« Il faut aider les gens à penser, pas leur mettre l’entonnoir »
A l’initiative des inspecteurs, des profs et des instits qui travaillent à décortiquer l’histoire-géo, avec l’aide d’accompagnateurs. Pour quel profit ? Guillaume Lion, professeur d’histoire-géographe, un des membres du groupe, répond aux questions du Café. Avec un préalable : « surtout, écrivez bien que je ne fais que rapporter le travail du groupe… »
Dans votre académie, vous avez participé à un groupe de travail collaboratif d’un nouveau genre. Pouvez-vous nous le présenter ?En effet, pendant trois ans, à l’initiative d’un IA-IPR d’histoire-géographie et d’un IEN du 1er degré, un groupe a travaillé avec un cahier des charges qui était assez précis au départ : fabriquer des évaluations diagnostiques en histoire-géographie, pour enrichir le contenu de la base « Banquoutils ». Composé d’enseignants du premier et du second degré, accompagné par les inspecteurs et des membres de l’équipe nationale de la DEP, le groupe se réunit quatre à cinq journée par an, sur le temps de travail. Mais la première surprise est qu’à l’arrivée, ce qui paraissait une commande bien balisée a fait surgir de nouvelles questions.
Pour quelles raisons ?Il faut bien avouer qu’on a un peu pataugé pendant deux ans. Mais perdre du temps est parfois nécessaire… Travailler sur des outils « diagnostics » nous a amené à nous poser la question des compétences qui pouvaient être évaluées par les outils que nous fabriquions : « Mettre en relation une frise historique et un texte, sans avoir eu au préalable de cours sur la question » amène progressivement à se demander toutes les « capacités » que l’élève doit mettre en action au moment où il réalise la tâche demandée. Et du coup, il faut arriver à formuler des hypothèses sérieuses sur les raisons pour lesquelles un élève fait des erreurs.
Et cela s’est avéré difficile dans le groupe ?C’est le plus difficile. Quand on essaie de creuser, on se rend compte qu’on bute sur nos connaissances théoriques sur la question : « il oublie, mais pourquoi ? que se passe-t-il dans sa mémoire ? Il ne met pas en relation, mais pourquoi ? » S’il est tout à fait normal que dans l’ordinaire de l’exercice du métier, on n’ait pas le temps de se poser ces questions, l’espace de ce groupe, sa persistance dans le temps nous a permis de le faire.
« Simplement se mettre à côté des élèves, et essayer de comprendre… »
Comment avez-vous fait pour avancer ?Un des moyens les plus fructueux, c’est de tester les outils : faire les passassions, corriger les copies, et aller voir les élèves individuellement pour leur demander comment ils s’étaient débrouillés avec le travail. Tout simplement s’asseoir à côté d’eux avec bienveillance, pour comprendre leur cheminement. Et là, on s’est aperçu que si parfois le prof avait la bonne intuition, il pouvait aussi être à mille lieues de ce qu’a vraiment fait l’élève (« j’ai relié parce que les mots étaient l’un à côté de l’autre dans le texte »…). Chacun d’entre nous a pu découvrir « un continent inconnu », être étonné de la richesse de la réponse proposée, ou au contraire de la manière hasardeuse avec laquelle il s’acquittait de son « boulot d’élève », en privilégiant surtout les stratégies qui lui donnaient simplement une meilleure probabilité de réussite…
Dit comme ça, ça ne paraît pas une découverte extraordinaire ?Effectivement, on n’a pas découvert la poudre. Mais encore une fois, dans le cadre ordinaire de la classe, on est surtout préoccupés de « faire le programme », d’aller au bout… On croit qu’on bosse pour eux, mais on fait cours en se rassurant… On pense parfois qu’on ne fait qu’obéir à la commande de l’institution, qu’on ne peut faire autrement…
Vous avez jeté un autre regard sur vos difficultés ?Oui, c’est là qu’on s’est rendu compte qu’on n’était pas très armés pour comprendre les difficultés des élèves, qu’un retour sur la théorie pourrait nous faire du bien.
