C’est un très utile ouvrage que publieMichel Fayol, dans la collection « Que-Sais-Je ? », aux PUF, consacré àun chantier qui a structuré une partie de sa vie de chercheur :l’acquisition du nombre.
Observer, ou déduire ? A traversces deux verbes pourrait se trouver résumé une des difficultésrencontrée par un enfant, puis un élève, dans l’acquisition du nombre.Difficultés inhérentes à tout apprentissage, précise l’auteur, mais quilorsqu’elles persistent peuvent se transformer en véritables phobies…
Au cours de l’histoire de la psychologie, nombre de chercheurs ontfocalisé leurs travaux sur la manière dont l’enfant accède au nombre,et les conceptions piagétiennes sur les différents stades dedéveloppement sont encore largement présentes dans le débat et dans lesconceptions sur l’enseignement. Mais, explique Michel Fayol, l’apport des neuro-sciences et des techniques d’imageries ont largementdiffusé des conceptions plus cognitives, dans lesquelles différentestâches spécialisées sont prises en charge par différents substratscérébraux.
Lechangement de code, clé du succès…
Pourreprésenter des quantités, plusieurs codes peuvent être utilisés parles hommes, construits au fur et à mesure de leur histoire :
– on peut représenter les quantités par des traits,des points, des constellations, des encoches, des doigts… Cesreprésentations analogiques, àl’origine la plus précoce, peuvent comporter des raffinements, commel’utilisation du boulier, qui permettent de contourner les limitesl’espace disponible, forcément réduit quand les quantités augmentent.
– les mots pour parler des quantités sont déjà uncode symbolique : rien, dansle mot « deux » ou « vingt », ne permet en soi deconnaitre la quantité dont on parle, si ce n’est la place que les deuxmots occupent dans la comptine numérique, ou la compréhension de ce queces mots représentent dans le système de numération utilisé. Ce code verbal est aussi associé, danschaque langue (orale et écrite) avec le code indo-arabe utilisé pour dessinerles « chiffres ». Selon les langues, ces deux codes sont plus oumoins transparents, obligeant parfois à de difficiles gymnastiques pourpasser de l’un à l’autre : un petit français aura du mal à comprendreque 20 se dit « vingt » ne se dit pas « deux-dix » comme en chinois, oumême que 90 ne se dit pas « nonante-dix ».
PourM. Fayol, les problèmes de « transcodages » (passage d’un code àl’autre, du verbal à l’analogique ou aux chiffres arabes) posent desproblèmes redoutables, lorsqu’il faut jongler entre la compréhensiondes régularités de la numération décimale et les irrégularités dusystème verbal, par exemple pour encoder en chiffres arabes « trois mille quatre cent quatre vingt neuf».
L’enseignementde ces correspondances, lent et difficile pour le jeune enfant, est unedes clés de la réussite.
Pour apprendre à compter, on va donc recourir à des « techniques », des« procédures », des entrainements qui, s’ils vont développerprogressivement des habiletés, ne vont pas forcément permettre à tousles enfants d’accéder aux différentes conceptualisations nécessaires,de plus en plus indispensables au fur et à mesure que les traitements,opérations, problèmes vont se complexifier, requérant à la fois unebonne automatisation (permettant de libérer la mémoire de travail) etdes choix stratégiques pour réussir à choisir entre toutes les «opérations » possibles.
Ducomptage aux opérations
Lechapitre sur l’acquisition du « comptage » intéressera évidemment lesenseignants de maternelle, mais donnera aussi aux autres quelques clésessentielles. La quantification,et donc la comparaison de deux quantités plus ou mois proches, sembleêtre relativement « primitive », évidemment d’autant plus que lesnombres sont petits. Le subitizingpermet d’accéder à la quantité exacte des petites collections sansdénombrer, sans doute grâce aux ressources de la mémoire detravail. Mais pour arriver à compter des collections de points, il fautacquérir progressivement plusieurs principes sans lesquels les erreursrisquent d’être persistantes : ne pas oublier de mots-nombres dans lasuite, ne pas se perdre dans le pointage terme-à-terme, savoir qu’onpeut compter tous les points dans un ordre différents sans impacter lerésultat, et surtout faire le lien entre le dernier « mot-nombre »énoncé et le cardinal de la collection : dans une série de douze, lemot « douze » est à la fois le mot-étiquette du dernier compté et celuide la collection ! Autant de compétences dont l’acquisition va resterflottante au cours des premières années du développement.
