Des lycéens en liaison avec Thomas Pesquet
Comment des lycéens peuvent-ils s’impliquer dans un projet spatial ? En partenariat avec le CNES, les élèves de Christophe Miguet, enseignant de SVT au lycée Léon Blum du Creusot (71) suivent une expérience embarquée à bord de la station spatiale internationale. Leur objectif : étudier l’influence de l’impesanteur sur la morphogenèse des appareils racinaire et caulinaire. Les lycéens ont aussi mis en place des systèmes de rotation mécanique avec des Lego motorisés pour étudier le gravitropisme des végétaux. Quels sont les échanges entre élèves et astronautes ? L’enseignant retrace cet impressionnant projet pluridisciplinaire.
Comment est né ce projet extraordinaire ? Quelles sont les démarches nécessaires pour aboutir au partenariat avec le CNES ?
Le projet Cérès est né en février 2015, suite à un appel à candidature du CNES pour concevoir une expérience avec des élèves amenée à être réalisée dans l’ISS par l’astronaute Thomas Pesquet dans le cadre de la mission Proxima. Les 5 années précédentes avaient permis de conduire avec les élèves de seconde aéronautique du Lycée Léon Blum un projet expérimental de recherche scientifique centré sur le lancement d’un ballon sonde dans la haute atmosphère. Entre autres disciplines scientifiques, différentes démarches expérimentales en Sciences de la Vie et de la Terre avaient conduit ces élèves de seconde « Aéronautique » à appréhender les mécanismes et l’impact des mouvements atmosphériques sur le parcours d’un ballon sonde traversant les différentes couches atmosphériques, étudier les caractéristiques physiques et chimiques de ces strates atmosphériques et de construire des ballons chauffés à l’air, aptes à suivre un parcours ascensionnel en respectant la loi des gaz parfaits.
Après ces 5 années d’expérimentation en parallèle du lancement du ballon sonde, l’équipe pédagogique constituée d’enseignants de diverses disciplines scientifiques et littéraires était en recherche d’une nouvelle problématique débouchant sur une démarche scientifique expérimentale associée à l’aéronautique, l’atmosphère, l’espace. Un dossier de candidature comportant deux propositions a donc été constitué et envoyé au CNES pour participer à l’aventure exceptionnelle qui nous était proposée.
Fin février 2015, nous avons eu la surprise d’être sélectionnés avec 4 autres lycées par le CNES après validation de la problématique suivante : le gravitropisme représente une forme d’adaptation physiologique aux conditions variables du milieu. Cette adaptation est fondamentale pour les plantes qui sont des organismes fixés ne pouvant pas se déplacer. Le gravitropisme ne se manifeste par un mouvement apparent que lorsque la position de la plante est modifiée. En effet, sur la terre, la direction de la gravité est constante. Il n’en demeure pas moins que le port vertical des plantes, condition essentielle à leur développement sur la terre, est conditionné en continu par la perception de la gravité. Alors, comment les plantes se comportent-elles en impesanteur ? Quelle est l’influence de l’impesanteur sur la morphogenèse des appareils racinaire et caulinaire ?
Quelles questions vos élèves ont-ils posé à Thomas Pesquet ? Quelles sont les rencontres passées ou futures avec l’astronaute ?
En 2016, après un an et demi de recherche expérimentale autour du projet Cérès, l’équipe de 4 professeurs des disciplines scientifiques engagées dans cette aventure à candidaté pour organiser un contact radio avec Thomas Pesquet dans l’ISS via le réseau ARISS. Notre candidature ayant été retenue, nous avions pour projet de réaliser un contact direct depuis Le Creusot avec l’ISS grâce à la mise en place d’une antenne de réception sur les hauteurs de la ville mais c’est finalement une liaison par télébridge avec un relais aux Etats-Unis qui fut la solution que nous avons pu concrétiser.
Les élèves de seconde aéronautique de l’année 2015-2016 désormais en Première Scientifique pour la plupart et les nouveaux élèves de seconde aéronautique de l’année 2016-2017 ont alors formulé des questions pour cette liaison. Mais ils n’ont pas été les seuls : en effet, les élèves de trois écoles primaires du Creusot et de Montceau-Les-Mines, du collège Copernic de Saint-Vallier qui nous ont rejoints dans ce projet ont également posé des questions. Nous avons enfin invité le Lycée Charles De Gaulle de Dijon à participer à ce contact étant donné que nous suivons avec les élèves de cet établissement la même aventure depuis le début. Voici quelques questions parmi les 20 questions retenues par la direction d’ARISS France :
Maëlys : « on imagine la vie dans l’espace très différente de celle sur Terre, malgré les liaisons radios vous sentez-vous coupé de la réalité ? »
Léo « Quelle a été votre première impression en entrant dans l’ISS ? Comment le temps est-il défini dans l’ISS ? Quel fuseau horaire? Quel horaire pour les repas ? »
Sacha : Le 14 novembre dernier l’astrophysicien Stephen Hawking a déclaré: « Je ne pense pas que nous survivrons 1000 ans de plus si nous ne nous échappons pas de notre fragile planète » Il faut continuer à aller dans l’espace pour le futur de l’humanité ». Penser vous que notre génération peut être concernée par cela et va devoir développer des projets de colonisations ou autres?
Lucas « Pensez- vous qu’il soit possible de faire pousser dans l’espace des végétaux dont la plus grande partie est ici enfouie sous terre comme les carottes par exemple ? »
Clémence « Pensez-vous que votre génération d’astronautes ira sur Mars ? Espérez-vous y aller vous-même ? »
Anais « La lumière de l’éclairage artificiel de l’ISS a-t-elle des effets néfastes sur votre organisme ? »
Léna « J’ai toujours rêvé d’être astronaute. Quels conseils me donneriez-vous ? »
Quelques mots sur le clinostat élaboré par vos lycéens… Comment ce travail s’est mis en place ? Pour quels objectifs ?
