Classes de niveau : Pourquoi ça dure ?
Pratique très répandue dans les lycées et fréquente au collège, la constitution de classes de niveau fait l’objet de débats récurrents. Anna Mazenod, dans un article de la Revue française de pédagogie (n°212), rend compte d’une étude anglaise qui éclaire sur les effets des classes de niveau. « La constitution de classes de niveau, qu’elle soit réalisée par des moyens directs ou indirects, a des effets potentiellement négatifs sur les résultats académiques et la confiance en soi des élèves, en fonction de leur placement dans les différents groupes de niveau ». Il reste alors à se demander pourquoi cette mauvaise pratique se maintient.
Une nouvelle étude anglaise
Les classes de niveau ont fait l’objet de nombreuses études en France, comme, récemment, celles B Boutchenik et S Maillard, de S T Ly, E Maurin et A Riegbert, ou le colloque du Cnesco en 2015. L’étude d’Anna Mazenod se base sur une enquête anglaise(Best Practice in Grouping Students) menée par l’Institute of Education de l’University College de Londres. L’enquête a porté sur 13 000 élèves et 600 enseignants au niveau collège. La constitution de classes de niveau est favorisée en Grande Bretagne par l’existence de tests nationaux qui peuvent servir pour constituer les classes, même si dans la réalité l’enquête montre que les stéréotypes raciaux et de genre pèsent aussi sur la constitution des classes. Selon les établissements, les classes de niveau sont constituées par « setting », c’est à dire en regroupant les élèves différemment selon les disciplines, ou par « streaming » c’est à dire en constituant les classes selon le niveau en maths et anglais.
Homogénéité sociale et ethnique
Les résultats de l’enquête c’est que les classes de niveau sont en réalité plus homogènes socialement. « Dans les classes de niveau plus faible, les élèves issus de milieux défavorisés étaient surreprésentés. Les élèves issus de la classe ouvrière et ceux ayant droit à des repas gratuits à l’école – indicateur des élèves issus des milieux défavorisés – avaient statistiquement plus de chances de faire partie des classes de niveau moyen et plus faible… La constitution de classes de niveau semble aussi renforcer les inégalités scolaires entre les sexes et selon l’origine ethnique. Une proportion statistiquement plus élevée de garçons a été placée dans les groupes de niveau plus faible en anglais (60 % de garçons contre 40 % de filles) et plus de garçons ont été placés dans les groupes de niveau plus élevé en mathématiques (56 % de garçons contre 44 % de filles). Les élèves blancs étaient davantage susceptibles d’être placés dans les groupes de niveau plus élevé en anglais (81 %) et en mathématiques (77 %) ».
Des effets en boule de neige
L’étude montre un lien fort entre l’existence de classes de niveau et la qualité de l’estime de soi. Etre dans une classe de niveau faible a un effet négatif sur l’estime de soi. Mais l’étude montre aussi un autre effet intéressant : « la prophétie boule de neige ». « La constitution de classes de niveau désavantage doublement les élèves qui ont le plus besoin de soutien . Ces pratiques ont des effets importants sur la confiance en soi des élèves… Les effets cumulatifs sur la confiance en soi des élèves (attentes des enseignants, différences dans l’enseignement et l’apprentissage et interactions entre élèves) peuvent au fil du temps augmenter les risques, pour les élèves des classes de niveau plus faible ».
Les classes de niveau en France
En France, l’étude de S T Ly et A Riegbert réalisée pour la région Ile de FRance avait montré qu’une majorité de lycées constituait des classes de niveau. Pour cela les établissements utilisaient les options comme l’Allemand LV1 ou les langues anciennes. ON comptait 51% de privilégiés dans les classes de latin et 54% en allemand (2014). Une autre étude, élargie nationalement, par ces deux auteurs, estimait que « la constitution des classes contribue essentiellement à la ségrégation scolaire ». En 2020, l’étude de B Boutchenik et S Maillard (Education & formations n°100) montre qu’une majorité de lycées pratique les classes de niveau. Selon elle, » les classes de niveau ont un effet négatif et particulièrement pour les élèves qui y sont le plus souvent affectés, c’est à dire les plus forts scolairement. » L’effet sur la réussite d’appartenir à une classe comptant une proportion importante d’élèves de niveau élevé (types 6, 7 et 8) dépend du niveau scolaire initial de l’élève. Si l’appartenance à une classe de ce type est bénéfique pour les élèves des trois premiers quartiles, elle est en revanche défavorable aux meilleurs élèves, relativement à une classe équi-répartie. L’effet pour les élèves du dernier quartile est d’autant plus négatif que la proportion d’élèves de leur propre type augmente, et que les pairs les plus faibles deviennent rares… Appartenir à une classe contenant une forte proportion de bons élèves n’apparaît pas avoir d’effets bénéfiques pour tous les élèves, et l’effet en serait même pénalisant pour les élèves les plus performants initialement. Ce résultat, qui peut traduire un effet négatif de l’exposition à la compétition, est important en ce qui concerne les choix scolaires effectués par les familles ».
Pourquoi ça dure ?
Reste à savoir pourquoi cette pratique continue ? L’étude anglaise apporte des éclairages intéressants. « Les pratiques de classes de niveau sont souvent légitimées par l’idée que la constitution de classes plus homogènes se fondant sur l’aptitude des élèves est censée permettre un enseignement mieux ciblé et plus efficace », ce qui , on vient de le voir s’avère faux. En fait cette pratqiue répond à plusieurs demandes convergentes.
Il y a celle des parents, qui cherchent l’entre soi social en l’habillant de motifs scolaires. Il y a aussi une demande enseignante. Pour certains enseignants « un bon enseignement, surtout en mathématiques, est inimaginable dans des classes hétérogènes, et ce, parce que la grande majorité des enseignants interviewés n’a jamais enseigné les mathématiques dans des classes hétérogènes », relève l’étude anglais. « S’y ajoutent les effets de pressions politiques qui ont contribué à une forte compétition entre les écoles publiques. Prendre le risque de constituer des classes autrement devient alors une décision encore plus difficile. Dans la compétition entre les écoles pour attirer les élèves, les écoles subissent la pression consistant à ne pas décevoir les parents appartenant à la classe moyenne, persuadés des bienfaits des classes de niveau ».
Derrière l’existence des classes de niveau, on a tout un système qui engage les différents acteurs du système éducatif à des échelles différentes. Les chercheurs ont beau aligner leurs démonstrations, briser le système suppose une rupture politique qui semble encore fort éloignée.
François Jarraud
Anna Mazenod , Classes de niveau : variations internationales dans les regroupements d’élèves et la constitution de classes au collège, Revue française de pédagogie n°212