Si on se réfère à notre expérience de formation initiale, il faut concéder qu’on a pu avoir des apports là-dessus lorsqu’on était stagiaires. Mais on n’avait alors peu de disponibilité pour recevoir ce type d’information, souvent dans le rejet des « théories » et préoccupés de recherche de solutions pratiques et concrètes…
Dans votre synthèse, vous expliquez que vous avez creusé le travail sur la compréhension des textes ?Oui. En histoire-géographie, les compétences sont souvent complexes, on ne peut pas évaluer un seul item, une seule compétence (évaluer, justifier, argumenter…). On s’est ainsi rendu compte que nos élèves étaient systématiquement confrontés à la maîtrise de la langue. Et on a constaté, en parlant de nos pratiques d’enseignant, qu’on travaillait souvent superficiellement les textes, sans prendre la peine de demander aux élèves d’exprimer un point de vue général sur le texte, ou d’aller au contraire le décortiquer en détail.
C’est un problème de gestion du temps, se dit-on. Mais si le temps passé à décortiquer nous permet des les aider à apprendre à comprendre, on aura gagné du temps au bout…
Vous pensez que les enseignants ont vraiment cette latitude ?Parfois, je me demande si on ne se met pas la pression nous-même… On parle des programmes, mais quelle lecture en fait-on ? On parle des demandes des inspecteurs, mais qu’en retient-on ? Jusqu’à présent, les méthodes ne sont jamais précisées dans les programmes…
Prenons l’exemple du « socle commun ». C’est un sujet qui est vite polémique dans une salle des profs. Mais quoi qu’on pense de la politique du ministère, tous les membres du groupe ont au bout du compte trouvé de l’intérêt à creuser ces questions de « compétences ».
Mais ça a été un travail sur plusieurs années. Si on veut au contraire vendre ça à des profs dans les accompagner, c’est contre-productif. Il faut aider les gens à penser, pas leur mettre l’entonnoir. Et quand ça se conjugue avec les suppressions de postes, il ne faut pas s’étonner que les collègues pointent davantage les contradictions que les cohérences.
Une formation à réinventer : « rien qu’un peu de recul… »
Vous parlez de « théoriser le métier » ? De quelle formation continue pensez-vous avoir besoin ?On pourrait imaginer de nombreuses pistes :
– sortir de sa classe pour discuter avec ses collègues, une bulle d’oxygène prendre un peu de recul, discuter… rien que ça… Tout groupe a des effets positifs…
– écrire sur ses pratiques, analyser ce qu’on fait sur papier, parler sur ou écrire sur… n’est pas assez pratiqué. Mais il faut attendre d’avoir plusieurs années de métier pour avoir le recul nécessaire.
– avoir des relations bienveillantes à l’intérieur du groupe de formation, oser dire simplement ses difficultés : amener ses copies d’élèves, regarder comment on note… Ca paraît tout bête, mais ça n’est pas fait beaucoup dans les stages.
Dans notre groupe, on a travaillé avec un collègue qui avait un statut d’accompagnateur, Pierre Danière. Il nous posait des questions simples, comme s’il ne connaissait rien, nous obligeait à faire des efforts de formulation, et de temps en temps faire un petit point théorique, mettait des mots sur des choses qu’on pressentait sans arriver à mettre de mots, faisait des liens… Ca peut débloquer, avec pas grand chose pour faire déclic.
Et le rôle des inspecteurs ?On a été aidé par le fait que les inspecteurs qui impulsaient le travail n’étaient pas en position hiérarchique. Ce n’est pas forcément eux qui animaient le groupe lors des séances de travail ou qui faisaient les synthèses. Sur le fond, ils acceptaient qu’on apprenne ensemble. C’était une des richesses du groupe, et ça renforce plutot leur crédibilité, montre qu’on partageait une éthique du métier.
Je me rends compte qu’on n’en a jamais vraiment parlé ensemble, au cours des journées de travail, mais je pense que c’est un enrichissement pour tout le monde.
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