Il faut bien avouer que la plupart des enseignants de Langues Anciennes ont vécu la nouvelle de la fusion des capes de lettres modernes et de lettres classiques, le 27 avril, comme un nouveau coup porté à cet enseignement des langues anciennes si cher à leur coeur. Même si le problème du recrutement des enseignants de langues anciennes était connu de tous (le Capes de Lettres Classiques n’est d’ailleurs pas le seul dans ce cas, ce qui soulève la question plus large de la perte d’attrait du métier d’enseignant) et qu’il fallait bien s’attendre à voir un jour ce concours modifié, force est de constater que cette nouvelle maquette du Capes de Lettres est aberrante et délibérément attentatoire à la pérennité de l’enseignement du Latin et du Grec en France.
On remarquera également le choix judicieux de la date de cette publication discrète, en plein milieu des vacances scolaires des 3 zones et en cette période de fin d’année surchargée pour les enseignants.
On peut enfin s’interroger sur le rôle et la réelle utilité pour la défense des enseignements littéraires, des audiences auprès du cabinet du Ministre des associations de professeurs de lettres, pourtant reçues par le conseiller technique du Ministre jusqu’au 15 avril.
Seul le concours distinct du Capes de lettres classiques disparaît mais pas les Lettres Classiques heureusement, même si le Grec ancien semble bien faire les frais de cette refondation.
On recrutera donc toujours des professeurs de Langues Anciennes, mais qui seront avant tout des professeurs de lettres à option « Lettres Classiques » (on notera au passage que le ministère a préféré le terme d’option à celui de mention qui eût été plus consensuel).
On en recrutera à condition cependant que les candidats choisissent cette option « lettres classiques ». Or si l’on consulte la maquette du nouveau Capes de lettres (cf. tableau synthétique ci-joint), on s’aperçoit très vite que les Lettres Classiques, au lieu d’être mises sur le même plan que les Lettres Modernes ont été complètement enfermées dans leur matière. En effet, tandis que le candidat « Lettres Modernes » aura le choix pour son épreuve orale d’admission entre 4 matières toutes indispensables au professeur de Lettres (latin pour Lettres Modernes, Français Langue Etrangère, littérature et langue françaises, cinéma ou théâtre), le candidat estampillé « Lettres Classiques » n’en aura aucun et devra obligatoirement passer son épreuve orale d’analyse d’une situation professionnelle dans sa discipline des Langues et Cultures de l’Antiquité. Demandons-nous également quel type de professeurs de lettres vont préférer les chefs d’établissement : un professeur de langues anciennes sans autre spécialité, ou un professeur de lettres qui pourra se charger d’un groupe FLE, d’une option cinéma ou théâtre, ou qui aura quelques connaissances en latin avec son option « latin pour lettres modernes ».
Cette situation est un véritable camouflet de la part du Ministère, d’autant plus après la belle réussite en 2012 de la rencontre Langues Anciennes – Mondes modernes (organisée de main de maître par le groupe de Lettres de l’IG au Lycée Louis le Grand) et du Prix Jacqueline de Romilly (108 projets déposés tout de même pour sa première édition) qui ont prouvé à tous, si besoin était, la modernité pédagogique, la capacité d’innovation et l’ouverture pluridisciplinaire des langues et cultures de l’Antiquité.
Hasard des calendriers ou non, on remarquera que cette réorganisation du Capes de lettres des plus conservatrices (les lettres ne sont d’ailleurs pas les seules concernées), intervient de surcroît seulement quelques jours après la publication de deux documents qui étaient venus ensoleiller – un court instant seulement – le paysage des lettres classiques : le rapport sur les « Humanités au centre de l’excellence scolaire et professionnelle » remis par le Centre d’Analyse Stratégique au Premier Ministre, et le nouveau texte d’orientation pour l’enseignement des LCA, rédigé par l’IGEN Catherine Klein et ouvrant des perspectives qui ne pouvaient que réjouir les enseignants de langues anciennes.
