Peut-on renouveler le format scolaire de l’exposé ? Au lycée Vauban à Brest, Rachel Pouliquen en propose une revitalisante transformation : dans le cadre de l’étude de « La princesse de Clèves », elle a invité ses élèves à mener des recherches thématiques, puis à préparer et enregistrer en groupes des émissions de radio autour de problématiques collectivement définies. Par-delà l’appropriation de l’œuvre et le travail des compétences orales, le dispositif présente bien des intérêts : le format radio « déréalise la dimension scolaire de l’exercice en permettant de toucher au grand sérieux du jeu », coopérations et interactions produisent un « beau moment » tout à la fois « d’effacement et d’affirmation de soi », « le plaisir éprouvé aura nourri de manière positive l’image que les élèves peuvent avoir d’eux face à la matière et face à la pratique de l’oral. » Eclairages sur les coulisses d’émissions réalisées avec le soutien de la Coopérative Pédagogique Numérique du Finistère…
Les élèves ont été invités à préparer des exposés traditionnels autour de La Princesse de Clèves : avec quelles consignes ?
L’essentiel à dire aux élèves au sujet de ce travail d’exposé, c’est qu’ils n’exposeront pas en l’état le fruit de leur travail et recherches, aucune restitution écrite ou orale telle quelle ne sera demandée non plus. Ce travail demeurera le leur avec la forme qu’ils auront souhaitée ou tout simplement pu lui donner – manuscrite, sous forme de plan, de rédaction partielle, traitement de texte dépassant ou pas le copier coller… Cette consigne est très libératrice. Le travail, s’ils ne l’exposent pas en l’état, sera cependant convoqué avec discernement puisque leur choix d’exposé va faire d’eux des spécialistes capables d’interroger l’œuvre et de faire leur cette interrogation, l’objectif étant de travailler le geste d’appropriation. Il faut donc d’emblée dire que la restitution du travail se fera par le médium de la radio sans détail, pour susciter l’interrogation.
Concernant plus précisément les consignes , toutes les sources sont autorisées mais absolument toutes à partir du moment où l’on est capable de les donner, de les hiérarchiser et de dire lorsque l’on est sollicité ce que l’on a appris, ce qu’on pense pouvoir retenir avec ses mots, ce qui a étonné, plu, fait réfléchir, fait penser à une autre œuvre …
Quelles étaient les propositions de travail ?
Plusieurs pistes de recherches et de réflexion ont été proposées. Couleur personnages : la Princesse, Clèves, Nemours, Madame de Chartres, Le Vidame de Chartres, rois et reines… Couleur scènes du livre : le portrait dérobé, la lettre, l’aveu, Nemours surprend la rêverie de la Princesse, l’Adieu… Couleur histoire littéraire : les récits enchâssés, la vraisemblance, traces Baroques, la préciosité, vers le classicisme… Couleur thèmes : les lieux, le temps, la passion, la jalousie, le pouvoir, les duos, figures féminines / masculines, la galanterie, la sincérité, l’idéal, le devoir…
Comment avez-vous amené les élèves à passer de la préparation d’exposés individuels à la construction d’émissions de groupes ?
Les élèves forment des groupes avec pour consigne d’avoir dans l’idéal une couleur dominante par groupe (groupe de 4 au maximum parce qu’il y a 4 micros). Prenons un exemple : un groupe constitué en majorité d’élèves ayant travaillé sur la couleur « scènes du livre » comme le bal, la lettre, l’aveu, pourra sans problème se former avec en plus un élève ayant travaillé sur « Rois et Reines » ou sur « M de Clèves » ou « M de Nemours ».
Une fois le groupe formé les élèves doivent se demander ce qui peut bien le fédérer. Si je reprends le groupe hypothétiquement constitué plus haut, il va pouvoir dégager dans un premier temps l’idée de scène majeure dans le récit et, dans un second temps, si le groupe présente un spécialiste de M de Clèves, ajouter le poids du devoir ou de la jalousie et ainsi préciser dans quelle perspective la scène semble majeure. Ce qui peut donner : « Diriez-vous que l’épisode de l’aveu est celui où se manifeste le plus une vision personnelle du devoir? ». Cette fois, tous les élèves peuvent prendre la parole. Les questions peuvent être ouvertes ou fermées. Un groupe constitué en majorité d’une couleur personnage avec Madame de Chartres, La Princesse, Le Vidame de Chartres et la scène du pavillon pourra aboutir avec la coopération active de chaque spécialiste à la question suivante : « Quelle place pour les femmes dans ce monde du paraître » ou «Quelle vision de l’amour dans cette vie de cour ? » On l’aura compris : l’idée est de fédérer l’ensemble des spécialistes puisqu’à ce stade du projet on ne parle plus de sujets d’exposé. C’est une étape très riche et joyeuse parce qu’elle conduit les élèves à s’affirmer en tant que lecteurs, lectrices et à vouloir mettre en valeur dans un cadre précis les recherches menées.
