Faut-il laisser le choix de l’école aux familles ? Ont-elles les compétences civiques et morales prenant en considération le bien public ? Sont-elles capables d’un consumérisme éthique tel qu’on l’observe pour le développement durable ? Yoann Adler, docteur en sciences de l’éducation et attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) à l’Institut des Sciences et des Pratiques d’Education et de Formation (ISPEF) de l’Université Lumière Lyon II, évoque sa récente thèse sur les familles face au choix du collège (1).
Vos recherches s’inscrivent dans un contexte de préoccupation internationale sur le choix de l’école par les familles. Peut-on classer les pays développés en fonction de la souplesse qu’ils laissent aux parents dans le choix de l’école ?
De mon point de vue, au niveau international, il y a d’un côté les pays où le choix de l’école s’inscrit dans une logique de marché, à l’image de l’Angleterre et de la Belgique, et, de l’autre, les pays où le choix de l’école s’inscrit dans une différenciation des établissements pilotée par l’État, comme la France ou la Chine. Il me semble difficile de classer les pays sur une même échelle. Il me paraît intéressant de considérer dans quelles logiques se situe le choix de l’établissement par les familles. Est-ce dans une logique de marché – comme dans de nombreux pays – ou dans une logique de différenciation pilotée par l’État ?
J’ai situé la question du choix de l’établissement dans la problématique de la différenciation des établissements car tout choix nécessite une offre différenciée. D’une manière générale, le discours des organisations internationales est que l’on a trop standardisé et que, pour des raisons tant d’efficacité que de démocratisation, on gagne à différencier. Or, cette différenciation est la meilleure ou la pire des choses du point de vue de la démocratisation. Une diversification pilotée par le marché, comme dans certains pays libéraux, aboutit de façon dommageable à des écoles à plusieurs vitesses. En somme, une comparaison internationale révèle plusieurs différenciations et choix de l’établissement avec pour conséquence, l’impossibilité de classer les pays sur la même échelle.
Quel bilan faites-vous de l’expérience d’assouplissement de la carte scolaire de 2007 ?
La mesure du 4 juin 2007 est assurément une nouveauté par rapport aux expériences d’assouplissement successives des deux décennies précédentes : l’assouplissement est généralisé à tout le territoire français, des critères nationaux hiérarchisés sont instaurés, toutes les dérogations sont acceptées si la capacité d’accueil le permet. La note de service du 2 avril 2008 a permis, elle, aux familles d’obtenir des informations qualitatives et quantitatives sur les collèges publics, au travers de la mise en ligne de fiches-établissements par les académies, alors que jusque-là, il était difficile, voire impossible, d’en obtenir contrairement aux lycées.
Je ne crois pour autant pas que l’on puisse parler d’une véritable réforme. L’assouplissement n’a pas conduit à la suppression de la carte scolaire annoncée. Aussi, ce n’est pas la capacité maximale d’accueil du bâtiment, définie par le Conseil général pour les collèges, qui limite les dérogations ; les places disponibles dépendent des moyens accordés aux établissements via la dotation horaire globale (DHG), sachant qu’ils ne prennent pas en compte les éventuelles dérogations.
Mes résultats rejoignent les travaux de Pierre Merle, du SNPDEN et ceux de la Cour des comptes qui concluent que les établissements les plus fragiles de l’Education prioritaire ont été victimes de cette mesure en matière d’effectifs. Néanmoins, le problème du choix de l’établissement par les familles est à situer dans un temps plus long que celui de l’assouplissement engagé en 2007. Cette mesure n’est qu’un épisode dans une chronologie, encore ouverte, qui débute dans les années 1970 avec la réforme du collège unique et l’imposition de classes hétérogènes. Cependant, c’est la mise en œuvre d’une politique d’éducation prioritaire et la parution des premiers palmarès d’établissement dans la presse, au début des années 1980, qui lancent réellement le mouvement en révélant au grand jour des différences entre les établissements.
La plupart des parents désirent bénéficier d’un recours lorsque l’établissement de secteur ne leur convient pas…
Les manifestations massives de 1984 contre un grand service public et laïc d’éducation l’ont clairement exprimé. Ce mouvement de parents que Robert Ballion qualifie, en 1982, de « consommateurs d’école » est à regarder dans sa continuité et sa construction historique en prenant en compte les mouvements revendicatifs des usagers dont les années 1970 ont vu l’essor. Dans mon étude, je montre au travers de l’épreuve que constitue le choix du collège pour les familles, les évolutions du rapport entre des usagers et leur service d’éducation. Si la logique marchande, caractéristique des années 1980, persiste, on note l’émergence d’une forme élargie de la logique civique incluant de nouveaux droits des usagers : l’information, le bien-être de l’enfant, sa sécurité, une ambiance de travail, etc. Mon étude montre qu’aux différents niveaux de la régulation administrative, les acteurs de l’Education nationale et des collectivités territoriales ont tenté de répondre à ces nouvelles attentes des familles, même s’il s’agissait aussi de servir leurs propres intérêts : problèmes d’effectifs, perte d’attractivité, logiques électoralistes, etc.
