Rafistoler des programmes souvent décriés est-ce suffisant ? Le ministère publie une circulaire qui « apporte un certain nombre d’indications pour la mise en oeuvre des programmes de l’école élémentaire » en attendant les nouveaux programmes prévus pour la rentrée 2016. Plutôt que couper dans les listes de consignes des programmes de 2008, la circulaire retranche très peu de choses mais éclaire la façon d’border le programme. Trop peu, trop tard ?
» Les recommandations proposées ci-après constituent des indications générales ou portent sur des domaines précis qui ne se substituent pas aux programmes en cours, mais peuvent en éclairer la mise en œuvre en dégageant des priorités », annonce cette circulaire publiée au B.O. du 19 juin. Elle fait suite aux demandes syndicales et aux souhaits de la concertation nationale. DE nombreuses voix s’étaient élevées contre les programmes de 2008 à la fois sur leurs exigences et sur leur orientation. Les « recommandations » se situent davantage dans l’esprit d’une réorientation que de suppressions. D’ailleurs des pans entiers des programmes ne sont pas concernées par la circulaire, l’EPS par exemple. Et c’est aussi sur l’esprit du texte qu’intervient la nouvelle circulaire en premier. » Les enseignants ménagent autant que possible des situations de transversalité qui permettent notamment des retours réguliers sur les apprentissages du français et des mathématiques : tous les domaines d’apprentissage donnent lieu à des exercices écrits et oraux réguliers », dit la circulaire. » Accorder de l’importance au sens des apprentissages, c’est revenir sur l’opposition classique entre sens et automatisation : il ne s’agit pas de les opposer, mais de les construire simultanément. La construction du sens est indispensable à l’élaboration de savoirs solides que l’élève, acteur de ses apprentissages, pourra réinvestir. L’automatisation de certaines procédures est le moyen de libérer des ressources cognitives pour que l’élève puisse accéder à des opérations plus élaborées et à la compréhension ».
Cycle des apprentissages fondamentaux
En français, dans le cycle des apprentissages fondamentaux, là où le programme de 2008 met l’accent sur le décodage ( » l’apprentissage de la lecture passe par le décodage et l’identification des mots et par l’acquisition progressive des connaissances et compétences nécessaires à la compréhension des textes), le nouveau met en avant la compréhension (l’apprentissage de la lecture nécessite aussi de comprendre des textes narratifs ou documentaires, de produire des inférences, d’interpréter et d’apprécier les informations contenues dans un texte). Pour la maitrise de l’oral, les programmes de 2008 mettaient l’accent sur le role du maitre (Ils s’entraînent à écouter et comprendre les textes que lit le maître, à en restituer l’essentiel et à poser des questions… Les élèves s’exercent à dire de mémoire, sans erreur, sur un rythme ou avec une intonation appropriés, des comptines, des textes en prose et des poèmes), les nouveaux programmes met en avant l’expression des élèves (l’enseignant incite les élèves à s’exprimer et à justifier leur point de vue).
Les nouveaux programmes limitent par contre les apprentissages de grammaire. Par exemple au lieu d’apprendre à conjuguer « les verbes les plus fréquents », ils mémorisent « de façon systématique que les verbes être et avoir ». Enfin le nouveau programme introduit la pratique de l’écriture , un point absent des programmes de 2008 : » La pratique de l’écriture cursive quotidienne est nécessaire ». Serait-elle menacée par le numérique ?
En maths, là aussi on fait appel à » la construction du sens » jugée complémentaire à « l’automatisation ». Les nouveaux programmes mettent l’accent sur la résolution de problèmes : » La résolution de problèmes permet de donner du sens aux apprentissages et de conforter les compétences dans chacun des domaines mathématiques. » Les programmes 2008 parlent d’apprendre les tables par coeur et l’apprentissage des opérations. Les recommandations les mettent en perspective pour l’apprentissage du nombre. Pour les grandeurs et mesures, elles précisent : » Ce domaine d’apprentissage étant très souvent à l’origine de difficultés chez certains élèves, l’enseignant prend appui sur toutes les phases de manipulation (dont les comparaisons directes et indirectes) qui permettent de faire comprendre la notion de grandeur avant de faire appel à la mesure ».
