Les méthodes pédagogiques inspirées du socio-constructivisme sont-elles plus efficaces que les méthodes d’enseignement explicite ? Les organismes génétiquement modifiés sont-ils dangereux pour notre santé et notre environnement ? Apprend-on mieux à lire en commençant par les syllabes ou par les mots ? Notre planète se réchauffe-t-elle ? A quel âge est-il possible de repérer et de prendre en charge des troubles de la conduite hérités ?
Toutes ces questions ont en commun d’être des questions difficiles donnant lieu depuis de nombreuses années à des controverses, à des débats contradictoires entre des spécialistes dont la plupart se réclament de la science et de ses méthodes. Ces débats sont également publics car ils nous concernent tous. Même si nous ne participons pas aux échanges et à l’élaboration des arguments, nous devons les suivre et tâcher de les comprendre car, à tout moment, nous pouvons être amenés à nous prononcer sur ces sujets, par exemple par un vote. C’est une tâche souvent difficile pour les citoyens ordinaires mais aussi pour les scientifiques qui doivent s’efforcer de rester intelligibles ; c’est surtout un enjeu capital pour la démocratie.
Dès lors que les débatteurs sont honnêtes, respectueux les uns des autres et qu’ils échangent des arguments rationnels, le débat profite à tous et en particulier à la science et aux scientifiques. Car depuis toujours, le progrès scientifique se nourrit de controverses. Celles qui durent longtemps sont souvent les plus fructueuses. Le vrai scientifique, lorsqu’il évite le piège du scientisme, ne les fuit pas et ne cherche pas à les faire cesser par la force, en « clouant le bec » à ses contradicteurs avec des arguments sans appel, des arguments qui ne se discutent pas. Les arguments de la science sont justement de ceux qui se prêtent le mieux à la discussion.
Les vrais scientifiques n’ont donc pas besoin que des acteurs extérieurs, politiques ou financiers par exemple, viennent leur prêter main forte dans les controverses auxquelles ils se trouvent mêlés. Lorsque cela arrive, la science devient l’instrument d’enjeux qui ne sont pas de nature scientifique et court alors le risque de perdre une partie de sa fertilité. La controverse est faussée et l’exercice démocratique compromis.
Ces principes s’appliquent tout autant à des questions vitales comme le réchauffement de la planète ou les OGM qu’à d’autres qui le sont moins, comme l’efficacité des méthodes pédagogiques ou la prévention des conduites à risque. Dans le domaine de l’environnement, les enjeux économiques sont gigantesques. C’est sans doute la raison pour laquelle les responsables politiques laissent les controverses se développer et retardent sans cesse le moment de l’arbitrage. Pourtant les risques courus sont immenses.
Dans le champ de l’éducation, les risques de laisser les controverses sur les méthodes d’enseignement ou le dépistage des enfants difficiles se développer sont faibles en regard des risques écologiques. Les responsables politiques n’ont donc pas de raison sérieuse, du moins du point de vue de l’éducation et de la science, d’intervenir dans les débats en cours et tenter d’y mettre fin, qui plus est en prenant parti pour des courants minoritaires.
Serge Pouts-Lajus