels de l’éducation se sont réunis du 26 au 28 août à la Cartoucherie de Vincennes pour débattre ensemble de l’école dont ils rêvent et de la poursuite de la mobilisation contre les réformes. Cette Université d’été des enseignant-e-s et de l’éducation (UEE), la première du genre, est ainsi venue rappeler qu’au delà de l’autosatisfaction ministérielle, des foyers de contestation perdurent. Et que le ministre a beau vouloir « tourner la page » des mobilisations d’avant l’été, certains sont bien décidés à ne pas lâcher.
» Si l’on fait un premier bilan de ces trois jours, cela a dépassé nos espérances. On avait imaginé 300 inscrits dans nos rêves les plus fous, on en est à plus de 600, sans compter ceux d’aujourd’hui » : sur la scène du théâtre de l’Atelier de Paris, Lionel, prof d’histoire-géo parisien et l’un des organisateurs de la manifestation, ouvre la séance de clôture. A ses côtés, une quinzaine de personnes, des enseignants en majorité, qui ont passé une bonne partie de leurs vacances à préparer cette université d’été où se sont succédés des ateliers-débats, des causeries plus informelles, des projections de films…
» Les enseignants ont soif de ces espaces de rencontres, de dialogue, ils ont été heureux de s’être posés dans un lieu, comme un refuge au milieu de théâtres « , poursuit Lionel. Sur les gradins, l’assistance applaudit les personnes qu’il présente et dont chacune a apporté sa pierre pour que cette université ait lieu – Aurélie a pris en chargé la programmation des films suivis de débats, certains en présence du réalisateur, Olivier avait le contact avec la mairie de Fontenay-sous-Bois qui a installé sur la pelouse la sono et les tentes qui abritaient les débats… On applaudit aussi le conseil départemental du Val-de-Marne qui a fourni les tables et les chaises, la mairie de Montreuil et celle du 12 ème arrondissemnt qui ont donné une aide.
Indépendance
Au delà du signal envoyé à Jean-Michel Blanquer que les braises ne sont pas éteintes, cet événement illustre les nouvelles formes de contestation à l’oeuvre dans l’éducation, parties de la base et indépendantes des organisations syndicales.
Tout a commencé le 12 juillet dernier, au lendemain de la fin de la grève des notes du bac. Des enseignants parisiens du lycée Paul Valéry, très vite rejoints par d’autres, de Paris et de la petite couronne, se disent que l’on ne peut pas en rester là, partir en vacances puis revenir à la rentrée comme si rien ne s’était passé, mais qu’il faudrait donner une suite aux mobilisations qui ont éclaté en ordre dispersé.
Un petit groupe de personnes – enseignants du second degré, professeurs des écoles engagés au printemps contre la création des Etablissements publics des savoirs fondamentaux, ainsi que d’autres personnels de l’éducation touchés par les réformes comme les psychologues – se retrouvent pour organiser un événement. Ce sera l’Université d’été des enseignant-e-s et de l’éducation, conçue comme un temps d’échanges sur le fond et aussi comme une étape dans la lutte.
Certains parmi les initiateurs sont membres des syndicats hostiles aux réformes Blanquer – FSU, CGT, FO, Sud… -, d’autres n’ont pas d’affiliation. Tous sont d’accord pour organiser l’université d’été indépendamment des organisations syndicales.
Même volonté d’indépendance pour la partie financement. En s’inscrivant sur internet, les participants devaient donner 1 euro minimum. Hier, à la clôture de l’université, les organisateurs ont annoncé qu’avec les dons, la manifestation serait à l’équilibre.
Mobilisations
Les ateliers-débats, auxquels étaient invités des spécialistes du sujet, des chercheurs ou des militants associatifs, ont été regroupés sous trois grandes rubriques : Enseigner, Dialoguer, Lutter. Les sujets portaient aussi bien sur la pratique du métier, ses difficultés et les menaces que font peser sur lui les réformes, que sur son évolution face aux grandes mutations. Des exemples : » Autorité et pouvoir à l’ère numérique » , » Les Arts menacés « , » Enseigner les risques et l’espoir à l’heure des périls écologiques « , » Pourquoi faut-il sauver le lycée professionnel ? « , » Quel pourcentage d’une classe d’âge maîtrise la règle de 3 ? « …
Simultanément, la Coordination nationale des collectifs et AG contre les réformes Blanquer – La Chaîne des Bahuts – s’est réunie mercredi. Les débats s’étant prolongés, la réunion devait reprendre en fin d’après-midi. A son issue, un appel à de nouvelles mobilisations devait être lancé – avec un appel à se joindre à la grève des jeunes pour le climat le 21 septembre, à celle pour la défense des retraites le 24, certains ont aussi évoqué une grève de rentrée le 5 septembre, d’autres ont appelé à rejoindre le secteur de la Santé le 10.
» Avec les mouvements de la fin de l’année dernière, on était dans l’urgence permanente, expliquent Maël et Renaud, deux profs participant à la coordination, or, on refuse que nos métiers soient vidés de leur sens par une politique libérale, réactionnaire et autoritaire, on a des choses à dire sur nos métiers et il faut trouver le temps de discuter sur le fond. On se bat contre ce que l’on ne veut pas mais on n’a pas le temps de parler de l’école que l’on veut. Ici, c’est l’occasion. »
Soleil
Les lycéens étaient également invités. Lors de la réunion plénière de clôture, une représentante de Youth for climate a appelé les profs à se joindre aux jeunes pour mener la lutte en faveur du climat. Des représentants de la Fidl et du MNL ont aussi demandé davantage de soutien » pour sauver la planète » et également pour obtenir la démission de Blanquer, suscitant les applaudissements.
Les organisateurs ne comptent pas en rester là. D’ ores et déjà, un nouveau rendez-vous est fixé : durant la première semaine des vacances de la Toussaint, les 21 et 22 otobre, deux jours de débats sont prévus à la Cartoucherie, cette fois au théâtre du Soleil.
Si Jean-Michel Blanquer se dit » optimiste » et » super constructif » en cette rentrée, les opposants à ses réformes ont aussi le moral. Dans la spectaculaire bonne humeur affichée par le ministre, il ne faudrait pas trop vite les oublier.
Véronique Soulé