Education « à » l’Art ou éducation « par » l’Art ? Dans quelle(s) mesure(s) ces actions favoriseront-elles l’acquisition des apprentissages fondamentaux ? Des résidences d’artistes sont installées à Lyon dans des écoles maternelles grâce au programme « Enfances, Arts et Langages » en partenariat avec la Ville, le Ministère de la Culture et de la Communication et le Ministère de l’Education Nationale.
Chaque année depuis 2002, environ 1 200 enfants vivent une passionnante aventure créative sous la houlette d’artistes confirmés. Unique en France de par la durée d’intervention des artistes et l’âge des enfants, ce projet compte bien valoriser l’intelligence sensible et participer à l’enrichissement des apprentissages dans la pratique artistique. Dans le cadre d’un appel à projet national, huit artistes, photographes, musiciens, chorégraphes, plasticiens sont sélectionnés. Ils interviennent pendant un à trois ans à raison de neuf à douze heures hebdomadaires sur vingt semaines de l’année scolaire. Ils tissent de véritables liens avec les enfants et travaillent en étroite collaboration avec les équipes éducatives. L’artiste devient un acteur à part entière de l’école. A l’écoute de l’enfant, de ses intérêts et de ses désirs de création, il les aide à exprimer leur potentiel par de multiples supports.
Ces résidences sont installées prioritairement dans des écoles situées dans des quartiers fragilisés (RRS, CUCS). Elles sont organisées avec le soutien des institutions culturelles de Lyon : les nouvelles Subsistances, la Maison de la Danse, l’école nationale des Beaux-Arts, le Musée d’Art contemporain, le Musée des Beaux-Arts, le Conservatoire National de Région de Musique et de Danse…Une équipe de chercheurs, sous la responsabilité scientifique de Jean-Paul Filliod, associant l’IUFM de Lyon, le centre ressources Enfances Art et Langages, l’IFé, le laboratoire Education Cultures et Politiques et la DSDEN, contribue à la construction, la diffusion et l’évaluation de ce programme.
Entre Casse-Noisette et Hip Hop
Une école cachée dans la verdure en contrebas d’un quartier périphérique comme tant d’autres… Au cœur de l’effervescence, les sourires des enfants de grande section accueillent les spectateurs de ce matin. Le Café a été invité, avec les parents, à une matinée de découverte accompagnée par les musiciens du Conservatoire et suivie de la projection d’un documentaire sur le travail accompli dans les classes . Ici on donne à voir un chantier de création où tous voyagent en immersion dans l’univers de Casse-Noisette, le temps d’une rencontre avec Julie Lefèvre, danseuse et chorégraphe.
Influencée par Pina Bausch, Maguy Marin et les théories de Rudolf Laban, Julie Lefebvre confie « partir des enfants, les observer, voir leur plaisir à bouger ». Son parcours de création est basé sur des métaphores empruntées au conte, en identifiant les éléments typiques du conte et en les amenant à la physicalité dansée. Par le jeu et l’improvisation, un vocabulaire commun émerge. Il est remanié, approfondi au fil des séances pour aboutir à des séquences dansées. Pour cette artiste, « les enfants trouvent eux-mêmes leur propre justesse, loin des notions de réussite ou d’échec, mais dans l’engagement et la confiance ».
En lien avec la danse, les autres domaines d’apprentissages, et spécialement le langage –écrit et oral- ont été travaillés et ont abouti à la réalisation par chacun des élèves d’un album animé et l’enregistrement d’un CD. L’enseignante et l’ATSEM observent dans l’ensemble des activités « une confiance en eux accrue, une très nette amélioration de leurs capacités d’écoute et de concentration. Le travail spécifique à la danse entraîne une conscience plus affirmée de leur corps et du monde de la musique ».
Julie Lefebvre exprime la surprise toujours renouvelée à travailler avec des enfants qui l’ont ramenée aux sources du geste et de la création. Elle affirme : « Tous les enfants ont en eux quelque chose de très précieux et de très créatif ». Sa pédagogie auprès des adultes sera enrichie de son expérience avec les enfants.
D’où je viens ? Qui je suis ? à l’école maternelle Louis Pasteur, Lyon 8ème
C’est en 2003, dès les débuts de l’AEL, que l’école a inauguré une résidence d’artiste. Lorsqu’en 2012, elle est à nouveau sollicitée par l’Inspection, elle l’accueille avec enthousiasme, forte de son expérience passée. Le Hip Hop a trente ans, il nous accompagne au quotidien à travers jingles publicitaires, génériques de films, et il vient d’entrer à l’école maternelle du quartier Mermoz où Najib Guerfi, danseur et chorégraphe est en résidence. assionné par les techniques de Graham, Limon et Cunningham, son travail s’axe sur le métissage des styles.
On reste bouche-bée devant les capacités exceptionnelles de ces enfants évoluant sur des rythmes que l’univers scolaire ne leur a pas toujours destinés. Si les tout-petits s’initient au Hip Hop en imitant les mouvements des animaux, en grande section, ce sont les démonstrations de freestyle qui donnent toute la mesure de leur génie enfantin. Inciter la recherche individuelle, collecter les trouvailles, les chorégraphier sur des musiques très éclectiques, et même sur du Bach… constituent la trame du projet du chorégraphe. Pas de frontière entre travail accompli par l’artiste au sein du quartier et de l’école. Voici comment rigueur et empathie, esthétique et discipline créent un lien solide entre petits et grands du même lieu.
Pour la directrice, par ailleurs très attachée à la recherche du bien-être des élèves, la pédagogie menée par ce professionnel de qualité est un bel outil de socialisation et de formation du goût. Elle souligne que « pour des enfants en difficultés, faire parler le corps permet de s’exprimer dans la danse sans jugement ». Elle-même réutilise avec brio les termes techniques de la danse dans ses séances d’apprentissage de l’écriture en grande section. L’enchaînement des mouvements d’une chorégraphie, le vocabulaire scénique améliorent la perception du temps et de l’espace.
Pour Nagib Guerfi, « la danse aide à devenir citoyen ». Il confie avoir beaucoup appris de ce contact avec les enfants de l’école maternelle vers qui il a dû « retravailler complètement sa façon de s’exprimer : expliquer sans montrer, réfléchir à des termes, des images où les enfants peuvent se reconnaître ». Il transpose les créations des enfants aux groupes d’adultes, persuadé que « le Hip Hop est contraint de se renouveler pour rester dans son champ profond ».
Est-il plus pertinent de montrer une « création en chantier » ou de présenter un spectacle longuement répété ? Le processus créatif a-t-il davantage de valeur que le spectacle final ? L’œuvre a-t-elle besoin d’un public pour exister réellement ? Ce sont des questions auxquelles ces artistes et les équipes tentent de répondre. Mais tous, avec impatience, attendent déjà l’an prochain.
Dominique Gourat