Réaliser un guide touristique des Enfers : voilà l’étonnante mission confiée par Angélique Voisin, professeure de lettres, à ses élèves de sixième du collège Claude Debussy à La Guerche-sur-l’Aubois dans le Cher. Le travail, conduit en collaboration avec le professeur d’histoire-géographie, amène à enrichir et à fixer des connaissances sur l’Antiquité et la mythologie. Il permet aussi de développer bien des compétences : recherche et traitement de l’information, maniement des outils numériques, expression écrite, créativité, autonomie … Au final : « élèves comme professeurs, nous nous sommes pris au jeu et nous sommes amusés ». Suivons la guide, sur un chemin pédagogique qui à sa façon anticipe les EPI à venir.
Réaliser un dépliant touristique pour permettre à un touriste d’aujourd’hui de visiter les Enfers antiques : comment et pourquoi avez-vous conçu cet étonnant projet ?
L’univers antique suscite et développe l’imaginaire des élèves, la dimension du mythe opère pleinement. C’est exactement ce qui s’est passé en cours : les élèves ont manifesté plus de curiosité que d’habitude lors d’étude de textes fondateurs, ceux concernant la visite aux Enfers de deux héros, Enée et Ulysse. C’était le lieu qui leur plaisait, son pouvoir évocateur et surtout le fait que dans l’antiquité cet univers existait pleinement, certaines entrées étaient indiquées dans la géographie humaine, on pouvait y accéder. Le projet n’a pas été anticipé : quand la fin du cours a sonné, les élèves continuaient à poser des questions sur la façon dont les hommes « voyaient » les enfers dans l’Antiquité, comment ils se les représentaient. Un support visuel m’a alors semblé intéressant pour prolonger la réflexion, la forme d’un dépliant touristique permettait de prolonger le jeu et ainsi l’entrée dans l’univers antique.
Une maquette de dépliant touristique type a été proposée aux élèves : pouvez-vous éclairer son contenu, ainsi que les pistes ou consignes de travail ?
Ce sont plutôt les élèves qui ont décidé des modalités principales du dépliant. Je leur ai tout simplement apporté différents documents de l’office du tourisme et, en groupe, ils ont listé les éléments indispensables : un titre accrocheur sur la première page, des lieux importants mais aussi des personnages, et bien sûr des illustrations. Cela a constitué leur liste de recherches à effectuer. La mise en page a été décidée de façon collective : un format A4, recto verso, trois colonnes sur chaque face. Il s’agissait donc pour les élèves de sélectionner au fil de leurs recherches au moins trois lieux et trois personnages qu’il leur semblait intéressant de présenter de façon plus personnelle.
Pour arriver à leurs fins, les élèves ont dû mener un important travail de recherche et de traitement de l’information : quels dispositifs avez-vous mis en place ? en quoi ce travail d’exploration et de transformation vous a-t-il paru profitable ?
J’ai eu la chance de pouvoir travailler avec le professeur d’histoire géographie. J’avais au préalable sélectionné certains sites que les élèves sont allés visiter mais leur présélection était souvent trop vaste. Certains ont aussi mené des recherches individuelles et ont alors mélangé l’univers biblique à celui propre à l’antiquité. Le passage de relai a très bien fonctionné : mon collègue a su recadrer leurs recherches et ainsi affiner leurs choix.
Quels outils numériques les élèves ont-ils utilisés pour réaliser le dépliant lui-même ?
Je me suis vite heurté à un manque de maitrise de l’outil informatique pour certains élèves de sixième. Je suis donc resté sur un travail de traitement de texte (word ou open office). Ils avaient surtout fort à faire pour gérer leur espace de travail ! Créer leur dossier, enregistrer le document de présentation à compléter, taper leur propre texte, enregistrer et renommer des images, les insérer dans un tableau, … tout cela a été assez difficile mais très formateur pour beaucoup, ce que j’ai pu constater lorsque je les ai retrouvés les années suivantes.
Ils ont aussi pris l’habitude d’utiliser certaines ressources telles Scribens pour améliorer leur orthographe ou d’enrichir leur vocabulaire via l’entrée « lexicographie » dans le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales ou le Trésor de la Langue Française Informatisé. Je leur constitue une fiche de banque d’outils qu’ils peuvent ainsi utiliser toute l’année, elle s’enrichit les années suivantes. Plusieurs la conservent sur leur clé usb, signe qu’elle leur est utile lors de leurs travaux.
J’annote également leur travail grâce aux « commentaires » de l’onglet « révision » sous word. Cela permet de laisser des pistes d’amélioration à suivre, les élèves peuvent ainsi y répondre au fur et à mesure.
Le travail mené présente une dimension interdisciplinaire : comment les disciplines ont-elles réussi à se croiser ? avec quels intérêts selon vous ?
Nous abordons la même époque mais pas avec le même regard. Le fait d’avoir deux interlocuteurs permet d’enrichir le travail. J’avais au départ peut-être trop ouvert leurs recherches, mon collègue a su les recentrer. Cela m’a permis de me concentrer davantage sur la formulation, les objectifs particuliers liés à ce type de communication mêlant efficacité et humour.
Au final, quel bilan tirez-vous de cette traversée de la mythologique antique par le numérique, la créativité et l’humour ? Ce travail vous semble-t-il transférable ?
Elèves comme professeurs, nous nous sommes pris au jeu et nous sommes amusés. Il y avait l’enjeu pour les élèves de nous surprendre, de proposer un travail original. Le numérique leur a permis d’apporter de l’esthétique à leurs travaux et un rendu valorisant. Ils avaient l’impression de réaliser un travail plus professionnel que scolaire. Cela les a marqués : lorsqu’ils ont abordé deux ans plus tard le mythe d’Orphée lors de l’étude de la poésie lyrique, ils ont su convoquer ce qu’ils avaient gardé en mémoire.
Ma collègue de lettres classiques leur a proposé de réaliser un dépliant permettant la visite des villas romaines. Leurs travaux ont été très aboutis et très réussis, ceux qui avaient mené ce projet en 6ème étaient très enthousiastes de retrouver cette forme de travail et d’indiquer les étapes nécessaires au reste du groupe.
Vous avez par ailleurs utilisé le numérique pour aider les élèves à s’approprier le texte théâtral : selon quelles modalités de travail ? avec quels bénéfices pour les élèves ?
C’était un travail totalement différent, il fallait dans ce travail « oublier » justement le texte auquel ils attachent souvent trop de poids lors de leur mise en voix. L’outil numérique a été choisi tout simplement parce qu’ils l’avaient dans leur poche et qu’ils avaient l’habitude de s’en servir. Certains ont pris un mp3, d’autres leurs téléphones portables, des baladeurs ont été prêtés à ceux qui n’en avaient pas. Ils se sont alors créés un « souffleur » virtuel et ont pu jouer le texte dramatique qui leur avait été donné. « Jouer » c’est-à-dire écouter les répliques de l’autre, le regarder, évoluer autour de lui ce qui reste très limité lorsqu’on tient une feuille à la main !
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
L’activité Dépliant touristique des enfers sur le site de l’académie d’Orléans