Le format de la webradio peut faire peur (aux collègues comme aux élèves) : maitrise de la technique, scénarisation de l’émission, distribution des rôles et de la parole, maitrise de la langue … Comment avez-vous réussi à mener à bien le travail de préparation et d’enregistrement ?
Les groupes de spécialistes ayant élaboré une question, ils y répondent dans le dialogue, littéralement, il faut que la parole circule. Chaque groupe se demande donc comment organiser la circulation de cette parole. Très vite l’idée de quelqu’un qui mène le dialogue et distribue la parole s’impose et aussi celle que l’on va essayer de faire entendre plusieurs fois les mêmes voix.
Le conseil qui m’a été donné et que j’ai suivi, c’est de très vite passer en mode casque/micro pour un essai voix et/ou pour un premier filage. C’est vraiment une fois les outils en place – et là on est sur du vivant synesthésique – que tout commence. On n’hésitera pas à faire écouter leur production dans cet état d’ébauche aux élèves.
Majoritairement, cette dimension physique de l’expérience fait comprendre l’enjeu de l’exercice, à savoir la production d’une parole personnelle, circulante et adressée par le biais de brèves émissions sur leur lecture de la Princesse de Clèves. Le fait que les émissions seront écoutées par eux et via Pearltrees par la classe, par d’autres élèves et d’autres professeurs offre un défi qui, s’il est relevé, est des plus stimulants car il impose de lui-même une tenue dans la langue, et une exigence de travail.
Pour l’aspect technique j’ai été aidée par l’équipe de la Coopérative Pédagogique Numérique située dans mon lycée, de l’incubateur numérique de mon lycée et tout particulièrement par Gaëlle le Men. Le projet s’est déroulé quand le lycée a mis en place lors du « Confinement II » une organisation sanitaire privilégiant les groupes réduits pendant un laps de temps, ce qui a été précieux dans la mesure où cela offrait des conditions de travail que l’on est bien obligé de nommer exceptionnelles – ce qui est d’ailleurs assez désolant. Ce n’est pas moi qui ai pris en charge la dimension technique, cela dit cela devrait changer cette année puisque notre établissement (comme d’autres dans la région) a fait l’acquisition d’un mini studio radio web RODE comportant une seule platine avec 4 micros à brancher avec une procédure simplifiée qui n’est plus du tout intimidante.
Le risque de l’exposé, on le sait, c’est que l’oralisation des recherches se transforme en exercice un peu fastidieux de lecture des notes à voix haute : en quoi le format de l’émission radio permet-il de dépasser ce risque ?
Comme les élèves sont devenus des spécialistes et ont gagné en fluidité grâce au surplomb analytique travaillé quand ils élaborent la question ce risque est moins présent, mais, si un ou deux élèves du groupe cèdent à cette tentation, cela s’entend de tous les membres du groupe et cela se corrige. L’expérience montre que ce sont les élèves eux-mêmes qui cherchent à y remédier, par la coupe, la recherche de maîtrise en répétant davantage leur texte, par l’élucidation d’une référence, en en appelant à la relance du meneur de parole…
La technique joue le rôle d’un modérateur qui révèle tout. Avec le format radio, cela passe ou pas … et les élèves le sentent très bien. Il peut y avoir des moments d’abattement mais comme le travail est de groupe cela ne dure pas. C’est vraiment l’expérience d’une découverte commune dans le cadre d’une réalisation commune. Ce que je retiens, c’est l’acceptation de l’effort à accomplir, que le format induit bien plus que l’idée d’une contrainte technique qui serait inhibante. Dans cette idée d’effort, les élèves, et je dois le dire, de manière spontanée, rédigent l’intégralité de leur intervention avec une mention partielle ou complète de celle des autres pour savoir exactement où ils en sont du déroulé mis en place.
Y a-t-il un « effet radio » : des plaisirs et étonnements liés au format ?
J’ai déjà parlé ailleurs de l’effet casque qui transforme la personne, comme s’il s’agissait d’un jeu de rôle, raison pour laquelle la métamorphose en spécialiste est prise au sérieux par les participants. Comme le dit Marc Le Gall, animateur de la Coopérative Pédagogique Numérique du Finistère : « Les élèves sont dans leur bulle ». Il me semble que cette bulle déréalise la dimension scolaire de l’exercice en permettant de toucher au grand sérieux du jeu. Il faudrait aussi revenir sur l’aventure commune, c’est le groupe entier qui est dans l’aventure de devoir répondre à la question, il faut que la distribution de la parole mise en place fonctionne. C’est assez beau ce moment d’effacement et en même temps d’affirmation de soi, les deux ensemble dans le cadre de ce défi commun. Et puis la radio, du moins avec ce type d’émissions enregistrées, est comme un monde utopique, où l’on peut rejouer sa partie, refaire la scène, revenir, dire mieux, ou reprendre jusqu’à la plaisanterie en faisant croire à l’inédit, c’est un moment avec effet de réel et de maitrise pour les élèves et cela me semble compter aussi.