Depuis 2012, l’Éducation Nationale recherche une nouvelle forme de sectorisation strictement applicable à tous de manière égale. Quelles en sont les principales caractéristiques ?
Durant la mandature de Nicolas Sarkozy, de nombreux sociologues ont critiqué les effets négatifs de la mesure de 2007 sur la mixité sociale. Dès son arrivée au ministère de l’Education nationale, Vincent Peillon a fait savoir qu’il souhaitait, en dépit des difficultés, une nouvelle forme de sectorisation permettant d’améliorer la mixité sociale au sein des établissements scolaires. Depuis lors, une seule régulation a eu lieu : le passage du motif « parcours scolaire particulier » à la fin de la liste des critères prioritaires. Les familles souhaitent choisir l’établissement de leur enfant. La proposition du gouvernement devra tenir compte de cette volonté des familles, condition d’une réforme efficace de l’affectation des élèves pour améliorer la mixité sociale au sein des établissements scolaires. Nous verrons quelle suite le nouveau ministre, Benoît Hamon, donnera à cette question délicate de la sectorisation des établissements secondaires en France.
Quels sont les motifs explicites que donnent les familles pour contester l’affectation de leur enfant en collège ? Quels sont les motifs implicites ?
Mon travail a porté sur la diversité des logiques qui guident le choix du collège par les parents dans un univers complexe. La note ministérielle du 2 avril 2008, en demandant aux académies de publier des fiches-établissements, a invité les parents à choisir en fonction des performances et du projet des établissements. Au niveau de l’entrée en sixième, ce n’est pas apparu comme la préoccupation principale des familles contrairement à la sécurité et au bien-être de l’enfant. À cet égard, mon objet est l’émergence de longue durée d’une cause politique qui est celle de la prise en compte des logiques des familles dans un service public localisé et ouvert.
Cette cause politique a du mal à s’exprimer parce qu’une partie de la classe politique et des sciences sociales lui proposent de le faire par le marché alors que, dans mon étude, les familles le demandent assez peu. Elles désirent s’inscrire dans un service public respectueux de leur attachement au bien-être de l’enfant, à sa sécurité. Ils ne focalisent pas sur la performance académique. On observe la difficile recherche d’un compromis autour d’un sens civique ouvert : on reste à l’intérieur des règles de service public, mais, en même temps, on cherche à mieux prendre en compte les demandes des usagers en matière de sécurité, de bien-être de leur enfant. Les critiques des parents concernent également l’ambiance de travail au sein de la classe ou en permanence.
Pour répartir les élèves dans les établissements, l’Éducation Nationale n’est-elle pas condamnée à inventer des palliatifs, juste pour calmer des tensions périodiques ?
Non, je ne crois pas. Avec l’acte III de la décentralisation, nous sommes actuellement dans un contexte de décentralisation accrue. Cette dernière laisse à penser que la question du choix de l’établissement se traitera de plus en plus à l’échelle locale. On peut faire l’hypothèse qu’on se dirige vers une version sociale du choix de l’école à travers une plus grande reconnaissance des familles ; précisément, en considérant les parents comme des citoyens d’une démocratie locale et participative. Cette option permet de répondre à deux aspirations des familles : le choix de l’établissement et une véritable implication dans la gestion locale des établissements scolaires. On voit ici émerger un nouvel usager du service public ; l’usager citoyen dans sa fonction de représentant étant dépassé.
Le choix pourrait être offert aux familles, dès lors que leurs nouvelles responsabilités, au sein des établissements, leur auront permis d’acquérir les compétences civiques et morales nécessaires pour être des consommateurs en dehors d’une sphère marchande ; autrement dit, prenant en considération, dans leurs décisions, le bien public. On peut faire ici le parallèle avec un consumérisme éthique tel qu’on l’observe pour le développement durable.
Propos recueillis par Gilbert Longhi
L’assouplissement est un leurre
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2013/08/02082013Article635[…]
Dossier de 2007
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lesysteme/pages/dossierlacartescolaireendebat.aspx
Au coeur des stratégies familiales (Van Zanten)
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2012/11/19112012Article63[…]
Note :
1 Yoann ADLER Thèse Sciences de l’éducation 2013 Université Lumière Lyon 2. Les familles face au choix du collège : logiques d’action, régulation administrative et critique sociale
http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2013/adler_y/info
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