Quoi qu’on puisse en dire, cette optionnalisation et cet enfermement des Lettres Classiques sur elles-mêmes, à l’heure où les missions du professeur de lettres sont de plus en plus nombreuses et techniques, ne facilitera pas, bien au contraire, le recrutement déjà problématique des enseignants de langues anciennes. Même les Inspecteurs commencent à s’en émouvoir : si l’on ne souhaite pas voir les langues anciennes disparaître dans un avenir très proche, il est temps de réagir et de réagir vite. Certes cette nouvelle maquette a été publiée au journal officiel, mais nous ne pouvons rester les bras croisés en nous contentant d’un alea jacta est. Il serait d’ailleurs assez contre-productif de se morfondre dans le pessimisme et de jouer les pleureuses grecques, ce qui a tendance à chaque fois à nous faire passer pour des enseignants corporatistes et réactionnaires, ce que nous ne sommes pas.
Cette mobilisation doit être non pas seulement celle des associations de professeurs, mais celle de toutes celles et ceux qui pensent que l’étude des langues et cultures de l’Antiquité font encore sens aujourd’hui et nous permettent de mieux comprendre et de mieux vivre dans le monde moderne : enseignants de toutes matières et de tous niveaux, élèves, parents d’élèves, associations patrimoniales ou simples amateurs passionnés d’Antiquité.
Mais comment agir me direz-vous, avant que les congés estivaux ne viennent étouffer en chacun de nous toute vélléité de révolte ? En ce qui me concerne, je vois trois moyens d’action.
Tour d’abord, il va sans dire que, vu le faible nombre de professeurs de lettres classiques, nous ne pourrons faire l’économie du déballage médiatique. Chacun de nous doit alerter ses élus locaux (maires, députés, sénateurs, …) les médias écrits, radio et télévisés locaux, régionaux et nationaux. Nous ne devons pas oublier non plus Internet et les réseaux sociaux. Presque tous les médias et toutes les personnalités politiques ont leur compte Twitter ou Facebook ; les réseaux sociaux permettant de diffuser l’information au grand public de façon beaucoup plus large et rapide que les médias traditionnels. Tous ceux qui le souhaitent peuvent également laisser, sur le blog « (non)morituritesalutant ! », un témoignage personnel sur la nécessité de continuer à enseigner aux nouvelles générations les langues et cultures de l’Antiquité : http://nonmorituritesalutant.tumblr.com
Ensuite, les enseignants de langues anciennes doivent, dans ces quelques semaines qui nous séparent du mois de juin et et des chaînes d’inscription dans les établissements, redoubler d’effort pour le recrutement des latinistes et des hellénistes. De nombreuses formules ont déjà prouvé leur efficacité : journée antiquité dans l’établissement, séance de présentation de l’option LCA d’une ou deux heures dans les classes de sixièmes (accompagné ou non d’élèves latinistes qui font du tutorat), suggestion du choix de l’option sur le bulletin trimestriel des élèves, campagne d’affichage pour la promotion de l’option (affiches réalisées par les élèves qui peuvent donner lieu à un concours, ou récupérées sur le site de la Cnarela ou Latine Loquere), présentation attractive lors des journées portes ouvertes, visite dans les classes de troisièmes d’élèves du lycée ayant poursuivi l’option…
Il faut absolument mettre l’accent sur cette liaison collège-lycée qui est – encore plus depuis la dernière réforme du lycée – notre maillon faible : des effectifs de latinistes et d’hellénistes dépend en grande partie le nombre d’étudiant en lettres classiques susceptibles de passer un jour le concours de recrutement.
Dans les établissements où cette pratique a encore cours, il faut trouver tous les moyens possibles pour faire cesser la pré-sélection, par le conseil de classe ou le chef d’établissement, des élèves souhaitant suivre l’option. Non seulement ce tri arbitraire colle sur notre matière une étiquette d’élitisme mensongère, mais elle enlève en plus aux élèves la première possibilité de choix autonome dans leur scolarité.
