Par Bruno Devauchelle et Jean-François Cerisier
Si le cahier de texte a été au centre de la première journée de ce séminaire, « Le cahier de texte numérique dans le milieu éducatif : une approche interdisciplinaire et internationale » tenu à la Maison des Sciences de l’Homme de Paris Nord, la deuxième, le 6 octobre, a élargi les perspectives d’analyse d’une part en ouvrant la perspective sur d’autres pays et d’autre part en allant vers une analyse plus globale des évolutions en cours.
Les deux premières présentations de la matinée ont permis de mettre en évidence la dimension culturellement située du développement des TIC en éducation. En abordant la question par les dispositifs hybrides, il s’agissait de montrer comment le développement des TIC en éducation amène à l’association de plusieurs modes de travail au sein de la classe, associant aussi bien les modes traditionnels d’enseignement que l’usage de tel ou tel outil. S’il a été signalé qu’au Royaume Uni il y a de grandes disparités d’un établissement à l’autre, La présentation de T. Haydn (Professeur – University of East Anglia, Royaume-Uni ) a confirmé que finalement, malgré les moyens financiers mis en œuvre, il y a peu de choses intéressantes qui se développent. La notion d’ENT, à la française, est bien inconnue Outre-Manche, tout au moins dans cette approche dont T. Haydn a suggéré qu’elle intéresserait surement un gouvernement soucieux de pilotage centralisé. Pour lui l’essentiel est avant tout pédagogique et seule une perspective socio-constructiviste pourrait permettre un usage pertinente des TIC.
De son côté, Marisa Lara (Doctorante, Université de Salamanque, Espagne) a présenté deux recherches qui visent à identifier des bonnes pratiques d’usage des TIC pour l’enseignement, en Espagne et au Chili (projet Bepe). Si la notion d’ENT est aussi considérée comme éloignée de ce qui se passe en Espagne et au Chili, l’idée de mettre à disposition des ressources cohérentes pour les enseignants est bien l’expression de ce que l’on peut appeler le volet ressources pédagogiques d’un ENT.
Le débat qui suivait était animé par Caroline Rizza et plusieurs chercheurs de différents pays, y ont participé. La question abordée a fait écho à des préoccupations esquissées la veille : le caractère contextualisé des actions. Ce qui se dégage des trois témoignages est le sentiment qu’il n’y a pas d’équivalence entre les pays. Ceci empêche les chercheurs de l’OCDE (Ann Brit Enochsson), du CRELL (Massimo Loi) ou d’European Schoolnet (Patricia Wastiau) de mener à bien des recherches comparatives sur les ENT. Ce qui est observable, en particulier dans des pays comme le Danemark, mais encore plus la Grande Bretagne ou l’Espagne, c’est la lenteur du déploiement et de l’appropriation. Par contre on remarque un intérêt réel des parents, en particulier au Danemark pour des ouvertures via le numérique. L’important, souligné par P. Wastiau c’est l’équilibre dans l’implication des acteurs aux différents niveaux hiérarchiques, l’importance du projet pédagogique et l’idée selon laquelle les projets qui se développent sont ceux qui parviennent à équilibrer une approche Top-Down et une approche Bottom-up. Massimo Loi a mis en évidence la difficulté à analyser, en termes économiques les résultats de développement d’ENT, du fait des différentes approches disponibles, qualitatives et quantitatives. En conclusion A.B. Enochsson a exprimé qu’il y a de fortes incompréhensions entre les pays et qu’il est difficile de rapprocher les dispositifs TIC mis en place dans chacun d’eux. Ce constat renforce la dimension de contextualisation culturelle du développement des ENT et plus généralement des TICE.
