Des « grands gagnants » de la réforme des retraites aux « grands perdants », il n’y a que l’écart des promesses. Si l’on en croit le gouvernement, les enseignants seront revalorisés selon des modalités qui seront inscrites dans une loi de programmation en 2020. Mais tout reste dans le flou. Et on voit apparaître les lignes de fracture : revalorisation des grilles ou primes ? Contreparties sous forme du nouveau métier enseignant ou pas ? 2020 sera bien une année charnière pour les enseignants.
Des promesses après le succès des grèves
Alors que les enseignants sont parmi les professions les plus mobilisées contre la réforme des retraites, le gouvernement a lancé une importante communication pour les convaincre de ses bonnes intentions. Il y a eu Nancy et sa rencontre loupée avec une centaine d’enseignants pourtant triés. Puis, le 19 décembre, suite à la mobilisation puissante du 17 décembre, le Premier ministre a confirmé aux organisations syndicales qu’il y aurait une loi de programmation et une revalorisation des enseignants à partir de 2021.
Le gouvernement a annoncé le 23 décembre que JM Blanquer recevra les syndicats à compter du 13 janvier « pour leur présenter la méthode et le calendrier de négociations pour les 6 mois à venir ». L’objectif est « de parvenir en juin 2020, dans le cadre d’une approche globale du métier de professeur, à un protocole d’accord sur des scénarios de revalorisation permettant de garantir aux enseignants un même niveau de retraite que pour des corps équivalents de la fonction publique ».
Des briefings pour évangéliser les médias
L’entourage de JM Blanquer a aussi beaucoup sollicité les médias, avec un certain succès, notamment lors de briefings sélectionnant les médias les 26 novembre et 9 décembre. JM Blanquer est lui-même intervenu dans un des briefings pour convaincre la presse que « les enseignants seraient les premiers perdants » si la réforme des retraites était retirée et que les enseignants toucheraient « des milliers d’euros en plus par personne ». Il a promis « des engagements fermes » sur la revalorisation tout en mettant l’accent sur le fait que celle-ci lui donnerait « les éléments pour la seconde phase de transformation profonde du système éducatif ».
Bilan : Quelle revalorisation ?
Au delà des promesses et des déclarations, on peut tirer de ces propos quelques certitudes.
La première c’est que plus de 4 mois après l’annonce de la réforme, le gouvernement n’a rien mis de concret sur la table pour répondre aux questions des enseignants. Le chiffre de 10 milliards a été cité par E Macron lui-même mais c’était pour dire qu’il ne les donnerait pas. Puis, à Nancy, il est réapparu dans la bouche du 1er ministre comme un montant de revalorisation possible. Le montant de la revalorisation reste encore totalement dans le flou.
La façon dont la revalorisation se ferait est, elle aussi, totalement imprécise. Il y a des discussions sur le calcul des droits acquis au moment du basculement dans le nouveau système. Mais rien n’est fixé sur la façon dont les personnels enseignants vont être revalorisés. Cela alors que le calendrier d’application de la réforme des retraites, avancé à 2022, est, lui, extrêmement précis.
Le gouvernement ne s’engage plus sur le maintien du montant des retraites mais sur un montant équivalent à celle des autres fonctionnaires de catégorie A, ce qui n’est pas rien mais n’est pas la même chose.
Sur la revalorisation, l’entourage de JM Blanquer a nettement affirmé le 26 novembre « qu’on ne va pas refaire du PPCR ». La revalorisation ne se ferait pas par une réforme des grilles mais par des primes. Certaines primes sont versées à (presque) tous, comme l’ISOE ou l’ISAE. D’autres, non.
Enfin le ministre et son entourage veulent lier la revalorisation à une redéfinition du métier enseignant. Cette approche a été validée par le président de la République et par le premier ministre. JM Blanquer y voit une occasion de faire enfin plier les enseignants.
Un constat inquiétant
Pour les enseignants, l’année 2019 se termine sur un constat inquiétant. Ils ont la certitude d’être les principales victimes de la réforme des retraites car le nouveau système prend en compte toute la carrière et non les 6 derniers mois, or les salaires enseignants de début et milieu de carrière sont très bas et le montant des primes également.
On leur fait miroiter une revalorisation qui serait inscrite dans une loi de programmation. Mais ni son montant, ni son calendrier, ni ses modalités ne sont fixés. Les lois de programmation sont crédibles sur une mandature. Sur 25 ans et plus, il est clair que ce serait une première et que sa valeur d’engagement est nulle. Rappelons que le gouvernement actuel, qui parle beaucoup depuis 2 ans de revaloriser les enseignants, n’a même pas été capable de respecter le calendrier des accords PPCR qui exigeaient des enveloppes beaucoup plus modestes. Et que le rapport Cap 22, vivement soutenu par le gouvernement, veut une baisse de la masse salariale de l’État, pas son augmentation…
La discussion avec les syndicats va se porter sur une revalorisation des grilles ou sur des primes. L’entourage ministériel ne veut pas entendre parler d’une refonte des grilles. Pourtant c’est la seule façon d’avoir une revalorisation pour tous. Aujourd’hui les primes vont surtout aux corps les mieux rémunérés et aux hommes. Passer par des primes c’est aggraver les inégalités.
La question a aussi une importance au regard de la loi Fonction publique. La suppression du droit de regard des commissions paritaires sur l’avancement veut affaiblir les règles de l’avancement et personnaliser les carrières. C’est aussi la logique des primes face aux grilles… On retombe sur un choix fondamental de société.
2020 : le basculement dans un nouveau métier ?
Et on y reste. Le ministre veut utiliser la réforme des retraites pour exiger des contreparties sur le métier enseignant. Ce n’est pas un mystère car ces mesures sont déjà passées dans les lois Blanquer et de transformation de la fonction publique ou ont été rappelées à Nancy : formation obligatoire sur 5 journées de congé, annualisation des services, contrôle étroit des enseignants par des personnels de direction ayant des pouvoirs renforcés d’affectation et de rémunération, personnalisation de la durée du travail, heures de présence dans les établissements notamment pour faire les remplacements, réunions d’équipe ajoutées à l’emploi du temps…
On comprend qu’il ne s’agit pas seulement de conditions de travail. C’est une nouvelle culture professionnelle que le gouvernement veut imposer sur un modèle top down. Une culture directement importée des pays anglo-saxons qui fera passer les enseignants de l’estrade du professeur à l’open space du salarié contractuel.
2020 sera bien une année charnière pour les enseignants. Pour eux, derrière l’enjeu déjà énorme de leur retraite, s’avance la perspective d’un nouveau métier. Sur chacun de ces points les syndicats vont avoir à prendre position. Mais tout dépendra de la mobilisation des enseignants. Ce sont eux qui, au final, ont leur avenir et celui du métier, en mains.
F. Jarraud