Enfin, cette situation ne doit pas faire oublier l’essentiel : la qualité et le renouvellement de nos enseignements. De nouvelles pistes qui montrent l’utilité des langues anciennes en mettant l’accent sur leur modernité ont été proposées à l’occasion du colloque Langues Anciennes – Mondes modernes : intercompréhension entre les langues, LCA et français-lettres, méthode audio-orale d’enseignement des langues anciennes, LCA et espace méditerrannéen…
Nous devons non seulement nous emparer de ces thèmes de travail pour les intégrer à nos cours mais également passer progressivement à de nouvelles façon de travailler : LCA et interdisciplinarité, LCA et enseignement par compétences, LCA, TICE et validation du B2i, LCA et Histoire des Arts, LCA et travail en semi-présentiel… (cf. la rubrique « Enseigner les LCA » de Latine Loquere : http://www.ac-grenoble.fr/lycee/diois/Latin/spip.php?rubrique389)
Tous ces changements nécessitent évidemment des efforts d’adaptation importants qui rendent indispensable la mutualisation de nos travaux. Celle-ci nous permettra de gagner du temps, d’échanger autour de nos expériences, de diffuser les « bonnes » pratiques, et également de donner de la visibilité à nos enseignements auprès du grand public.
Il faut rappeler que les sites disciplinaires académiques sont souvent très demandeurs de travaux d’enseignants à mettre en ligne. Autre possibilité, le site Latine Loquere créé en 2006 justement à cet effet : mutualiser les travaux des collègues de langues anciennes et leur permettre, par le biais d’un forum de discussion disponible en bas de chaque article, d’échanger autour de leurs pratiques de classe. Deux possibilités s’offrent à vous pour diffuser vos travaux en ligne : envoyer simplement vos documents par courriel au webmestre du site (robert.delord@orange.fr) ou demander un identifiant et un mot de passe pour obtenir des droits de rédaction sur le site (vous accédez à une interface de création d’article simple qui vous permet de proposer et rédiger vous-même vos contenus).
Si le nombre d’abonnés à la liste des nouveautés du site est très important (plus de 1500), le nombre de contributeurs reste malheureusement relativement faible. Or, nous avons tous dans nos tiroirs une ou deux activités que nous avons réalisées nous-mêmes, qui ont bien fonctionné en classe et dont nous pourrions faire profiter d’autres collègues. Nous devons aujourd’hui dépasser cette pudeur intellectuelle pour montrer le dynamisme de l’enseignement de lettres classiques.
Ajoutons qu’il faudrait également songer à mettre en place ensemble un mouvement autour de la question plus générale des humanités qui concerne l’enseignement supérieur autant que l’enseignement scolaire en essayant d’y associer des personnalités d’horizons divers et, si possible, des institutions comme l’Académie Française, la Commission Européenne, etc.
Mais pour l’heure le temps est venu de se mobiliser tous, enseignants, élèves, parents d’élèves, citoyens pour demander la modification de cette nouvelle maquette du Capes de Lettres et pouvoir ainsi espérer sauvegarder l’enseignement du Latin et du Grec en France.
Aussi, nous vous proposons de signer une pétition en ligne dont nous reproduisons le texte et les revendications ci-dessous.
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Pétition : « Sauvegardez l’enseignement du Latin et du Grec en France »
M. le Président de la République – M. le Premier Ministre – M. le Ministre de l’Éducation Nationale
Sauvegardez l’enseignement des Langues Anciennes en France !
NON à un Capes de Lettres Classiques en trompe-l’oeil !
NON au refus du Ministre de promouvoir le Latin et le Grec au lycée comme une discipline d’ouverture utile à la formation d’un élève du XXIème siècle !
NON à l’injustice sociale profonde que constituerait la disparition de l’enseignement du Latin et du Grec faute de professeurs de Lettres Classiques !
NON à la privatisation de l’enseignement du Latin et du Grec !
Alors que les effectifs d’élèves étudiant le Latin et/ou le Grec dans le secondaire en France se maintiennent autour de 550.000 (2ème langue enseignée au collège après l’anglais), le concours de recrutement de professeurs de Lettres Classiques connaît depuis plusieurs années une véritable pénurie ne permettant ni de compenser le nombre de départ en retraite, ni d’assurer les remplacements nécessaires. Pour cette année 2012-2013, par exemple, les 108 candidats admissibles au Capes de Lettres Classiques ne suffiront pas à pourvoir les 200 postes offerts au concours
Malgré cette situation déjà problématique, les modifications apportées aux épreuves du concours du Capes de Lettres Classiques par les arrêtes publiés au Journal Officiel du 27 avril 2013 compliquent encore les choses.
http://www.education.gouv.fr/cid67058/epreuves-session-des[…]
Dans cette nouvelle maquette des concours le Capes de Lettres Modernes et celui de Lettres Classiques sont fusionnés en un unique Capes de lettres à option « lettres modernes » ou « lettres classiques ».
