Indiscrétions autour d’une orientation
« Je suis maman d’une ado pas du tout motivée par le collège. Pour résumer, elle passe plus de temps à se regarder dans la glace et à se changer dix fois par jour qu’à étudier ses leçons, faire ses devoirs et ranger sa chambre. Je ne vous parle pas du niveau du bulletin scolaire qui dégringole depuis la 6è. Le « redoublement » se profile et du coup elle en fait encore moins. Je désespère ».
Cette plainte, bien des profs l’entendent quand ils reçoivent des parents au cours de l’année. Dans ce cas précis, ce qui est intéressant c’est que la maman est enseignante et qu’elle s’exprime sur une liste de discussion d’enseignants. Certes le cas est relativement rare : statistiquement les enfants d’enseignants réussissent mieux que d’autres leurs études. Mais cette rareté relative ajoute de la valeur à la question. Quels conseils les professeurs se donnent-ils entre eux pour faire face au risque d’échec scolaire ?
A sa requête, cette maman a reçu une dizaine de réponses. La première était la plus atypique : elle fustigeait Mai 68 et un laissez-aller parental responsable des difficultés de cette jeune fille. D’autres collègues ont pu indiquer des ouvrages. Mais quand ils sont face à ces difficultés scolaires, les enseignants font d’abord appel à leur expérience personnelle. « J’ai vécu une situation de non motivation ou démotivation identique avec mon fils ainé, il s’enfonçait même dans un état dépressif (je ne ferai pas référence à l’attitude de certains collègues profs efficaces avec les élèves motivés). Nous sommes passés par une psychothérapie, l’acceptation de la situation. Cela a abouti à la sortie du collège (synonyme de souffrance), l’entrée en Lycée Professionnel « section mécanique » puis a bifurqué vers la « maintenance des systèmes automatisés à commande numérique », CAP, BEP, Bac Pro, BTS. Là, il s’est épanoui, ouvert, le chemin a été plus long mais il a trouvé sa voie. Il est maintenant cadre chez un sous-traitant aéronautique » raconte un enseignant.
Encore plus personnel : « J’ai aussi connu des difficultés scolaires au collège, redoublement, lycée agricole, BT, puis BTS, puis coopération technique, maison familiale et école normale… chaotique mais plein de richesses, de rencontres et de découvertes qui m’aident encore maintenant… » témoigne un autre professeur. « J’éviterais à tout prix le redoublement qui ne sert à rien d’autre qu’à enfoncer encore un peu plus … C’est au moins ce que j’ai pu observer chez TOUS les anciens élèves qui ont redoublé en collège. (Il en va différemment des redoublements en lycée quand ils sont choisis pour un but précis) » ajoute un troisième dont la fille a connu un parcours chaotique avant de trouver sa voie. « Je voudrais te dire d’une part que ta fille n’est pas la seule à vivre ça et que vous n’êtes pas les seuls parents à passer par là et te dire encore que le soleil revient après la pluie, que le calme revient après l’orage, que la fureur du printemps revient après la torpeur de l’hiver et qu’au bout des tunnels de toute sorte la grande majorité des enfants/ados/adultes que j’ai connus finissent par se construire un monde à leur pointure, finissent par trouver chaussure à leur pied ».
Que tirer de ces réactions ? Que les enseignants sont bien placés pour connaître les limites et les défauts du système scolaire. Et qu’ils sont sans doute capables d’écouter les parents sur ce terrain.
Qu’ils sont aussi capables de percevoir la richesse des détours et des parcours qui alimentent une vie. Sans doute sont-ils nombreux à ne pas partager le culte de la performance qui enferme certains élèves et certains parents. Dans le meilleur cas, ils peuvent voir la personne dans l’élève à orienter.
Enfin cet échange montre que si les enseignants privilégient le e discours de la confiance dans ces situations difficiles où le tissu familial peut se rompre, ils sont aussi très désarmés. Alors que les conseils de classe et les décisions d’orientation se suivent, ces quelques échanges sont-ils inutiles ?
Orientation : le guide du Café
Etats-Unis : L’épidémie silencieuse
Sous ce nom, plusieurs associations américaines, comme la Fondation Bill Gates ou l’association des gouverneurs lancent une grande campagne de lutte contre le décrochage scolaire. Un mal qui ronge l’Amérique avec 1 million de décrocheurs annuels.
Un combat tout à fait intéressé. The Silent Epidemic (TSE) a calculé que les décrocheurs ont plus de chances de devenir pauvres et chômeurs et que leur venir en aide ferait économiser 45 milliards de dollars d’aide sociale. L’étude se situe donc dans la suite des rapports Tough Choice et Hitting Home qui attirent l’attention des citoyens sur la nécessité d’élever le nombre de diplômés du supérieur.