Dans le cycle des approfondissements
En français, la différence est sensible en grammaire. Les programmes de 2008 contiennent une page entière de règles de grammaire à acquérir. Cette énumération est remplacée par une consigne nettement moins ambitieuse : « consolider les notions acquises au CE1 », « l’accent est mis sur les notions utiles en orthographe : l’accord en genre et en nombre dans le groupe nominal, l’accord du verbe avec son sujet ». Une des exigences les plus surréalistes des programmes de 2008 » Conjugaison des verbes des premier et deuxième groupes, d’être et avoir aux temps suivants de l’indicatif : présent, futur simple, imparfait, passé simple ; passé composé, plus-que-parfait, futur antérieur, conditionnel présent ; à l’impératif présent, à l’infinitif présent ; au participe présent et passé », est ramenée au mond eréel : » Présent, passé composé, imparfait et futur sont prioritaires dans les acquisitions orthographiques. Les autres temps au programme sont abordés en contexte, en fonction des textes lus ou des besoins d’écriture. »
En maths, les recommandations mettent l’accent sur la résolution de problèmes qui » permet de donner du sens aux apprentissages et de conforter les compétences dans chacun des domaines mathématiques. » Elles apportent aussi des allègements en supprimant des points des programmes de 2008 qui sont vus au collège. Par exemple la notion de valeur rapprochée, la notion de multiple, les formules de périmètre, d’aire et de volume.
Pour les autres disciplines on observe des réalignements importants. Là où c’est le plus visible c’est en histoire. Les programmes de 2008 alignent une liste impressionnante de sujets à traiter. Les recommandations précisent ce que l’élève doit savoir. Ainsi les temps modernes (« Les Temps modernes : Le temps des Découvertes et des premiers empires coloniaux, la traite des Noirs et l’esclavage. La Renaissance : les arts, quelques découvertes scientifiques, catholiques et protestants. Louis XIV un monarque absolu. Les Lumières ») devient de façon plus claire : » Les Grandes découvertes sont abordées à partir du récit du voyage de Christophe Colomb et de ses principales conséquences ; une première approche de la Renaissance est engagée par l’étude d’œuvres d’art caractéristiques de la période ; le bouleversement de la Chrétienté au XVIe siècle est étudié au collège ; la période des Lumières est abordée à partir d’un exemple (Voltaire, Rousseau, …) qui permet d’évoquer l’organisation de la société à la veille de la Révolution française ». On notera au passage que Louis XIV (en chiffres latins !) monarque absolu n’est plus dans les recommandations. En précisant ce que les élèves doivent savoir, les recommandation aident le professeur qui aurait tendance à transmettre un savoir encyclopédique non maitrisé. Le raisonnement est le même en géographie. Les programmes de 2008 parlent de « la fréquentation régulière du globe, de cartes, de paysages (?) ». Les recommandations disent : « les élèves doivent apprendre à lire et à utiliser les cartes , plans et photographies ». Les recommandations ajoutent aussi un axe celui du développement durable. » Au cours des trois années du cycle, les enseignants choisissent une thématique à traiter sous la forme d’un projet pluridisciplinaire en lien avec les sciences ».
Très attendue, la refonte temporaire des programmes de 2008 était rêvée en terme d’allègements. La circulaire des recommandations ne se limite pas à cela. Certes elle coupe dans les exigences parfois démesurées des programmes de 2008 par exemple en précisant que des points relèvent du programme du collège. Surtout elle éclaire différemment et prudemment les choses. Il ne s’agit plus d’apprendre par coeur un savoir encyclopédique inassimilé mais de déguster le pourquoi des apprentissages. Reste à voir comment cette révolution tranquille sera transmise vers les enseignants. Gageons qu’une circulaire ne suffit pas….
Programmes : Un texte pour rien pour le Snuipp
« Les indications restent encore bien floues et même parfois incohérentes avec une forte dissonance entre l’objectif affiché de dégager « des priorités, en précisant des interprétations » et le contenu concret des recommandations », estime le Snuipp dans un communiqué. Le syndicat voit des « incohérences » entre les recommandations. »Quand il est dit que « tous les domaines donnent lieu à des exercices oraux et écrits réguliers » et que « l’automatisation de certaines procédures est le moyen de libérer des ressources cognitives », par exemple.
» Sur d’autres points, les recommandations comportent de nombreuses zones d’ombre », estime le Snuipp. « « Aborder, évoquer, appréhender » sont des termes qui reviennent souvent avec une distinction bien floue entre ce qui doit être étudié à l’école et ce qui est renvoyé au collège ». Aussi le syndicat appelle à ce que le texte reste facultatif. » Le SNUipp-FSU doute du bien fondé d’un tel document d’autant qu’il deviendra vite obsolète. De fait, il a alerté le ministère pour que ces recommandations ne fassent pas l’objet à la rentrée d’une nouvelle lubie injonctive dans les circonscriptions ».
François Jarraud