Mais, les Lettres Classiques, au lieu d’être mises sur le même plan que les Lettres Modernes, ont été complètement enfermées dans leur discipline. En effet, tandis que le candidat « Lettres Modernes » aura le choix pour son épreuve orale d’admission entre 4 matières toutes indispensables au professeur de Lettres (latin pour Lettres Modernes, Français Langue Etrangère, littérature et langue françaises, cinéma ou théâtre), le candidat « Lettres Classiques » n’en aura aucun et devra obligatoirement passer son épreuve orale d’analyse d’une situation professionnelle dans sa discipline des Langues et Cultures de l’Antiquité.
Ces modifications, loin d’élargir le vivier du Capes de Lettres Classiques, vont encore réduire le nombre des candidats déjà insuffisant, et menacent à court terme l’enseignement du latin et du grec dans le secondaire.
Aussi, nous vous demandons de prendre, dès la prochaine session du Capes de Lettres, les mesures nécessaires pour sauvegarder l’enseignement du latin et du grec en France. En effet, chaque élève doit bénéficier de ces enseignements dans des conditions d’apprentissage convenables, au nom de l’égalité républicaine et de l’égalité du territoire.
Nos revendications :
Au concours de recrutement des professeurs de Lettres :
– permettre aux candidats à option « lettres classiques » de valoriser les mêmes compétences que les candidats à option « lettres modernes » à la fois pour assurer l’attractivité du Capes Lettres option « lettres classiques », mais aussi pour ne pas créer d’inégalités de traitement entre candidats passant un même Capes de Lettres.
– assortir le Capes de Lettres option « lettres classiques » d’un nombre de postes publié qui incite les candidats à choisir l’option « lettres classiques » et permette d’assurer la pérennisation et le développement des sections existantes dans le secondaire.
Dans les établissements :
– assurer la présence d’au moins un professeur capable d’enseigner le latin et le grec dans chaque collège et chaque lycée de toutes les académies.
– permettre aux élèves de seconde de poursuivre sans encombre au lycée l’option commencée au collège, en permettant par exemple de déroger à l’obligation de choisir un enseignement d’exploration en économie, ou en autorisant un cumul d’options
– que la DGESCO (Direction Générale de l’Enseignement Scolaire une circulaire) adresse à tous les Recteurs d’Académie, DASEN (Directeurs Académiques des Services de l’Education Nationale) et chefs d’établissements une circulaire qui donne une pleine légitimité à l’enseignement du Latin et du Grec et permette leur enseignement dans des conditions raisonnables et acceptables (horaires et moyens en particulier).
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Vous pouvez signer la pétition sur le site Change.org :
http://www.change.org/fr/pétitions/m-le-président-de-la-répub[…]
Pour diffuser le plus largement possible l’information et la pétition auprès de vos collègues, élèves, parents d’élèves, connaissances, élus locaux…, vous pouvez télécharger sur Latine Loquere affiche et prospectus à déposer ou distribuer (ou faire distribuer par les élèves) dans les établissements, lieux publics, magasins…
Télécharger les documents :
http://www.ac-grenoble.fr/lycee/diois/Latin/spip.php?article7351
Macte animo !
Page Eduscol de la rencontre « Langues Anciennes – Mondes modernes »
http://eduscol.education.fr/cid58407/rencontres-langues-anciennes[…]
Page Eduscol du Prix Jacqueline de Romilly :
http://eduscol.education.fr/cid58430/prix-jacqueline-de-romilly.html
Rapport du CAS : « les humanités au coeur de l’excellence scolaire et professionnelle » :
http://www.ac-grenoble.fr/lycee/diois/Latin/spip.php?article7319
Nouveau texte d’orientation de l’IGEN :
http://www.ac-grenoble.fr/lycee/diois/Latin/spip.php?article7303
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Latine Loquere :
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Campagne d’affichage pour la promotion des langues anciennes :
http://www.ac-grenoble.fr/lycee/diois/Latin/spip.php?article1588
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