Faut-il aller chercher les élèves jusque sur les plateformes qu’ils fréquentent assidument ? Professeure de français au collège REP+ Georges Rouault à Paris, Marie-Astrid Clair a lancé sur YouTube la chaîne de vidéos « Le français c’est clair ». La chaîne est organisée selon un système de playlists : orthographe, grammaire, conjugaison, littérature, oral, méthodologie. Selon une ligne éditoriale : chaque vidéo donne à voir et écouter l’élaboration en direct d’une carte mentale. Lancée aux temps de la « continuité pédagogique », la dynamique de partage perdure. Pour Marie-Astrid Clair, « grâce au son, à l’image, aux mots écrits et aux dessins, les connaissances s’impriment mieux dans les esprits » : de ses élèves, mais aussi d’autres élèves, d’étudiant.es ou de parents. Eclairages sur un nouvel espace de transmission des savoirs…
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la chaîne de vidéos « Le français c’est clair » ?
« Le français c’est clair », c’est une chaîne YouTube née en avril 2021 qui rassemble déjà une soixantaine de vidéos de 3 à 10 minutes et qui sont organisées selon un système de playlists : orthographe, grammaire, conjugaison, littérature, oral, méthodologie… et la liste n’est pas close !
Pour l’instant, la playlist la plus riche est celle consacrée à la grammaire car c’est à mon avis le préalable à tout le reste : connaître les classes grammaticales, comprendre le fonctionnement du verbe, de l’adjectif en français, c’est la clé qui permet de comprendre les subtilités de l’orthographe, la construction des phrases complexes…
J’essaie de rendre les notions que j’aborde ludiques et claires puisque dans mes vidéos je dessine pas à pas des cartes mentales que j’agrémente de dessins. Derrière son écran, mon spectateur voit ma main écrire et dessiner pendant que je raconte la thématique explorée. Pour garder l’intérêt de mon audience, je tâche de trouver un fil rouge, une thématique à ma carte. Ainsi j’ai lié ma vidéo sur l’adjectif à la thématique des jeux olympiques et paralympiques. C’était une manière de surfer sur l’actualité mais ce n’était pas gratuit : lorsqu’on dessine les cinq anneaux et la flamme, c’est un adjectif qui nous vient à l’esprit : olympique !
Et quel conte utiliser pour le passé simple sinon Le Petit chaperon rouge de Perrault ? Il évoque quelque chose à tout le monde et s’achève crûment, par un passé simple : « et il la mangea ».
Qu’est-ce qui vous a motivée à entreprendre un travail aussi colossal ?
Je suis professeure au collège et en éducation prioritaire depuis 20 ans. Lors du premier confinement, j’ai été choisie pour donner des cours de langue sur Lumni et j’ai adoré ça ! Cette expérience m’a donné l’envie d’élargir les murs de ma classe. J’ai publié des séquences dans des revues pédagogiques, à la NRP, à l’Ecole des lettres, j’ai travaillé pour Actes Sud. Ce type de travail est passionnant mais ne s’adresse qu’à des spécialistes, et il faut avoir les moyens d’y accéder.
Lorsqu’est arrivé le deuxième confinement et que la plateforme classe virtuelle ne fonctionnait pas, j’ai eu l’idée de me lancer sur YouTube. Cela faisait longtemps que je travaillais avec des cartes mentales mais de manière moins systématique et évidemment, je ne m’étais jamais filmée.
Tout de suite, j’ai eu conscience de l’ampleur de la tâche mais ça ne m’a pas freinée, bien au contraire : j’ai travaillé de manière frénétique, sortant pendant le premier mois une vidéo par jour ! Aujourd’hui, j’ai retrouvé mes classes et différentes missions donc le rythme s’est ralenti : mon objectif est de publier une vidéo par semaine.
On aimerait entrer dans l’atelier de fabrique d’une vidéo : comment travaillez-vous ?
