Comment faire de l’écriture un outil de connaissance ? Comment faire du savoir un outil de créativité ? Au collège Jean-Jacques Rousseau à Thiant (59), les 5èmes de Valéry Herbin ont lu-écrit-publié des récits de chevalerie qui éclairent ce que peut-être en classe le travail de l’écriture. La tâche, complexe, suppose un patient travail de recherche, de réflexion, de planification, de rédaction, de collaboration, d’amélioration. Le projet, mené avec l’aide de la professeure d’histoire, permet de s’approprier tout à la fois écrits de travail, de synthèse et d’invention. Au final, un livre numérique, enrichi de productions audio et d’illustrations visuelles, vient recueillir, diffuser et valoriser les créations. De nouveaux gestes professionnels de l’enseignant sont susceptibles de développer chez les élèves une vraie posture d’auteurs. Au collège. A l’université. Pourquoi pas aussi au lycée ?
Dans quel contexte avez-vous mené ce travail d’écriture ?
Le projet a été mené lors de l’étude en 5ème d’une œuvre intégrale : Yvain ou le chevalier au lion. Il consistait à rédiger un recueil de récits enrichi par des documents complémentaires, par exemple des capsules vidéo et des lectures expressives réalisées par les élèves. Tous les élèves d’une même classe se sont appuyés sur les travaux menés en cours de Lettres et d’Histoire dans le cadre d’un EPI pour composer un récit complexe. Le projet a effectivement abouti à la publication sur papier d’un recueil enrichi par des ressources en ligne produites par les élèves. Les ressources en ligne sont accessibles au moyen de QR codes insérés à l’intérieur du recueil.
En quoi s’agissait-il de diversifier les types d’écriture ?
Il s’agit d’un chantier d’écriture qui s’inscrit dans la durée d’une séquence avec des écrits variés afin de permettre aux élèves de prendre conscience des différentes fonctions de l’écriture : des écrits de travail au cours desquels les élèves sont amenées à relever, reformuler, hiérarchises des informations ; des écrits de synthèse pour s’approprier des connaissances lors des lectures analytiques ou des leçons rédigées en cours d’histoire ; des écrits d’invention pour développer le plaisir d’écrire et construire chez les élèves une posture d’auteur.
En quoi a consisté le travail préparatoire à l’écriture créative ?
Plusieurs séances ont été coanimées par les professeurs de Lettres et d’Histoire-géographie de la classe pour étudier des corpus constitués à la fois de textes littéraires et de documents historiques. Ces séances, qui ont débouché sur des synthèses rédigées par les élèves, ont permis de nourrir les écrits d’invention des élèves au fur et à mesure du projet.
Quelles étaient précisément les consignes et les attentes pour l’écriture créative ?
Les élèves ont rédigé des récits complexes constitués de quatre épisodes clés : l’adoubement du héros qui part en quête d’aventures pour montrer sa valeur (épisode 1) ; le héros confronté à une épreuve merveilleuse (épisode 2) ; la description d’un château fort devant lequel arrive le chevalier (épisode 3) ; l’affrontement avec un chevalier félon (épisode 4) : : une scène d’amour courtois (épisode 5).
Les récits produits ont ensuite été enrichis par des contenus numériques en ligne. Les synthèses rédigées par les élèves en cours d’histoire ont été mis en voix et en images pour apporter un éclairage historique sur le monde médiéval. Les questions ainsi traitées par les élèves ont été les suivantes : comment devenait-on chevalier au Moyen-Age ? quel était le rôle d’un chevalier ? à quoi servait le château fort au Moyen Age ? le chevalier peut-il être considéré comme un héros médiéval ?
Le travail d’écriture est mené sur un outil en ligne d’écriture collaborative, un pad : selon quelles modalités ?
J’ai choisi d’utiliser Framapad pour l’écriture du recueil, car cet outil favorise véritablement la collaboration. Framapad est en effet un éditeur de textes collaboratifs qui permet de rédiger un texte à plusieurs mains en même temps (modification synchrone) ou de manière différée (modification asynchrone). Chaque élève est identifié par une couleur, ce qui le conduit à assumer sa production. De cette façon, tous les scripteurs peuvent apporter leur contribution, sans qu’émerge un éventuel leader, reconnu par ses pairs comme possédant de plus grandes compétences rédactionnelles. Une fenêtre de messagerie instantanée est également disponible pour débattre autour du texte pendant sa composition, ce qui favorise également les échanges entre les élèves.
De plus, l’outil « historique » de Framapad permet d’observer le processus de création du texte : après la séance de cours, l’enseignant a accès aux pads et peut ainsi évaluer les contributions des différents élèves. Il peut notamment analyser les difficultés rencontrées.
Quels vous semblent les intérêts de travailler ainsi l’écriture de façon collaborative ?
Le principal problème rencontré a été le suivant : comment mettre en place une écriture longue dans une classe constituée d’élèves hétérogènes qui ont des capacités très différentes ? En d’autres termes, comment différencier pour permettre à tous de progresser ? J’ai donc choisi de constituer des groupes hétérogènes pour favoriser l’entraide et les interactions entre les élèves. Dans chaque groupe, les élèves ont rédigé leurs travaux à plusieurs et en même temps au moyen de l’éditeur de textes collaboratif Framapad. L’objectif est que le groupe vienne soutenir l’accompagnement de l’enseignant, que des apprentissages puissent se faire grâce au groupe. Travailler en groupes permet en effet à un élève de confronter son fonctionnement à celui des autres pour apprendre ce qui n’est pas naturel chez lui.
