Par Blandine Raoul-Réa
Pratiques culturelles à l’ère numérique et crise de la lecture ? Cette question posée à la Bibliothèque nationale de France le 28 janvier 2010 à plusieurs intervenants au cours de quatre tables rondes a permis de donner, par des croisements de spécialistes issus d’horizons divers, un éclairage intéressant sur la lecture à l’heure du numérique.
Crise de la lecture ?
Le fait de lire un livre est déjà la pratique culturelle la plus polymorphe qui soit donnée d’observer. Notons que si crise de la lecture il y a, c’est une crise de la lecture du livre et de la littérature. Tous autant que nous sommes lisons et lisons beaucoup de choses différentes sur des supports variés. Il n’y a donc pas à proprement parler de crise de la lecture, nous dit Olivier Donnat (Ministère de la Culture et de la communication), surtout en temps de loisirs (hors temps scolaire et temps de travail).Olivier Donnat, qui a coordonné l’étude sur les pratiques culturelles des Français, met en garde contre la tentation de regarder cette évolution de la lecture avec le prisme du numérique. En effet, dès les années 80 et 90, des changements culturels étaient perceptibles et ce donc avant Internet. Rassurant et sans aucune retenue, Jean-Yves Mollier (historien, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines), oriente les réponses sur les contrats de lecture. Le numérique, impose une fragmentation de la lecture : on lit des chapitres plus que des livres. On lit aujourd’hui beaucoup sur les téléphones et la convergence numérique entrainera aussi vraisemblablement des modes d’écritures différents. Il conviendrait d’inventer d’autres manières d’essayer de quantifier la lecture… sans parler de la difficulté de quantifier la qualité de la lecture. Non, il n’y a pas pour Jean-Yves Mollier de décadance, mais des mutations, mutations dues aux supports.
Il est capital que les enseignants prennent conscience de l’océan dans lequel les élèves évoluent.
Nous sommes à un noeud, au centre d’une rupture épistémologique qui nous rend incapable d’analyser les phénomènes en cours car nous ne disposons pas à l’heure actuelle des concepts qui vont avec. Claire Belisle (institut des sciences de l’homme, Lyon 2) entre dans la table ronde par le mot crise. Toute crise suppose perturbation, dérèglement. S’il y a crise de la lecture c’est qu’elle met en évidence des ruptures : ruptures dans les pratiques mais aussi ruptures intergénérationnelles, ruptures en chacun de nous sur nos pratiques de lecture. Il y a une diminution de la pratique de la lecture face à la concurrence des nouveaux médias qui n’est pas contrebalancée par la massification de l’enseigenement qui n’a pas entrainé un rapport accru à la lecture.
Mais de quelle lecture parle-t-on ?
Cette crise de la lecture -papier- est par exemple révélée par la crise de la presse. Mais de quelle lecture parle-t-on ? Il s’agit bien d’une crise qui caréactéise, nous l’avons dit plus haut, la lecture littéraire, celle qui a des valeurs d’humanisme et de construction de soi (construction identitaire). Cette construction de soi ne passe plus maintenant par la littérature commune. Elle passe dorénavant par la lecture des médias. Les jeunes utilisent la lecture comme un OUTIL pour accéder à l’INFORMATION. Lire devient, avec le développement du numérique, une COMPETENCE TECHNOLOGIQUE, c’est à dire une compétence pour COMMUNIQUER, pour S’INFORMER et pour GERER l’information… pour être en INTERACTIVITE avec le monde et ainsi résoudre des problèmes, acquérir des informations, se distraire… Lire est une ACTIVITE INSTRUMENTEE au service d’une interaction de plus en plus complexe avec des outils cognitifs nouveaux (traducteurs, dictionnaires, moteurs de recherche), basée sur une familiarité technologique.
Internet réalise l’utopie de mettre directement en rapport les contenus et les publics
La question de la médiation du contenu est évidemment cruciale avec l’arrivée d’Internet. Internet réalise l’utopie -au moins partiellement, potentiellement- de mettre directement en rapport les contenus et les publics. L’apparition d’Internet par son fonctionnement horizontal, remet en cause la légitimité de la plupart des médiateurs : le bibliothécaire, le professeur, le disquaire, le libraire… Olivier Donnat justifie cela par l’apparente neutralité des médiateurs tehcniques par exemple (mais google est-il neutre ?) qu’on pourrait imaginer remplacer les médiateurs humains ; par l’absence de médiateurs qualifiés (le web 2.0 ne permet pas d’identifier des niveaux de qualification).
Réinscrire la bibliothèque dans le local, dans le réel
Christophe Evans (sociologue, BPI Paris) essaie de reprendre cette question de la médiation à travers la profession de bibliothécaire. Quelles sont les réponses apportées par les bibliothécaires pour répondre à cette crise ? L’observation des pratiques montre un recul des inscrits en biblithèque municipale et notamment chez les jeunest. On peut aussi obsever une baisse du nombre de livres empruntés. En ce qui concerne l’observation des usages, la conclusion est la même que celles que nous pouvons observer dans les CDI : la bibliothèque est un espace de travail ; les collections ne sont pas touchées ou peu, pas d’utilisation du catalogue de la bibliothèque qu’on interrogera depuis son ordinateur personnel conencté via la wifi dans la bibliothèque-même.
« Les bibliothécaires travaillent dans les institutions culturelles dans un contexte de désinstitutionalisation (de la famille, de la culture…) et donc s’adressent à des personnes qui refusent la prescription verticale de la bibliothèque dont le rôle est de trier… Il faut donc que le bibliothécaire trouve des moyens de médiation indirects. Pour cela il faut trouver comment désinstitutionnaliser les bibliothèques, les débureaucratiser. Il faut déscolariser l’image de la bibliothèque. » L’idée qui émerge de cette partie de la table ronde est qu’il faut réinscrire la bibliothèque dans le local, dans le quotidien, le réel. Les bibliothèques ont un rôle à jouer en tant que lieu réel : lieu de sociabilité littéraire, culturelle… ce qui permet d’être moins en concurrence avec internet. Elles ne doivent plus donner l’image d’être de simple stocks de livres bien rangés, classés. C’est la question de la médiation : faire des vitrines, proposer des sélections, mettre en avant, entrer dans un cadre de relation.
Remettre du plaisir, de la passion
Gérard Collard, libraire, note que les mots plaisir, désir, sensualité… sont des mots absents de cette journée. « Un livre ça existe je l’ai aimé : passeur de passion et créateur de désir voilà la mission du libraire ». Ce que je demande à un libraire c’est d’être honnête, vivant… Vous prenez un livre qui se vend bien et vous le mettez au programme : il ne se vend plus… L’école est tueuse de livre. Le problème n’est pas Molière : avant Internet Molière était vieux pour nous aussi ; le problème est la médiation entre le jeune et Molière.
Sur le blog de la Bnf