Je n’ai pas de plan de bataille défini à l’avance. Je choisis mes thématiques au gré de mes envies et besoins. Ainsi la série de vidéos faite sur l’Odyssée l’an dernier m’a permis de clore ma séquence avec mes 6èmes malgré l’interruption des cours en avril. Je surfe parfois sur la vague : j’ai fait au printemps dernier de nombreuses vidéos en rapport avec les révisions de brevet, de bac de français ou pour préparer les oraux. Mon plus grand succès pour l’heure a été la vidéo intitulée « que réviser pour le brevet de français » : environ six mille vues pendant le week-end précédent le brevet !
Pour chaque vidéo, je commence par dessiner une première ébauche de carte mentale, car on ne réfléchit pas de la même façon devant une feuille en format paysage que face à une feuille prise de manière classique. Mais assez vite, j’écris mon texte car en racontant la notion je peux avoir de nouvelles idées d’exemples, de dessins à ajouter. Vient ensuite le temps du crayonné : comme je travaille de manière très artisanale, je dois faire plusieurs brouillons afin de bien caler les branches de mes cartes, et équilibrer les dessins.
Une fois le crayonné définitif établi, je passe au plus facile, dessiner sous une caméra – en réalité un téléphone – puis ajouter de la couleur. Puis j’enregistre mon texte et je confie le montage à Pascal Weil, qui cale son et image en modulant la vitesse du dessin.
La ligné éditoriale et l’originalité de la chaîne, c’est la forme choisie des cartes mentales : quels vous en semblent les intérêts pédagogiques ?
La carte mentale c’est un outil fantastique pour apprendre et enseigner ! Les cartes mentales sont construites selon un système buissonnant, et fonctionnent comme l’intelligence qui fait des liens, des regroupements.
C’est un bon outil pour apprendre, car il est étonnant de voir comme notre mémoire retient bien les images et les endroits où elle a vu tel ou tel élément. C’est ce que tout lecteur vérifie en recherchant dans un livre un paragraphe lu : il sait à quel endroit de la page il l’a vu. C’est ce que certains appellent la spatialisation de l’information.
Pour enseigner, la carte mentale est aussi fort pratique. Elle permet de guider une présentation et condenser un très grand nombre d’informations car elle fonctionne par mot clé. Parfois je fais quelques entorses à cette loi en écrivant de brèves phrases mais en règle générale, je synthétise au maximum les idées. La carte mentale sur l’adjectif résume les vingt pages qu’y consacre la Grammaire méthodique du français, ou en tout cas ce qui me semble utile à retenir.
Mais diffuser une carte toute faite, ce n’est pas le meilleur moyen de faire avec des apprenants. Le mieux c’est de faire ou de voir se faire cette carte : c’est pour cela que la vidéo est le meilleur medium pour moi. Grâce à l’enregistrement audio, elle permet de stimuler une zone cérébrale supplémentaire, et grâce au son, à l’image, aux mots écrits et au dessins, les connaissances s’impriment mieux dans les esprits.
A qui s’adressent ces vidéos ? Pour quels usages et avec quels retours ?
Mes vidéos ne visent pas une catégorie de personnes précise. Étant prof d’expression communication à l’IUT depuis 8 ans, je mesure les manques de certains étudiants qui ont retenu peu de choses du collège. Mes vidéos sur l’orthographe s’adressent aussi à eux, comme à tous les francophones à la recherche d’astuces pour ne plus faire d’erreurs à l’écrit.
La vidéo intitulée « mon astuce infaillible (mais secrète) pour ne plus se tromper face à un participe passé » est une vidéo qui marche très bien et je suis heureuse de partager avec le plus grand nombre ce truc que j’utilise au quotidien mais qui est peu enseigné. De même, les professeurs n’ont pas le temps d’expliquer à tous leurs élèves pourquoi et comment remplacer un verbe en [é] ou [er] par le verbe prendre. La grande majorité sait le faire, mais comment prendre le temps d’expliquer cela à un élève ou un étudiant qui aurait raté le coche ? Mes vidéos reprennent tout cela dans le détail et de façon progressive, et chacun peut les regarder chez soi et selon ses besoins.