L’après-midi T.Karsenti (Professeur – Université de Montréal, Canada) a présenté une recherche, qui vient de se terminer, sur un établissement scolaire qui a équipé un ordinateur portable par élève depuis 8 ans. Signalant que dans cet établissement, de manière très étonnante pour le Québec, les ordinateurs n’ont pas changé en 8 ans. Ceci est un signe sur l’engagement et l’implication des élèves. Pour T Karsenti, les élèves sont motivés par l’usage des ordinateurs quelque soit l’activité, ce qui est l’inverse pour Jean François Cerisier qui dialoguait avec lui. Cette nuance peut s’expliquer par le fait que les enfants ont leur ordinateur personnel dans l’étude québécoise et pas dans les travaux faits en France (ils utilisent les ordinateurs disponibles au moment de leur activité). En conclusion on peut penser qu’activité et support de l’activité ne sont pas différenciables en termes de motivation. S’il est difficile d’attribuer les performances à l’ordinateur de manière spécifique, il faut quand même relever qu’il n’y est pas pour rien. L’ordinateur joue bien un rôle comme le montre la baisse du taux d’absentéisme, en baisse dans cet établissement, et l’amélioration du classement de l’établissement dans la région. Créer un environnement numérique de travail est ici davantage pris comme un environnement matériel et pédagogique que comme un environnement gestionnaire, caractéristique de l’approche française.
Jean François Cerisier (Maître de Conférences, Université de Poitiers) a ramené les participants en France et proposé une lecture de ces différences flagrantes. Postulant que la forme scolaire oriente fortement les comportements scolaires en France, il observe que le monde scolaire et sa forme en particulier sont en train de perdre leur légitimité dans un mouvement initié dès la démocratisation de la télévision. L’analyse qu’il fait des textes officielles, des fonctionnalités des ENT l’amène à penser qu’on est en train d’assister à une sorte de reterritorialisation au travers des ENT qui veulent reconstruire en numérique l’image d’une école en dur. Comme si les ENT venaient défendre le système scolaire issu du siècle des lumières et de l’héritage religieux. J.F. Cerisier observe que l’intention perçue n’est probablement pas délibérée, mais qu’elle procède plutôt d’un mécanisme de reproduction de la part des concepteurs du Schéma directeur (SDET) : ils n’ont pas cherché à inventer une école, mais au contraire reproduire celle qui existe. La lenteur d’appropriation des ENT en France peut s’expliquer dans la même dynamique que celle de la perte de légitimité de l’école dans la société en ce moment.
En conclusion de cette journée, Caroline Rizza et Daniel Peraya ont remarqué la diversité de points de vue, mais aussi la centralité de la question. Si l’objet est difficile à définir, un ENT c’est quoi ? on voit bien que la manière dont en éducation se déploie le numérique est en train de modifier les contextes de l’action et qu’il y a des travaux à poursuivre sur l’usage, mais aussi sur le sens des ENT.
Cette deuxième journée a montré que les questions de cahier de texte numérique et d’ENT sont très situées culturellement et sociologiquement. De plus elle a mis en évidence la difficulté à effectuer des comparaisons internationales dans le domaine. Si elle a pu décevoir les participants venus pour entendre parler spécifiquement du cahier de texte numérique, cette deuxième journée a eu le mérite d’ouvrir la question à l’idée que ce ne sont pas les Environnements Numériques qui se déploient mais que c’est environnement du monde scolaire qui est en train de se numériser, avec ou sans volonté politique explicite, mais en tout cas avec des intentions qui ne sont pas encore clarifiées… Un prochain séminaire pourrait porter son attention sur le numérique dans le pilotage institutionnel. Cet aspect, effleuré ici ou là, mérite sûrement d’être analysé en regard des réalités observées et présentées au cours de ces deux journées.
Bruno Devauchelle et Jean-François Cerisier
Liens :
Le site du séminaire :
http://www.mshparisnord.fr/cahier-de-textes-numerique/
On trouvera à cette adresse les résumés des intervenants :
http://www.mshparisnord.fr/cahier-de-textes-numerique/[…]
Le compte rendu de la première journée :
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2011/10/0[…]