Partant d’un travail de recherche expérimentale pluridisciplinaire étalé sur les trois niveaux du lycée, nous avons très vite envisagé de créer deux expériences au sol pour compléter l’expérience dans l’ISS.
Tout d’abord une expérience témoin fixe correspondant en tous points à celle qui serait conduite dans l’ISS par Thomas Pesquet. Ensuite, une expérience en rotation dans toutes les directions de l’espace selon le principe d’un clinostat sur deux axes pour annuler les effets de la gravité au sol et réaliser ainsi un modèle expérimental permettant d’obtenir des résultats comparables à ceux récoltés dans l’ISS par Thomas Pesquet.
Ces projets de recherche avec nos élèves ont permis de les impliquer dans une véritable démarche scientifique avec un niveau croissant de réflexion et de difficulté de conception de la seconde à la Terminale, mêlant les Sciences de la Vie et de la Terre, les Sciences Physiques et les Sciences de l’Ingénieur. Les secondes ont ainsi créé des systèmes de rotation mécanique et les élèves de Terminale dans le cadre de leur projet de recherche pour l’examen un système motorisé autonome original, le Tournicoton. Plus tard, les élèves de seconde ont reproduit ce Tournicoton avec un montage Lego motorisé avec une petite enceinte contenant 5 graines. Enfin, un Challenge a été lancé en enseignement des Méthodes et Pratiques Scientifiques en SVT pour améliorer ce montage Lego en permettant l’intégration de l’enceinte « officielle » à trois compartiments dans l’expérience rotative. C’est ainsi que Maxime, un élève de seconde aéronautique a créé un montage Lego complètement innovant assez extraordinaire.
En quoi cet « épisode spatial » au lycée était-il pluridisciplinaire ?
Professeur de SVT, j’ai proposé cette problématique de la germination en micropesanteur. Mes collègues de Science de l’Ingénieur et de Physique ont tout de suite adhéré à ce projet expérimental. Après leur avoir présenté les principes biologiques de la croissance et de la morphogenèse végétale, je leur ai proposé de concevoir avec leurs élèves un support de graine adapté et ce que l’on appellera plus tard le Tournicoton. Le support de graines créé par les collègues de Si avec leurs élèves au départ ne permettait pas une extraction des plantules et une hydratation des graines satisfaisantes. Avec ces mêmes élèves en SVT, nous avons donc recherché puis demandé des modifications aux supports de graines conçu par le robot numérique pour remédier à ces problèmes. L’expérimentation s’est ainsi poursuivie pendant plusieurs mois en croisant nos compétences, chaque discipline enrichissant systématiquement l’autre et valorisant notre projet devenus complexe et transdisciplinaire.
Quel est ce challenge proposé à vos élèves ? Pour quel résultat ?
Les résultats de cette démarche scientifique ont été multiples et motivants pour les élèves, essentiellement grâce au fait que nous n’avons jamais reproduit nos expériences à l’identique avec les groupes mais avons toujours fait en sorte qu’un groupe qui suivait l’autre dans une discipline prolongeait, approfondissait le travail engagé par ses camarades. Les premières expériences, bien que ne satisfaisant pas aux contraintes de l’ISS pour des raison de sécurité dans la Station ont donné de très bons résultats de croissance permettant de suivre la morphogenèse des appareils aériens et souterrains par transparence avec les graines sélectionnées dans des enceintes dont la symétrie ne donnait à priori aucune référence de haut et de bas dans le milieu, laissant ainsi la pesanteur décider des directions de croissance des racines et des tiges feuillées. Des résultats comparables ont été ensuite obtenus dans des enceintes sans eau libre circulante en remplaçant le plexiglas par le polycarbonate, mais en gardant nos graines de radis, de moutarde et de lentille. Enfin, des résultats surprenants avec les systèmes rotatifs ont permis de formuler des hypothèses sur la validité de ces derniers dans le cadre d’un modèle scientifique ayant pour objectif de reproduire la morphogenèse en micropesanteur. Nous aurons encore de nombreuses questions et hypothèses à tester avec les résultats que nous enverra Thomas depuis la Station Spatiale.
Comment vos lycéens vivent-ils le rayonnement médiatique de l’établissement ?
De mieux en mieux. Au début, un peu impressionnés par la présence des journalistes des journaux locaux puis par celle des équipes de France 3, les élèves se sont finalement bien familiarisé avec cette présence médiatique, apportant leur naturel dans les conversations engagées avec les diverses intervenants, à la faveur d’une maîtrise de mieux en mieux exprimée de la démarche de recherche menée dans ce projet au lycée.
Vous aviez déjà travaillé avec le CNES sur d’autres projets. Quelques mots sur ces initiatives…
Le projet « ballon sonde » était déjà un projet en collaboration avec le CNES. A travers leurs projets de communication à destination des jeunes, les Centres de recherche comme le CNES constituent une source évidente de motivation pour faire naître ou confirmer l’appétence des élèves vis-à-vis des problématiques scientifiques. La mise en place d’options ou filières liées aux domaines scientifiques dans les collèges et lycées permettent de créer des contacts constructifs et durables avec de tels centres de recherche dans le domaine des sciences de pointe.
Entretien par Julien Cabioch
Dans le Café : Des lycéens envoient des graines dans l’espace
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