Mes vidéos intéressent aussi les parents d’élèves parfois perdus face à certains termes comme les expansions du nom : sur ma chaîne, ils peuvent trouver une vidéo qui leur permet d’aider leurs enfants. Pour eux, j’ai aussi fait cet été une vidéo de conseils pour faire travailler ses enfants l’été sans qu’ils s’en aperçoivent. Ce qui paraît évident à un prof n’est pas souvent expliqué à certains parents d’élèves plus démunis face à l’école.
Beaucoup de collègues profs sont enthousiastes et recommandent mes vidéos à leurs élèves. Il y a des vidéos axées oral qui sortent du champ disciplinaire et peuvent être recommandés par des profs principaux de 3e, 1e et Terminale.
Pour certains profs de lettres au lycée qui ont moins vu leurs élèves en classe l’an dernier, et qui devaient les préparer à l’EAF, cela a été un bon moyen de traiter la partie grammaire en fin d’année : ils demandaient à leurs élèves de visionner les vidéos sur la phrase complexe ou l’interrogation, leur proposaient de faire les exercices en lien avec les vidéos à la maison ou en classe et réglaient les points qui leur posaient encore problème.
Dans quelle mesure un tel travail a-t-il des effets, des échos, des prolongements sur votre travail en classe auprès de vos élèves ?
Avoir une prof YouTubeuse amuse mes élèves qui me disent parfois s’être abonnés et mettent des « pouces bleus » ! Ils commentent parfois certains dessins, comme celui que j’ai fait de Teddy Riner et globalement ils aiment regarder les dessins se faire. Le crayonné en dessous peut les aider à deviner le mot que je vais tracer, bref, ça leur plaît même s’ils ne sont pas dupes : regarder mes vidéos, c’est du travail !
Pour ma part, je demande parfois à mes élèves de regarder une vidéo puis nous traçons ensemble une carte mentale en faisant appel à ce qu’ils en ont retenu. Cela permet d’écarter les éléments moins adaptés à leur niveau, et la leçon se fait de manière beaucoup moins descendante. En outre, ils aiment beaucoup tracer des cartes mentales, ils le font sans râler, ajoutent des couleurs ou même des dessins, ce qui est une excellente façon d’apprendre et de faciliter les révisions.
Ce qui est déconcertant c’est d’entendre une élève que vous avez eu deux ans au collège vous dire qu’elle comprend mieux les vidéos que les mêmes explications données en cours. Evidemment, le temps énorme consacré à chaque vidéo l’explique, et je mets à profit mes 20 années d’enseignement pour que chaque capsule réponde à toutes les questions déjà entendues en classe. Mais un cours sur Youtube, c’est un cours particulier, auquel on a accès gratuitement et quand on veut. On l’écoute dans le calme, il est possible de mettre sur pause, de revenir en arrière…
Quels conseils donneriez-vous à des collègues intéréssé.es par le format de la capsule vidéo ?
C’est une très bonne idée ! Créer une chaîne YouTube est vraiment très simple et y poster des vidéos ne demande pas plus d’investissement qu’un téléphone ! En revanche, il faut avoir du temps à y consacrer car c’est, pour employer un mot que je n’aime pas beaucoup, très chronophage. Mais c’est amusant de se lancer dans une nouvelle aventure, de se fixer de nouveaux défis, et les élèves adorent. Un petit conseil tout de même, appuyez-vous sur des conseils d’experts : les ados de votre entourage ! Ils ont grandi avec YouTube et savent par exemple qu’un mauvais son sera fatal. Quant à la forme à adopter, je n’ai pas évidemment de conseil à donner : il faut trouver son style et bien expliquer, la pédagogie reste la clé.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
La chaîne YouTube « Le français c’est clair »