A écouter les émissions, on perçoit combien un tel travail favorise une appropriation plus authentique et plus fine de l’œuvre : en quoi un tel travail prépare-t-il aussi aux évaluations du baccalauréat du type EAF ou Grand Oral ?
La formulation de la question par son effort de surplomb analytique et de mise en tension nécessaire présente un bon exercice pour poser une problématique. Et la prise en compte de la question est un juste entrainement aux épreuves écrites qu’elles soient de type dissertation ou essai. Tout d’abord, il faut apporter des éléments de réponses, en ayant soin de s’appuyer sur un exemple précis que les spécialistes sont amenés à développer : il leur a donc fallu donner rapidement le contexte de l’extrait et de manière explicite les raisons du choix de cet extrait par rapport à la question posée. On voit aussi comment cet effort profite à la partie entretien de l’EAF et du Grand oral dans la mesure où les spécialistes s’écoutent et parfois inter-réagissent. De plus, tout étant préparé, cela incite les élèves à anticiper, à inventer des questions et des réponses, une méthode de préparation seul ou à plusieurs est donc à leur disposition qu’ils pourront reproduire – sans casque et sans micros bien sûr – en usant de l »application dictaphone de leur tablette ou smartphone par exemple Et puis le plaisir qu’ils auront éprouvé lors de la création de leur émission aura nourri de manière positive l’image que les élèves peuvent avoir d’eux face à la matière et face à la pratique de l’oral.
Un tel travail en format radio est-il évaluable ?
On peut se sentir démuni voire illégitime – qu’est-ce que j’évalue ? Quel amont ? Quel aval ? Doit-on tout axer sur la production ? Quelle place pour la préparation ? Faut-il surinvestir l’entretien, la chronique, le débat ? – face à l’injonction d’une évaluation. Une légitimité se rencontre immanquablement si l’on sollicite les élèves et que l’on établit avec eux les critères d’évaluation.- qui bien souvent rencontrent des compétences.
Il y a donc un premier temps de réflexion sur les attendus. Se dessine des attendus propres à la matière, par exemple en français et selon le projet : connaissance de l’œuvre, engagement personnel dans la lecture, trace de l’effort d’écriture dans l’intervention. Se dessine ce qui peut être commun à la matière et à l’outil radio : l’effort de diction (articulation), du volume de la voix, de la gestion du débit. Se dessine ce qui peut être propre à l’outil radio : l’écoute de l’autre, la distribution de la parole (pauses, interactions), la gestion des imprévus.
Puis, au sein de chaque groupe, un second temps permet d’élaborer un barème : 20 points sont à distribuer ; tous les élèves d’un même groupe peuvent être notés individuellement mais travaillent à se mettre d’accord sur une même distribution des points ; le professeur peut préciser qu’il n’est pas possible de descendre en dessous de telle note pour telle compétence ou de monter au delà d’un certain seuil (ou pas) ; les barèmes ne sont validés que s’ils remportent l’adhésion ET du groupe ET de la classe.
Ce travail doit conduire les élèves à prendre conscience de leurs atouts et de leurs faiblesses, des points à améliorer, sachant qu’il peut y avoir des hiatus entre leur perception et la réception de leur travail. Dans l’idéal, on devrait pouvoir conduire, avec un autre projet, ces mêmes élèves à modifier le barème d’origine qui parfois – pas toujours – tente de pallier ce qu’ils croient être leurs manquements …
Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentés par un tel dispositif de travail ?
Se lancer en ayant des heures de groupes ou d’AP, dire que ce sera une brève émission de radio dès le début, que sa forme sera à déterminer ensemble, faire découvrir le « studio » d’enregistrement dès qu’on le peut, rendre les outils plus magiques que stressants et songer à une évaluation.
Cette année, les émissions sur la Princesse de Clèves vont s’organiser sous une forme un peu plus polémique puisqu’il sera question d’adaptations cinématographiques ou sérielles qui n’existent pas et que nos spécialistes jugeront scandaleuses, ineptes, sublimes… Le dernier conseil est de ménager un chemin pour la joie.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Exemples d’émissions sur le site Pédagogie de l’académie de Rennes
Les Coopératives Pédagogiques Numériques de l’académie de Rennes
La webradio en lettres dans Le Café pédagogique