« Le moment est historique. Jamais on n’a fermé toutes les écoles et les établissements scolaires en France », écrivions nous le 13 mars 2020. La veille, E Macron avait contredit son ministre de l’éducation en décrétant la fermeture complète des écoles et établissements scolaires pour le lundi 16 mars 2020. Une nouvelle période s’ouvrait. Nous n’en sommes toujours pas sortis. Nous vous invitons à revivre ces moments uniques dans l’histoire de l’Ecole comme le Café pédagogique les a vécu, d’heure en heure, de conférence de presse au ministère en enquêtes sur le terrain.
Dernière semaine avant fermeture
« Faut-il fermer toutes les écoles ? », demandions nous le 5 mars 2020. La réponse était dans une étude du Haut Conseil de la Santé Publique de 2012 qui fait toujours autorité avec les variants actuels. « Le ministre estime que « nous sommes préparés ». Il mise sur son propre « plan de continuité » qui s’appuie sur une plateforme du Cned, « Ma classe à la maison ». En supposant que la plateforme puisse fonctionner avec 12 millions de scolaires, l’existence d’une plateforme ne suffit pas à faire de l’enseignement à distance. La première urgence serait de la faire découvrir aux élèves et aux enseignants avant la fermeture », écrivons nous. « On devrait aussi dès maintenant évaluer les risques pour les enseignants… Or pas grand chose n’est fait pour limiter les risques dans les établissements. Certaines collectivités locales ont livré du savon et des lingettes. Mais il n’y a encore ni masques, ni les nettoyages nécessaires ».
Le lundi 9 mars, L’Expresso du Café pédagogique revient sur l’épidémie « révélateur des problèmes de l’école », comme le manque de sanitaires ou la faiblesse des relations avec les parents. Mardi 10 mars, Bruno Devauchelle voit dans l’épidémie « une opportunité pour le nuémrique » et pose la question de l’hybridation. Le 11, nous suivons des professeurs des écoles dans l’Oise, à Paris et dans le Morbihan où il y a déjà du flou dans les consignes.
Ministre désavoué, ordres et contrordres
Le jeudi 12 mars est une journée noire pour JM Blanquer. Le ministre affirme le matin que les écoles ne fermeront pas. Dans l’après midi le président de la République le contredit et la France devient le 27ème pays à confiner. « Depuis 48 heures, la tension montait dans les établissements. Les enseignants étaient bien conscients de la prolifération du virus et d’être en première ligne face au risque sanitaire. Ils ont vécu ces derniers jours la valse habituelle des ordres et contrordres, sauf que cette fois ci on jouait avec leur vie. Certaines instructions ont paru incompréhensibles… On a vu se multiplier les cas d’utilisation du droit de retrait », écrivons nous. Le 12 au soir, JM Blanquer improvise une conférence de presse au ministère. Ce n’est pas la dernière conférence de presse mais c’est la dernière où 30 journalistes entourent le ministre de très près alors que personne n’est masqué. JM Blanquer confirme la fermeture « jusqu’à nouvel ordre ». Le Café explique pourquoi il faut fermer et contredit le fameux « nous y sommes préparés de JM BLanquer ».
La suite nous donne raison. Le week-end des 14 et 15 mars voit les valses hésitations du ministre. Le 14 mars nouvelle conférence de presse, cette fois à bonne distance, où JM Blanquer annonce que « la moitié des professeurs (sera) en permanence dans les établissements en moyenne ». Da ns certains établissements tous les enseignants ont reçu consigne de se présenter le lundi 16 mars. Une circulaire du 13 mars autorise les réunions dans les établissements jusqu’à 100 personnes. « Lorsque les conditions le permettent ,les professeurs et les autres personnels peuvent réaliser tout ou partie de l’activité nécessaire depuis l’école ou l’établissement, sous réserve de respecter les consignes sanitaires de prévention », dit-elle. « C’est le chef d’établissement qui décide » , nous répond JM BLanquer. Le ministère compte sur le papier et invite les parents à venir chercher le travail à faire dans des dépots…
Le 15 mars, « JM Blanquer est-il encore ministre de l’éducation nationale« , demande le Café pédagogique. C’est qu’ne moins de 24 heures le ministre est à nouveau désavoué par le premier ministre. Le 14 au soir, E Philippe décrète qu’il faut privilégier le télétravail. Dans un document ministériel, le ministère s’incline le 15 mars au soir. « L’ensemble des personnels ne sont pas tenus de rejoindre systématiquement à partir du lundi 16 mars ». JM Blanquer a encore lâché le 15 au matin sur France Inter que « sur 70 enseignants peut-être 5 ou 6 seront présents ». En fait ce sera 0.