La maitrise progressive desdifférentes opérations amène l’enfant à faire un passupplémentaire dans la symbolisation, avec la manipulation de signescomme =, < ou >, mais aussi la découverte progressive que mêmesans manipuler des voitures, des figures ou des gommettes, on peuttrouver la quantité qui sera présente si on ajoute, supprime, multiplieou partage une collection…
Cettecapacité d’abstraction, de conceptualisationest-elle préalable pour réussir, ou va-t-elle se construireprogressivement en multipliant les entrainements procéduraux ? M. Fayol pense quetous les cas de figures peuvent exister, mais précise que la maitriseprocédurale ne garantit pas l’indispensable accès à laconceptualisation, d’autant plus que «leur efficacité a pour contrepartie leur rigidité » (p. 91).Sans surprise pour les praticiens chevronnés, les recherches confirmentque les difficultés avec la multiplication viennent souvent de ladifficulté à « récupérer »les résultats en mémoire, d’autant plus que les nombres sont communs àplusieurs « tables » (24, 36…). Quant à la division, elle ne reste quetrès partiellement automatisée, jusqu’à l’âge adulte.
Anoter, au titre des étonnements du lecteur, que M. Fayol ne traitepratiquement pas des difficultés rencontrées par les élèves dans laconstruction/compréhension de la numération décimale (construction historiqueet culturelle des savoirs par l’humanité), tâche éminemment scolairepuisque forcément « enseignée ». En effet, les maitres savent qu’unecompréhension insuffisante, au cycle II, des règles de la numérationdécimale (écriture de droite à gauche, valeur des rangées, usage duzéro…) peut laisser présager un enchainement de difficultés plustard, dans l’écriture des nombres, les procédures de calcul, lestranscodages, les fractions, les pourcentages…
Difficultésou troubles ? That’s the question…
Pourtant,M. Fayol s’intéresse explicitement aux « remédiations » à mettre enœuvre pour permettre aux élèves ayant des « difficultés » oudes « troubles» d’être soumis à des programmes d’apprentissages efficaces.
Alorsqu’il pointe le rapport positif entre les compétences en compréhensionou en langage et la maitrise de la conceptualisation du nombre, lechapitre « Difficultés et troubles» ne règle pas totalement la question qu’il pose : comment faire ladifférence entre les deux ? L’approche biologique destroubles, précisément décrite, ne concerne que peu des élèvesayant des performances faibles. Que penser de l’origine des difficultés(ou des troubles !) d’un élève à qui on dicte 103204 et qui écrit10032007, pour reprendre l’exemple donné à la page 109 ? Dyscalculie ?Habiletés visuo-spatiales déficientes ? Troubles du « sens du nombre »? L’ouvrage de Michel Fayol, s’il apporte une contribution décisive àla connaissance accumulée par la recherche (notamment anglo-saxonne)dans les cinquante dernières années, ne règle pas le besoin decontinuer à creuser la recherche, à la fois en confrontant les pointsde vue et en l’articulant avec les pratiques enseignantes. Si l’auteurjuge efficace, par exemple, de faire travailler les enfants sur unemeilleur maitrise de la « ligne numérique » (placer approximativement34 sur une ligne où sont marqués 0, 50 et 100) pour développer leurcompréhension arithmétique (et notamment les enfants de milieupopulaire), « il est vrai »,précise-t-il, que du « diagnostic àl’intervention », le chemin est long et « qu’un énorme travail reste à réaliserpour élaborer des dispositifs utilisables par les enseignants »…
Uneinterventionrécente de Michel Fayol en académie
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