Amener les élèves à travailler et écrire en groupes, vous objecteront des collègues, c’est prendre le risque que certains élèves travaillent plus que d’autres : comment faire pour que tous y trouvent une chance de progresser ?
Bien sûr certains élèves ont travaillé plus que d’autres, mais c’est également le cas lorsqu’ils travaillent individuellement… Ce qui me paraît essentiel, c’est que les élèves ont eu la possibilité de développer en priorité ce dont ils avaient besoin : grâce à l’éditeur de textes collaboratifs, il a en effet été possible de travailler la posture d’auteur progressivement selon les élèves afin de permettre à chacun d’être plus performant dans l’écriture.
Lors des premiers écrits, certains rédigeaient spontanément des phrases voire des paragraphes. L’enjeu pour eux est de parvenir à évaluer par eux-mêmes la pertinence de ce qu’ils sont en train de produire pour apprendre à réviser leurs écrits.
Pour d’autres élèves, qui sont moins à l’aise à l’écrit et qui se contentaient d’insérer quelques mots dans les textes collaboratifs, il s’agit d’abord de produire des écrits de plus en plus développés.
Quels rôles avez-vous joué comme enseignant durant ce travail d’écriture des élèves ?
Cette écriture longue a conduit le professeur à jouer plusieurs rôles, à adopter différents gestes professionnels tout au long du projet.
Lors de la planification du texte et de sa mise en mots, j’ai surtout adopté une posture d’accompagnement. Cela nécessite en particulier de lâcher prise au début de la situation d’écriture pour laisser du temps aux discussions et aux interactions dans les groupes. Le rôle du professeur est alors d’accompagner le fonctionnement du groupe et d’observer les erreurs, les réussites ou les blocages.
Lors des différentes réécritures, j’ai ensuite joué le rôle d’un lecteur attentif au projet d’auteur encore en germe. Il s’agit de donner la possibilité aux élèves d’essayer, de se tromper, de recommencer jusqu’à ce qu’ils réussissent. Pour proposer des aides efficaces, le professeur analyse les écrits : il intervient non pour corriger mais pour informer, questionner les auteurs sur leur projet d’écriture, suggérer des ajustements (lexicaux ou énonciatifs). Cette phase sert d’évaluation diagnostique pour le professeur, qui peut identifier les difficultés rencontrées, notamment dans le domaine de la langue. Le professeur peut intervenir dans les écrits avec sa propre couleur pour commenter le travail des élèves. Ses annotations accompagnent les productions dans un but formatif : elles pointent les réussites et signalent ce qui pourrait être amélioré en proposant des pistes de réécriture. Quelques exemples d’interventions fréquentes : donner des consignes de réécriture pour développer un aspect du texte ; proposer des textes littéraires pour nourrir l’imaginaire, pour aider les élèves à mieux évoquer l’univers qu’ils imaginent, pour percevoir des effets à créer sur le lecteur ou encore pour constituer un réservoir de mots / procédés.
J’ai dû adopter également, au moment opportun, une posture d’enseignement pour faire construire les savoirs qui faisaient défaut dans les premiers essais et prévoir par exemple les séances de langue nécessaire.
En fin de parcours, lorsqu’il s’agit de revenir sur les productions de chacun et de les examiner au regard des normes, la posture de l’enseignant est surtout celle d’un correcteur. L’objectif est alors d’aider les élèves à corriger les erreurs, les maladresses. Chaque groupe a pu reprendre son écrit avec une feuille de route personnalisée en fonction des besoins détectés.
Au final, les écrits des élèves sont augmentés, notamment d’enregistrements audio : avec quels profits pour les élèves ?
La mise en voix et l’enregistrement des productions grâce au numérique ont permis d’approfondir la révision des textes en incitant les élèves à apprécier les effets produits sur le lecteur. La cohérence d’un texte s’apprécie en effet du côté du récepteur et de ses impressions de lecture. Parce que la lecture à voix haute constitue une forme de relecture qui nécessite l’engagement de l’élève, elle permet d’attirer son attention sur certaines révisions nécessaires comme des répétitions excessives, des problèmes de syntaxe ou de ponctuation ou encore des répliqués à ajouter pour assurer la cohérence d’un dialogue.
Votre but est de construire chez l’élève « une posture d’auteur » : à la lumière du travail mené, pourquoi est-ce important selon vous ?
Au cours du cycle 3 et du cycle 4, « les élèves affirment leur posture d’auteur et sont amenés à réfléchir sur leur intention et sur les différentes stratégies d’écriture. » (Programmes Cycles 3-4). Développer chez les élèves la posture d’auteur nécessite de travailler deux aspects…
Il s’agit tout d’abord de prendre conscience des stratégies et procédures d’écriture. Souvent, pour l’élève, réécrire son texte se limite uniquement à corriger ses erreurs. Celui-ci a donc besoin d’apprendre à reprendre son texte, c’est-à-dire le penser à nouveau, le remettre en chantier car l’écrit n’est pas spontanément parfait et il doit être repris pour rechercher la formulation qui convient le mieux, pour préciser ses intentions et sa pensée.
Il est important également de mettre l’accent sur l’acte de réception et donc, sur les effets du texte. Développer une posture d’auteur suppose en effet de prendre en considération la réception du texte : pourquoi écrire ? Pour qui ?
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Le recueil produit par les élèves
Présentation détaillée du projet