Comment les profs s’organisent
« Souvenirs inoubliables« , écrivons nous le 16 mars. « Du 12 au 15 mars, JM Blanquer a tenu des propos qu’il devait contredire dans les heures qui suivaient. Il s’exprimait comme s’il n’était plus tenu informé des décisions du gouvernement. Pire encore, en invitant les enseignants à aller dans leurs écoles et établissements alors que le premier ministre le déconseillait, il a donné l’impression de faire peu de cas de la santé des enseignants face à une épidémie d’une grande gravité. Vendredi, samedi et encore dimanche, les enseignants ont reçu des messages différents des recteurs et de leur hiérarchie immédiate. Ils ont vu la réticence qu’elle mettait à leur dire de ne pas venir dans les écoles et établissements alors que la gravité de la pandémie exige que l’on reste chez soi ».
Le 16 mars nous interrogeons plusieurs enseignants pour savoir « comment s’organisent les profs ». « On est en REP+, ce sera les parents qu’on voit tous les jours, qui sont très disponibles, très proches de l’école qui suivront leurs enfants. C’est une minorité, six ou sept dans notre classe de vingt-cinq. Pour les autres, je ne sais pas quoi faire… », nous dit Marianne , professeure des écoles en Rep+ à Stains (93). « Ce qui se passe est très grave, l’école, ce sera le dernier souci des parents je pense… Alors j’essaierai de garder le lien en leur demandant de continuer de réviser, en leur donnant un programme mais j’ai l’impression que ce qui se joue est dramatique », témoigne Mohamed, professeur de maths dans un collège de Sarcelles (95).
Le 17 mars est rebaptisée par le Café pédagogique « journée de l’erreur 403« . « En réalité nous n’étions pas prêts », comme le démontrent les pannes en cascade des outils recommandés par le ministère. « Il a suffi de quelques jours de crise pour que l’École lui échappe », écrivons nous. « Car elle lui échappe. L’École n’est plus dans l’École. Elle est dans Ma classe à la maison, un simple opérateur du ministère. Elle est dans des ENT qui appartiennent aux régions. Elle est aussi dans des plateformes privées. Si on en croit une mini enquête entamée par le Café pédagogique sur Twitter, la place de Ma classe à la maison serait même très minoritaire derrière des plateformes privées dans le premier degré et les ENT dans le second ».
Et nous suivons ce jour là une directrice d’école. « Quand les profs réinventent la profession« , titrons nous le 18 mars. « Sur les réseaux sociaux, l’entraide entre les enseignants se multiplie : partage de ressources en ligne, conseils d’emploi du temps à mettre en place… Beaucoup d’enseignants partagent leurs différentes productions.. Sur Facebook, ce sont aussi des collectifs d’enseignants qui s’échangent leurs supports numériques mais qui se soutiennent aussi moralement pour éviter l’isolement ». On est déjà entré dans une autre période.
Le 19 mars, « à quoi joue JM Blanquer« , demandons nous. Le ministre envoie une vidéo aux chefs d’établissement et aux directeurs disant que « Le pilotage de la réussite des élèves est de votre responsabilité ». Les 19 et 20 mars le Café pédagogique rencontre des professeurs de langues et d’histoire-géographie qui improvisent pour garder le lien et faire travailler leurs élèves. Commence une période qui va durer jusqu’au mois de mai. Et qui pourrait revenir…
François Jarraud