Mais comment faire ? TSE estime qu’il faut élever le niveau d’exigence à l’école et faire des cours moins ennuyeux et plus en phase avec le concret. Il demande à évaluer régulièrement les élèves pour diagnostiquer les jeunes à risque, élever l’âge de la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans et s’appuyer sur un réseau d’adultes et les parents.
http://www.silentepidemic.org/solutions/index.htm
Sur le Café : Hitting Home : les Etats-Unis veulent plus de diplômés
Décrochage : A qui la faute ?
« Compte tenu du nombre de changements que les jeunes adolescents subissent, en quoi le fait de quitter le primaire pour le secondaire peut-il avoir des répercussions sur l’accrochage scolaire ? » D. Poncelet, F. Crochelet et S. Bernard (ULG Liège) ont suivi 25 classes, 333 élèves pour essayer de répondre à cette question.
Ils mettent en valeur deux séries de variables qui concernent l’école et la famille. « Il est aujourd’hui démontré dans la littérature que l’investissement des parents dans la scolarité de leur enfant influence les performances scolaires de ce dernier. Les résultats que nous avons observés indiquent que les habiletés sociales dont le jeune fait preuve, ses méthodes de travail, le temps qu’il consacre au travail à domicile, les difficultés scolaires qu’il rencontre, les attitudes scolaires qu’il manifeste, et son niveau d’intégration dans son école, sont associés à l’importance que ses parents accordent à l’école et au suivi scolaire ». Pour l’école, la recherche met en évidence « les relations que l’élève entretient avec son enseignant, la connaissance et l’acceptation qu’il manifeste vis-à-vis du règlement, son implication dans les activités scolaires, le soutien qu’il reçoit de son enseignant ».
Aussi les chercheurs font-ils des recommandations. « Il semble que les élèves faibles (stables bas) soient davantage concernés que les élèves forts (stables hauts) par un type éducatif autoritaire au sein de leur famille. En ce qui concerne le style permissif, ce sont nos sujets-cibles qui semblent être le plus confrontés à ce genre d’éducation. Comme dans la littérature de recherche, il semble que ces deux styles – autoritaire et permissif – ne soient pas associés de façon positive à la réussite scolaire. Le fait pour les enfants de bénéficier d’un suivi scolaire fort et d’entendre dire au sein de leur environnement familial combien l’école est importante pour leur avenir semble être associé de façon extrêmement positive à la réussite scolaire ».
L’étude
Qui sont les décrocheurs : Entretien avec D. Glasman
Parce que tous les élèves ne décrochent pas pour les mêmes raisons, ne suivent pas les mêmes processus de déscolarisation, c’est difficile d’y répondre. Ce qu’on peut dire, mais c’est banal, c’est que pour la grande majorité des élèves décrocheurs, c’est une souffrance qui est en jeu. C’est un malaise social très profond, une souffrance psychologique, soit avant le décrochage soit au moment du décrochage, mais au fond, si certains élèves sont très contents d’en finir avec le poids de l’école et le poids du regard des enseignants avec les appréciations négatives, avec aussi le poids du regard de leurs camarades, ils ne se sentent pas bien, différents, incapables de suivre. Si le décrochage leur permet de rompre ce n’est pas forcément une meurtrissure. Dans certains discours ils remettent en cause l’institution scolaire en disqualifiant ceux qui les disqualifient. Ce n’est pas inintéressant, même si on ne sait pas comment faire, de dire que la grande majorité de ces élèves décrochent non pas forcément par paresse, qu’ils n’en veulent pas forcément au prof, mais qu’au fond ce sont des adolescents assez malheureux.
Dans un établissement : Entretien avec G. Longhi, proviseur
Quand, à 17 ans, on reste à la maison et qu’on regarde les autres aller au lycée, c’est le statut de jeune que l’on perd. Le désir d’école, chez ces adolescents, je l’ai constaté et je peux affirmer qu’il existe. Il peut être caché par la honte et la peur de décevoir. Les adolescents veulent être comme tout le monde, des élèves. Ils ne veulent pas décevoir leurs parents. La phobie apparaît comme une protection. C’est lié à la dépréciation de soi, à l’incapacité de répondre à l’attente des parents. Ca génère des troubles psychosomatiques : instabilité, insomnie, peur d’entrer au lycée. L’ado dit « j’accepte les critiques, mais je ne supporte plus les reproches ». C’est le va-et-vient entre nous et l’école qui va créer l’envie d’école.
Politique : Prévenir le décrochage
Danielle Zay : la prévention de l’exclusion scolaire et sociale des jeunes relève d’un partenariat entre les différents personnels en charge des jeunes « à risque » . Ceux-ci ont à apprendre à travailler ensemble et à s’associer dans des réseaux d’action qui ne s’adressent pas qu’aux jeunes, mais aussi à leur famille et à leur communauté d’appartenance.
Aider mon enfant en pratique
Des livres et des sites pour aider mon enfant.
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/r2006_gen51.aspx